Le discours de Sophie Deschamps, présidente du conseil d’administration de la SACD, lors de la remise du prix SAC à Fernando Arrabal.
Le génie n’est pas une question de centimètres, vous en êtes la preuve, cher Fernando Arrabal. Grâce à Valérie-Anne Expert, j’ai eu le plaisir de vous rencontrer et lors de cette rencontre, vous m’avez dit : « Tout le monde connaît Arrabal mais personne ne sait pourquoi. »
Je vous ai trouvé bien modeste, mais vous avez ajouté : « Je suis reconnu dans la rue en Espagne parce que j’ai pris une cuite en direct à la télévision. Un million de vues sur Youtube. Et en France parce que j’ai giflé Édouard Baer et que c’est sur le net. »
Je crois qu’ici nous savons tous pourquoi vous êtes connu. Vous avez écrit une centaine de pièces de théâtre, jouées dans le monde entier, quatorze romans, un nombre considérable de poésies, des essais et des épîtres dont la célèbre Lettre au général Franco. Vous avez écrit et réalisé sept longs-métrages dont Viva la Muerte, J’irai comme un cheval fou, l’Arbre de Guernica, Le cimetière des voitures… Le cimetière de voitures est d’abord une pièce « Elle a été jouée et quelques mois plus tard les voitures ont brûlé pour de vrai. » C’était Mai 68. Vous avez aussi écrit les livrets de cinq opéras dont Faustbal créé en 2009, le docteur Faustroll d’Alfred Jarry y est une femme. Vous m’avez dit « La femme est l’avenir de l’homme car c’est la femme qui a douté de Dieu et croqué la pomme. » Sans compter les collages, la peinture, la sculpture et le jeu d’échec qui occupe une grande part de votre vie de surdoué.
Votre œuvre raconte votre vie comme on le voit dans le très beau documentaire de Xavier Pastorel Barron, Vidarrabal. « Oublie ton père, il était rouge et athée » dit la mère dans Viva la muerte. Votre père a été emprisonné lors du coup d’Etat de Juin 36. Condamné à mort puis à la perpétuité. Votre mère a quitté Melilla, enclave espagnole du Maroc, et a emmené ses trois enfants à Ciudad Rodrigo, ville moyenâgeuse et religieuse où le franquisme régnait en maître. Fernando vit avec ses grands-parents, ses tantes : ça prie tout le temps. Sa tante est adepte des silices et des coups-de-fouet, le jeune Arrabal porte des silices et fouette sa tante. Il fait l’expérience enfant du sado-masochisme.
En plus, il va à l’école des bonnes sœurs. Mère Mercedes le présente au concours des surdoués en 1941. Il gagne le premier prix. Prix instauré par un gouvernement qui a fait disparaître son père. Il se fait un petit théâtre. Il écrit des poèmes et des pièces pour sa mère qui travaille dans un ministère militaire à Burgos. Dont Pique-nique en campagne.
A la fin de la guerre civile, il suit sa mère à Madrid, où elle est en poste, toujours dans un ministère militaire. A 17 ans, il vole des sous pour aller au cinéma et au théâtre au lieu d’aller à l’école militaire. Découvre les Marx Brothers et tout ce cinéma dit populaire qui l’enchante. En cherchant des sous, il tombe sur des lettres de son père. Depuis qu’il a 10 ans, sa mère disait que son père était mort. Il a porté le ruban noir du deuil sur sa manche et il découvre qu’il n’est pas orphelin et que sa mère n’est pas veuve. Il ne lui adresse plus la parole. Cela ajoute à ce sentiment de confusion qu’il éprouvait déjà et qui sera le centre de son œuvre. Il découvrira beaucoup plus tard, dans les archives de la prison de Burgos que son père avait bénéficié d’une libération conditionnelle mais que son épouse avait refusé cette libération et l’avait fait interner comme fou. Il s’était évadé de l’hôpital psychiatrique, en pyjama, il y avait beaucoup de neige. La trace de son père s’arrête là.
Une thèse dit qu’il aurait été liquidé mais il n’y a jamais eu de preuve. Arrabal écrit pour comprendre. Son père devient une figure christique et vit au travers de son œuvre.
Vous m’avez raconté qu’après l’école militaire vous êtes allé chez les jésuites qui vous proposèrent de devenir séminariste. Vous étiez mystique et aviez eu une apparition de la vierge. Mais avant votre noviciat, vous êtes allé aux Baléares, ne voulant pas faire vœu de chasteté en ne sachant pas ce qu’était la non-chasteté. Dans les grottes des iles, vous avez connu les délices de la chair, fin du noviciat et de la vocation religieuse.
De retour à Madrid, vous étudiez le droit mais vous en fichez totalement.
Avec de jeunes intellectuels au sein de l’Athénée vous créez l’académie, et là vous découvrez James Joyce, Kafka et le « postisme » qui est l’éloge de la folie.
Vous rencontrez Luce Moreau et écrirez cet amour dans Fando et Lys. Pièce qui a tellement marqué Pascal Rogard que Fandoelis est son peudo sur Twitter.
Puis vous obtenez une bourse pour étudier le théâtre à Paris.
Vous deviez y rester trois mois, vous y êtes toujours. Tuberculeux, vous êtes allé au sanatorium et ce coup du sort a décidé de votre vie en France. Votre pays est devenu l’exil. Vous m’avez dit « je suis comme Ionesco et Kundera du pays de la » desterriolandia ».
André Breton, à qui vous lisez La pierre de la folie, vous adoube dans le groupe des surréalistes. Vous y amenez votre ami Roland Topor qui s’enfuit, vous dites : « On se trouvait très bien dans cette dictature mais Roland Topor n’a pas supporté ». « La vie m’a mis en rapport avec les esprits les plus enrichissants du 20ème siècle et du début du troisième millénaire, le plus grand de tous était Roland Topor. »
Il crée avec lui et Alejandro Jodorowsky le mouvement Panique.
Ils aiment le burlesque, l’irrévérence pornographique, le dieu Pan – d’où Pan-nique. Ils sont sur le concept de la confusion, considérant que le Big Bang est l’acte de confusion par excellence. Ils entendent renouveler le mouvement surréaliste en s’interdisant la moindre censure.
Il fera aussi partie de la beat génération, avec le Living théâtre, revendiquant la liberté, l’abolition des protocoles, une sacralité alternative. Il est aussi électeur unique du Collège de Pataphysique.
Fernando Arrabal ne s’interdit rien. On l’a accusé de pornographie, de participer aux orgies organisées par Dali, d’être érotomane, on l’a mis sur écoute, Franco l’a fait arrêter suite à une dédicace où il avait écrit « Me cago en Dios, en la Patria, y en todo lo demàs » [« je chie sur Dieu, la patrie et sur tout le reste »]. Il avait 34 ans, il fut condamné à 12 ans de prison. Il a ri en me racontant son arrestation en pleine nuit « Quelle farce ! Je ne suis qu’un écrivain ». Il a été rapidement libéré grâce à la mobilisation des intellectuels dont, Arthur Miller, Ionesco et surtout Beckett qui a écrit une admirable lettre. Dont voici deux extraits :
« La cour va juger un écrivain espagnol qui dans le bref espace de 10 ans s’est hissé au premier rang des dramaturges d’aujourd’hui et cela par la force d’un talent profondément espagnol. Partout où l’on joue ses pièces, et on les joue partout, l’Espagne est là. » et plus loin « Arrabal est fragile… Il aura beaucoup à souffrir pour nous donner ce qu’il a encore à nous donner. Lui infliger une peine demandée par l’accusation, ce n’est pas seulement punir un homme, c’est mettre en cause toute une œuvre à naître. Si faute il y a qu’elle soit vue à la lumière du grand mérite d’hier et de la grande promesse de demain, et par là pardonnée. La punition et la souffrance, il se l’inflige à lui-même. Que Fernando Arrabal soit rendu à sa propre peine ».
Effectivement, Fernando Arrabal depuis l’enfance écrit du matin au soir et du soir au matin. Il m’a dit « c’est un miracle de vivre de la littérature, je vis de ma plume, c’est bizarre, ça n’existe pas ». Il travaille aussi sur les mythes et trouve que celui de Don Juan, inventé par un curé, Tirso de Molina, est une tromperie quand il est revu par Molière et Mozart. « Mile tre, m’a t’il dit’, c’est mathématiquement faux », « les femmes ne sont pas stupides, quelle femme irait avec un pareil menteur ? Les Don Juan sont des menteurs et Tirso de Molina avait d’ailleurs appelé sa pièce « El Burlador de Sevilla ».
Fernando Arrabal peut rire de tout et écrire sur tout. Il m’a dit : « Très peu d’écrivains sont comme moi, tous sont tragiques. Moi, j’ai décidé depuis le début d’écrire dans la rigueur mathématique de la confusion ».
Il désacralise le sacré. Dans J’irai comme un cheval fou, le héros mange le corps de son ami, comme on mange le corps du Christ. C’est le dieu Pan versus les églises et leurs pouvoirs. La pornographie dans la farce et la poésie. « L’imagination au pouvoir » est d’ailleurs une phrase de Jodorowsky.
Fernando Arrabal garde les œuvres et les souvenirs offerts par ses amis Matisse, Picasso, Dali, Duchamp, Beckett, Ionesco, Dario Fo, Roland Topor, Kundera, Cabu, Wolinsky, Houellebecq, etc.
Mitterrand lui avait promis un musée, car Fernando Arrabal ne veut pas à juste titre que les œuvres qui l’accompagnent soient séparées. Mais le musée n’a pas été fait. Comme n’a pas été fait celui de Breton et sa fille a fini par disperser ce qu’elle ne pouvait continuer de protéger.
L’Espagne lui a aussi promis ce musée, mais les promesses…
Fernando Arrabal n’est ni à la mode, ni récupérable. Il ne s’est jamais laissé imposer. N’est jamais rentré dans la norme. Il Impose son propre jeu avec ses propres règles. Sa devise pourrait être : « Lève-toi et rêve ».
Arrabal est aussi un artiste engagé qui a lutté contre tous les fascismes, tous les « titans », comme il le appelle, qui emprisonnent ceux qui pensent et écrivent. Il a entre autres fait libérer des écrivains cubains avec l’appui de Mitterrand.
Il m’a dit manquer de temps pour mener à bien tous ses projets. Sa prochaine pièce Pingouine, sur Cervantes, sera créée en Avril au grand théâtre de Madrid.
Joué partout, récompensé et honoré partout, on dit que le soleil ne se couche jamais sur le théâtre de Fernando Arrabal.
Pour toutes ces raisons, les auteurs du conseil d’administration, Pascal Rogard et Janine Lorente, directeur et directrice adjointe, sont heureux de vous remettre par mon intermédiaire cette médaille d’honneur, et vous exprimer à quel point LA SACD est honorée de vous compter parmi ses membres.
Photos : SACD
Carissimi e Carissimo Fernando, sempre bello vedervi e leggervi con la vostra forza, Grazie per scrivermi.
Che dire l umanitá é condannata ad essere accusata e contraddittoria con se stessa, L umano così vicino e così lontano
alla delicatezza e spontaneitá Animale.
Auguri a voi