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TABLEAU : « EL G. CUADROO DE LA POESIA Y LA CIENCIA/LA FORJA DE VULCANO » (croquis F.Arrabal)

Benoît Mandelbrot, l’inventeur de la nouvelle géométrie, l’auteur de « The fractalist ». « Memoir of a geometer », vient de s’occulter.

L’ensemble des Collèges de ’Pataphysique du monde entier (après en avoir informé les cinq T.S.) venait de lui décerner le titre de « Transcendant Satrape ».

Il  avait été  nommé T.S., urbi et orbi, par ‘exception pataphysique’,  le 22  novembre 2009. Je fus (sans aucun mérite) chargé de remettre son diplôme au cours de la  manifestation scientifique que le Représentant Hypostatique de Sa Magnificence, Thieri Foulc,  et les C. de ’P. avaient organisée à la Cité des Sciences de Paris.

J’ai voulu  être digne, en Faustroll, de mes 41 ancêtres (de Marcel Duchamp à Man Ray) et de  mes  collègues (de U. Eco à D. Fo) en satrapie.

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Intelligence, génie et humour

du mathémathicien Mandelbrot

 

Par  Fernando Arrabal

[Depuis ma  première rencontre avec Benoît Mandelbrot (le plus grand mathématicien vivant) chez Mary Cronson, à New York   (avec Tom Bishop  et Françoise Gilot, la veuve de Picasso) je suis touché par ce « cerveau » de 85 ans (exactement aujourd’hui)  toujours en état de grâce.]

 

Arrabal : En novembre 1985, à  Figueres, Dali organisait le symposium « Procès du hasard ». Malgré la présence de plusieurs scientifiques (Lansberg, Ludwing, Schatzman, Margalef) la rencontre est devenue une empoignade (doublée d’une aigre polémique) entre René Thom et Ilya Prigogine. Ai-je raison d’imaginer que ce fut à cause de votre absence?

Benoît Mandelbrot : J’admirais beaucoup plusieurs aspects de la personnalité de René Thom, mais pas tous, et j’ai toujours refusé la polémique avec lui sur ce sujet.  En fait, je travaille constamment avec le hasard, et cette polémique (et ce procès) ne sauraient rien changer à ma pratique.

Arrabal : On peut penser  que  vous n’étiez pas à ce symposium  parce qu’on avait caché à Dali la présence des objets fractals.

Benoît Mandelbrot : Dommage qu’on ne m’ait pas invité, mais – à tort peut-être – je ne crois pas aux complots.

Arrabal : Votre nouvelle géométrie de la nature n’aurait-elle pas   montré les limites de  la controverse Thom-Prigogine?

Benoît Mandelbrot : Dans les sciences, personne ne s’est aperçu qu’il y ait eu cette controverse. Elle n’a donc eu aucun effet pratique et il se pourrait bien qu’elle ait disparu avec les combattants

Arrabal : L’irrégularité fractale s’appuie-t-elle  sur des constructions dominées par le hasard?

Benoît Mandelbrot : Oui et non. Ni l’ensemble de Mandelbrot ni les attracteurs étranges ne doivent RIEN au hasard. Mais les montagnes fractales lui doivent beaucoup. C’est une question délicate et subtile.

Arrabal : La dimension fractale d’un objet mesure-t-elle son degré de brisure et d’irrégularité?

Benoît Mandelbrot : Oui.  On peut dire que – comme une fréquence est une mesure de la couleur d’une lumière pure et de la hauteur d’un son pur – la dimension fractale est une mesure de la rugosité, la première qui ait été proposée.  Mon œuvre a constitué le premier stade quantitatif d’une théorie de la rugosité – un phénomène qui se rencontre partout et dont on ne parlait guère pour la simple raison qu’il n’y avait rien à dire.

Arrabal : La notion de « chaos » telle que l’a définie Norbert Wiener en 1920 est-elle aussi pour vous « une forme extrême du désordre naturel »?

Benoît Mandelbrot : Le mot « chaos » a été mis à toutes les sauces imaginables; il est devenu très difficile à utiliser. Le chaos de Wiener était additif. Le chaos multifractal est multiplicatif.

 

Arrabal : Que pensez-vous de  cette paraphrase de Stent (1972): « être en avance sur son temps ne mérite que la compassion dans l’oubli »?

Benoît Mandelbrot : Etre en avance sur son temps est romantique mais dérangeant. Etre encore actif quand le temps vous rejoint est très dérangeant.

Arrabal : Pouvez-vous me donner un exemple illustrant  votre pensée:  » quiconque se reconnaît des précurseurs fournit des armes à ses détracteurs »?

Benoît Mandelbrot : Cette « pensée » n’était qu’une « réaction épidermique » à  une situation historique qui n’a pas duré. Sauf circonstances très spéciales, les innovations sont mal reçues. Voici une suite de réactions qui n’est pas universelle mais typique 1) c’est idiot; 2) c’est simplement faux; 3) quelqu’un l’avait dit bien avant; 4) tout le monde le savait; 5) je l’avais moi-même dit (ou alors c’était mon directeur de thèse). Le cas des fractales fut extrême, car j’avais moi-même documenté les moindres précédents imaginables de façon très complète. Il fallait, en effet, répondre d’avance à l’étape 1). Il fallait aussi démontrer 2): tout en étant absolument originale, la théorie des fractales – comme tout ce qui est important – a des racines historiques très profondes. L’ennui: quand le monde en est venu à l’inévitable étape 3), ma liste a rendu la vie plus facile à certains détracteurs. Mais tout cela est du passé. C’est moi – et pas eux – qui allais continuer à découvrir des racines encore plus profondes, mais l’originalité n’est plus contestée.

Arrabal : Croyez-vous que les mathématiques soient un langage?

Benoît Mandelbrot : « Les mathématiques sont un langage » est une boutade très précisément attribuable. Le très grand physicien Josiah Willard Gibbs, gloire de Yale, parlait très peu. Mais il assista à une réunion de faculté où on dissertait des langues vivantes obligatoires. Il a essayé de faire accepter les maths comme langue vivante. Son effort a foiré, mais la boutade reste. Je crois qu’elle a beaucoup de vrai et beaucoup de faux.

 

Arrabal : Pouvons-nous survoler le langage fractal en prétendant que le fractal est une panacée?

Benoît Mandelbrot : Les fractales ne sont d’aucune façon une panacée.  Dans le désordre ambiant, elles fournissent, à côté de l’euclidien, une deuxième clairière de simplicité.

 

Arrabal : Que ressentez-vous (vous qui à 80 ans travaillez tous les jours) en voyant tant de jeunes chercheurs se consacrer à la géométrie fractale?

Benoît Mandelbrot : Un plaisir immense et je fais de mon mieux pour ne pas être en concurrence avec les jeunes.  A la fin des années quatre-vingt, un de mes amis, très fin penseur, m’a flatté en me disant: « Vous en avez de la veine; hier vous étiez une mode, mais aujourd’hui vous êtes devenu un style. »

Arrabal : Que pensez-vous de ceux qui prétendaient que la géométrie était morte à la veille du colossal bond en avant dû à l’informatique?

Benoît Mandelbrot : Rien n’est plus destructeur que les dogmatismes et les idéologies et j’ai tout fait pour éviter d’en ajouter un nouveau. D’ailleurs, dans le contexte de votre question, « prétendre » est un mot faible.  Une fois convaincus que quelque chose est inévitable, les idéologues poussent de tout leur poids pour que leurs prédictions se réalisent.