Jeudi 29 mars paraît un numéro du Monde des Livres qui fera date. En Une, un papier polémique sur l’affaire Merah. Jean Birnbaum, talentueux rédacteur en chef du titre, propose de réfléchir à l’articulation possible, probable, entre Écriture et Terrorisme. Pour ce faire, il invite Marc Weitzmann et Olivier Rollin. Dans deux papiers remarquables, les écrivains dissèquent et analysent le rapport aux mots du terroriste, de la société civile puis de l’écrivain qui, en dernier lieu, s’empare de l’histoire de Merah. En première page, un texte fait couler beaucoup d’encre, celui de Salim Bachi, auteur invité par la rédaction du Monde des Livres. Bachi se met dans la peau de Merah, il nous livre ce que le terroriste aurait pu dire, aurait pu écrire, si seulement ce dernier avait des lettres. Autant vous le dire tout de suite, j’émets une série de réserves quant à la décision du Monde des Livres de publier ce texte principal mais ne disqualifie pas pour autant l’initiative de Jean Birnbaum.
J’ai pu entendre ça et là que le texte de Bachi était mauvais. Ce n’est pas mon avis. Son monologue a le mérite de décrire avec précision la pensée de Merah, un Merah en l’occurrence supposément doué de la capacité de verbaliser son acte meurtrier. Le problème est bien que Merah fût insensible à la littérature sinon il aurait eu conscience du poids des mots, sinon il aurait su, comme le rappelle Marc Weitzmann en citant Mallarmé, que « la seule bombe, c’est le livre ». Bachi signe donc un texte vif, un texte dans lequel Merah se fait passer pour une victime de la société, explique son geste par le racisme, l’islamophobie, le manque d’argent et d’opportunités. Ce sont des excuses faciles. Ce sont les excuses que se trouve Merah lui-même, non celles que Bachi trouve au terroriste. Bachi ne parle pas, Bachi retranscrit simplement une pensée qu’il a par le passé étudiée. Son texte est simple ? Il est aussi simpliste que les pensées de Merah, aussi simplistes que celles d’excités djihadistes se trompant de combat(s) intérieur(s).
Le texte de Salim Bachi n’est pas mauvais. Il est par contre facile. Facile de s’adosser à un évènement dépassant l’entendement pour faire de la littérature. C’est un mal dont souffre cruellement notre littérature : il suffit aux auteurs d’allumer leur télé pour trouver à loisir un tas de sujets d’écriture. Le 12 septembre 2011, ils étaient des centaines, des milliers à verbaliser leurs impressions par écrit (ce qui n’est pas un crime), à inventer de petites, mesquines historiettes à immédiatement imbriquer à la grande Histoire. Il s’agit d’un manque d’ambition flagrant et, à terme, dangereux. Dangereux car en tuant l’ambition littéraire dans l’œuf, en avortant le processus de création et d’imagination, les romans produits ont de facto un air de déjà vu, une proximité avec le réel qui ne donne aucune envie de revivre par écrit ce que l’on a regardé, le soir même, au journal télévisé.
Si politiquement l’invitation faite à Salim Bachi par le Monde des Livres peut revêtir un certain intérêt, littérairement parlant, elle n’en possède aucun. Il aurait fallu faire écrire Bachi dans 6 mois, dans 2 ans, avec du recul ! Avant, c’est un choix indécent ou incomplet. Claustria, le dernier, immense, roman de Régis Jauffret aurait-il rencontré un tel succès s’il avait été en vente, une semaine après la découverte de la cave de Fritzl ? Certainement pas ! L’écrivain, aussi doué soit-il, a nécessairement besoin de digérer l’évènement sur lequel il écrit. Il doit enquêter sur les tenants et les aboutissants de l’affaire dont il s’empare. Il doit se distancier du regard télévisé des chaines d’infos diffusant en continu.
J’identifie donc comme problème majeur celui de la trop grande proximité temporelle entre les événements de Toulouse et Montauban et l’écriture du papier de Bachi. Arrive maintenant le problème annexe. On fait écrire Bachi en sa qualité de biographe de Khaled Kelkal, principal responsable de la vague d’attentats commise en France en 1995. Kelkal dont la trajectoire d’embrigadement ressemble étrangement à celle de Mohamed Merah. Kelkal dont la mort donnée par un équivalent du RAID s’apparente comme par magie à celle du tueur toulousain. Ici pas de certitude mais des questions. Peut-être transpose-t-on trop rapidement les premiers faits sur les seconds ? Faut-il forcement voir en Merah un clone exact de Kelkal ? Le terrorisme islamique répond t-il aux mêmes modalités techniques et mentales en 2012 et en 1995 ? Formuler expressément cette hypothèse par écrit est sinon imprudent au moins très hâtif. Quels éléments peuvent donc expliquer cet empressement ? L’idée que le rédacteur en chef du Monde des Livres ait voulu faire du buzz à travers cet appel de couverture est impossible à ne pas évoquer. Si Birnbaum innove seul et en connaissance de cause, il est le bienvenu : notre pays a grandement besoin d’un souffle nouveau apporté au double exercice de la chronique et de la critique littéraire. Si on lui impose une ligne directrice faite de surenchère éditoriale dictée par l’intérêt économique du moment, il y a tout lieu de s’insurger…
Ce qui sauve l’initiative de Birnbaum est bien qu’il propose de faire réfléchir le public lettré sur le lien écriture-terrorisme. Étudier ce phénomène de près, dans toute son horreur, le verbaliser sans concession ne constitue pas une entreprise inutile. Renouveler son approche pourrait même, à l’avenir, nous être utile. Maladroitement, le Monde des Livres s’est attelé à cette entreprise risquée. J’émets donc une série de réserves quant à la décision du Monde des Livres de publier le texte de Bachi mais ne disqualifie pas pour autant l’initiative de Jean Birnbaum.
Salim bachi est un auteur parfois interessant. Mais son livre sur Kelkal est très mauvais. Et vous ne démontrez pas en quoi son texte sur Merah pourrait être un bon texte. Mais surtout vous ne montrez pas en quoi il est utile. Surtout, je me demande en quoi votre article est utile.