Lettre d’une actrice à un dramaturge

Bonjour, même si le temps n’avait pas d’importance ; même si les jours étaient les nuits ; j’ai vu l’unique personnage de votre pièce (SÉLAVY) dans son lit tout empli d’elle ; elle partout.

J’ai vu son lit tournant comme le monde, je l’ai sentie innocente et forte face à l’adversité, confiante et perdue pour soutenir que la logique et l’amour sont supérieurs au désastre de la vie quotidienne ; fantasque et farouche.
Je me suis vue, vraiment vue sur scène, interprétant SÉLAVY. Oui : j’ai déjà en tête et sa tenue et la mise en scène. Elle porte une robe qui pourrait paraître faite de guenilles d’un marron très foncé, mais élégante, toute simple. Sinon elle pourrait être nue et décoiffée. Mais de plus elle porte de beaux et grands pendants d’oreille qui brillent et tentent de se dérober dans sa chevelure. Je me vois sur scène et dans sa chambre, j’ai entendu les voix et les sirènes de l’extérieur, incapables de l’effleurer. C’est un témoignage d’une autre sphère, invisible et précis et bouleversant.  
Je serais ravie de pouvoir créer la pièce. J’aimerais tellement la répéter sur la scène d’un théâtre : faire ce PÉTALE … Je vous dis au revoir comme un laurier-rose dans sa cascade.


Cher poète : Oui je suis un PÉTALE de votre Crumbs de confinamiento. C’est vrai. Quelle idée surprenante (et idéale ?) de créer cette pièce au Théâtre Arrabal de Madrid. C’est  vrai ! On m’assure que pendant des jours, des mois, des années, la salle est restée hermétiquement close… Dans ce théâtre où personne n’a jamais fait de théâtre et qui, dans mon souvenir, est l’un des meilleurs d’ici. Mais ni mes amis, ni moi-même ne connaissons la direction : À votre entière disposition.


Lettre d’un dramaturge à une actrice

…je prends votre lettre pour ce qu’elle n’est peut-être pas

pour ce que j’imagine

pour ce dont je rêve que ce pourrait être

une lettre d’amour ?

de l’actrice espagnole la plus célèbre (pour moi) 

au plus spécial des dramaturges ;

je la prends à la lettre sans aucun droit

je rêve de quelque chose dont je n’ai pas le droit de rêver

je rêve que je rêve un rêve transformé en délire ?

j’ai rêvé que vous mettiez en jeu votre énorme prestige

votre brillant avenir pour représenter la pièce d’un poète

qui n’est qu’une pierre de scandale ;

je rêve que vous interprétiez l’œuvre de ma vie

dans un théâtre qui par pur hasard

sans aucun mérite de ma part porte mon nom ; 

vous feriez là votre « pétale » mes miettes de confinement

ce one-women-show que je viens d’écrire ici à Paris  

pour dix spectateurs ? ou moins ?

avec le talent, d’une grande SÉLAVY

… »tout simplement »

oui, l’aurore arrive à l’abordage.


Crumbs de confinement de Fernando Arrabal

…premier « écho » (de Jean-Pierre Villain) :

Forcément, je me réfugie sous le lit – en fait, disons plus simplement, que je me confine un peu plus -, en invoquant la clémente absolution, de parler juste un peu avant eux, et de Beckett, et de Breton, et d’Ionesco, et de Thierry Foulc, à propos du texte,
Non seulement c’est un texte d’une actualité brûlante, et d’une terrible percussion, mais c’est encore – contrepoint d’un contexte consternant, parce qu’à la fois vaniteux et impératif, en un mot administratif… (Retour à Kafka) un superbe hommage aux mots, au langage, aux jeux virevoltants qu’ils permettent, à la jouissance absolue de tout acte de traduire – l’acte de la liberté par excellence, au fond – et à ce dernier mot qui, quoique dernier, devrait rester toujours pour chacun de nous le premier : Poésie.
Quand on a encore le goût de la cendre dans la bouche, n’est-ce pas parce qu’on a encore le feu dans l’âme ? A l’évidence, c’est ton cas. Cela fait du bien.
Quand le rideau tombe, que retiendra-t-on ? Face à un « virus sans qualités », mais surtout face à des commissaires de tous poils qui ont encore moins de qualités que le virus lui-même, c’est Sélavy, l’autiste, qui aura su résister mieux que quiconque, aux injonctions administrantes des statuts et des titres, où se mijote et prépare en permanence le meurtre du langage.
Dans la soumission imposée, calculée, (ce qui ne l’empêche pas d’être variable, voire aléatoire), à l’obéissance d’un silence toujours d’autant plus pesant qu’il est en permanence « masqué », qui, en définitive, dans ta pièce, aura su résister à l’absurde ? C’est Sélavy. 
Et pourquoi cela ? Parce qu’elle aime le langage. Elle, l’autiste, elle aime les mots. Elle parle de tout, de rien, à elle-même, au passé, à l’avenir. Elle crie sa révolte, comme elle parle à sa souris ou aux spectateurs. Rien de ce qui est parole ne lui est interdit, et c’est cela que, jusqu’au bout, elle parvient à préserver. Et c’est pourquoi, à la fin, elle gagne.
Sélavy ne s’entrave pas du poids de ses chaussures. Parce que mieux que les chaussures, elle sait que c’est d’abord la parole qui nous fait voyager, si on sait s’employer à la faire vivre.Aussi le guarani ne lui est-il pas étranger, et le traducteur, pour elle, est toujours un allié.Autiste, certes, mais qui aime, elle, pleinement,   le langage, et les mots. Or, c’est effectivement cela que  le virus a cherché avant tout à tuer en nous, à moins que ce ne soit d’ailleurs nous-mêmes, qui, sous couvert de virus, l’avons laissé mourir en nous.
En suis-je un bon traducteur? Je ne sais,  mais, après tout, ce qui caractérise les bons traducteurs ne réside-t-il pas dans le fait d’être en permanence insatisfaits? Donc encore merci pour ce texte constamment écrit aux limites, de la vie et de la mort, du soi et des autres, du pouvoir et de la liberté, de l’homme et de l’animal, de la foi dans les mots face à la démission voulue de la Parole, bref, au lieu où se joue en définitive notre liberté.

Jean-Pierre Villain


Les répétitions de Crumbs de confinement d’Arrabal ont déjà commencé  à Asuncion; dans la mise en scène de NELSON ARCE qui avait déjà monté au Paraguay une douzaine de ses pièces ; l’actrice, comme souvent, est  l’excellente NATALIA CALCENA ; d’autres grandes interprètes répètent déjà la pièce : par exemple, BOBA, à Belgrade, qui a écrit à la main un inoubliable message.

Lundi 25-V-XX à 18h00′ a eu lieu à Paris une première lecture du rôle de Sélavy de « Crumbs de confinement » (Maria de França a admirablement lu les didascalies de la pièce).

Plusieurs éditeurs d’ici et là (et notamment les Livres de L’Innombrable de Raúl H & Pollux) font déjà la maquette de la pièce Crumbs de confinement. Malheureusement l’inégalable « Au crayon qui tue » se ocultó con Thieri Foulc le 21 mai (apparent) Nativité de S.H. Rousseau.