A La Règle du jeu sévit Fernando Arrabal, drôle de petit bonhomme possédant, à l’instar de Joan Miró, Raymond Queneau, Marcel Duchamp, Man Ray, Eugène Ionesco, Jacques Prévert et Boris Vian, le titre de Transcendant Satrape du Collège de Pataphysique. Arrabal, auteur majeur, dont l’histoire personnelle et la grande Histoire nourrissent l’œuvre et dont l’œuvre si riche nourrit, aussi, certainement, l’Histoire. Il faudrait sûrement un livre entier pour raconter la vie d’Arrabal. Reste que l’on peut donner au lecteur quelques clés pour mieux comprendre le personnage. Enfant surdoué, victime collatérale de la Guerre civile espagnole (Arrabal va perdre son père très jeune), il s’initie à l’Art dans une Espagne franquiste qui lui refuse pourtant l’ouverture à laquelle il prétend furieusement. Arrabal résiste, il écrit du théâtre. Au total, ce seront plus d’une centaine de pièces qui verront le jour. Puis il y a cette lettre, trop méconnue en France, que l’auteur adresse à Franco au péril de sa vie. Un choc et sa lecture vous fait prendre toute la mesure des heures sombres de l’Espagne anti-démocratique. Un choc et ces lignes ciselées vous feront prendre conscience de l’immense témoin de notre siècle qu’est Fernando Arrabal. Après l’écriture de cette fameuse lettre, l’année 1967 est celle du procès, de la prison… L’auteur écrit sa légende. Dans le monde entier on prend fait et cause pour lui et voici qu’Arrabal tient sa revanche sur Franco : il deviendra une bête noire pour le dictateur qui le classera parmi les cinq Espagnols les plus dangereux pour sa personne.

Pourquoi ces lignes sur Arrabal, sa vie, son œuvre, aujourd’hui ? Car sort aux éditions espagnoles Anfora Nova ARRABALes, une compilation de textes, de photographies et dessins dont l’auteur est Arrabal lui-même. Douze villes au programme d’un joyeux tour du monde où l’artiste nous présente ses impressions, par bribes. Un tour du monde pour un auteur qui se décrit comme un exilé perpétuel, quoi de plus naturel ? Il faut saluer cette bonne idée de compiler dans un livre quelques pensées, clichés et découvertes comme nous les livre souvent Arrabal sur son blog de La Règle du jeu. Ceux qui aiment l’auteur prendront plaisir à feuilleter cet ouvrage espiègle et pétillant, prétexte au voyage. Les plus jeunes lecteurs, ceux qui ne connaissent pas encore le gagnant des prix Nadal et Nabokov seront plongés dans un tourbillon surréaliste lorsqu’ils se trouveront nez-à-nez avec l’œuvre foisonnante du Satrape en chef. Car voir Arrabal vivre et se mouvoir est une expérience particulière et je dois avouer que je ne boude pas mon plaisir à l’heure d’écrire ces lignes pleines d’admiration. Arrabal est un modèle, à l’exact inverse de beaucoup de nos écrivains timides et lassants. Chez Arrabal il y a un souffle, jamais éteint. La littérature, c’est bien cela : un style, du souffle. Le natif de Melilla va bientôt atteindre 80 ans mais il est pourtant plus jeune que beaucoup de jeunes germanopratins aux idées avariées.

La fraîcheur d’Arrabal se lit dans ses yeux. Arrabal, je l’ai observé. Il a le regard rieur. L’air vif autant que malin. Un petit corps. De belles paires de lunettes colorées. Quelques accoutrements chinois surprenants. Il ne répond pas toujours aux questions qu’on lui pose. Arrabal n’aime pas les cadres, Arrabal les explose.

ARRABALES, Anfora Nova
ARRABALES, Anfora Nova

 

 

 

 

 

 

ARRABALes, Ánfora Nova, 2011, 120 pages, 23 euros