Mustafa Abdeljalil, le président du Conseil National de Transition (CNT), vient de transmettre à Bernard-Henri Lévy, à Benghazi, la déclaration suivante.
Cette déclaration, transmise à quelques heures de la réunion du Groupe de contact sur la Libye, à Doha, énonce les principes sur lesquels les libyens libres ne transigeront pas.
Cet appel est publié en exclusivité avec LEXPRESS.fr
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Le 17 février, le peuple libyen se révoltait après quatre décennies d’oppression et d’injustice et libérait une grande partie du pays au prix de milliers de martyrs, dont les noms nous seront chers à jamais.
Dans la Libye libre en formation, s’ouvrait le règne du droit et de la justice.
Nous avons constitué des comités locaux, puis un Conseil National de Transition, pour conduire à son terme notre lutte sans retour, faire naitre une première démocratie et administrer notre pays exsangue en attendant le jour où toutes les femmes et tous les hommes de Libye pourraient, débarrassés de Kadhafi et de sa famille, s’exprimer enfin au grand jour à travers des élections générales, transparentes et libres.
Aujourd’hui, hélas, le tyran est toujours là.
D’abord sur la défensive, il s’est bientôt ressaisi.
Son armée de mercenaires a repoussé nos combattants devant Syrte.
Ses blindés, son artillerie, ses colonnes infernales les pilonnant en plein désert, nos chebabs intrépides, partis, sans chars ni armement lourd, libérer Misrata encerclée et Tripoli sous la botte, ont dû reculer, subissant de graves pertes.
Sans le secours des avions français qui sauvèrent Benghazi du bain de sang que lui jurait le dictateur, sans l’intervention de la communauté internationale menée par Monsieur Sarkozy et ses alliés, la Libye toute entière retombait dans les fers. Car rien, dans le désert, ne s’oppose aux blindés, sauf depuis les airs. Les avions occidentaux y sont, pour l’heure, souvent parvenus et nous sommes infiniment reconnaissants de cela.
Mais la flotte aérienne de l’OTAN ne peut délivrer les villes occupées où s’abritent désormais les forces de Kadhafi, utilisant les populations civiles comme boucliers humains.
Nous-mêmes, les Libyens libres, n’avons pas encore une force suffisamment aguerrie pour accomplir cette tâche ô combien urgente et vitale pour tous nos concitoyens pilonnés ou réduits en servitude.
Six semaines de liberté ne font pas de milliers de citoyens en armes une armée : il leur faut plus de temps.
Pour l’heure, nous tenons bon. Et, de cela déjà, nous sommes fiers.
Nous ne demandons pas que l’on fasse la guerre en notre lieu et place. Nous ne demandons pas à des soldats étrangers de venir contenir l’ennemi. Nous n’attendons pas que les amis de la Libye libèrent notre pays pour nous. Nous demandons que l’on nous accorde le temps et les moyens de constituer une force qui tiendra en respect les mercenaires et les prétoriens du dictateur puis libérera nos villes.
La communauté internationale, sauf à se déjuger, doit continuer à nous venir en aide, pas seulement grâce aux avions mais sous forme aussi d’équipements et d’armements.
Qu’on nous octroie les moyens de nous libérer, et nous étonnerons le monde : Kadhafi n’est fort que de notre jeunesse et de notre faiblesse de départ ; c’est un tigre de papier ; attendez, et vous verrez.
Il serait injuste, il serait fatal, sous prétexte de cette faiblesse de départ, de vouloir nous sacrifier sur l’autel d’une paix presque sans conditions.
Serait-ce une paix ou, plutôt, une reddition qui ne dirait pas son nom ?
Peut-on raisonnablement négocier avec Kadhafi, ce tyran, quand ses forces, en outre, menacent dangereusement la Libye libre ?
Va-t-on, ici ou là, au nom d’un réalisme aveugle, cette éternelle excuse des partisans de l’abandon, réduire le soutien qui nous a sauvé, le mesurer, et, demain, nous lier les mains ?
La liberté a besoin de temps pour l’emporter.
Nous avons attendu quarante ans que son heure sonne : nous avons besoin d’encore un peu de temps.
J’adjure nos amis étrangers de ne pas compromettre par lassitude ou impatience notre combat pour la Libye libre et, au-delà, pour tous les peuples épris de liberté et de justice.
Les rébellions armées et les « interventions humanitaires »
Alors, qui sont-ils ces rebelles? Qui les arme? Qui les finance? Quels sont leurs intérêts? Ont-ils des liens avec des pays étrangers? Bref, on semble n’avoir qu’une vague idée de la nature de cette rébellion armée, et, pourtant, on la défend dans la presse occidentale, au même titre que les soulèvements populaires non armés en Tunisie et en Égypte.
Il y a eu le « boucher de Bagdad », le « boucher de Belgrade » et aujourd’hui c’est le « boucher de Tripoli ». Toujours la même tactique. Toujours les mêmes sauveurs. Toujours, on n’y voit que du feu.
La version officielle de ce genre d’intervention a hérité du nom de « guerre » ou « intervention humanitaire », que d’autres qualifient à juste titre d’« impérialisme humanitaire ». Rappelons-nous : les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts.
Ceux qui interviennent à l’étranger ne le font pas pour sauver des peuples, mais leurs intérêts économiques et la presse se garde bien de nous expliquer la lutte de pouvoir entre les États occidentaux au pays de Kadhafi, la plus grande richesse pétrolière africaine. (Voir Michel Chossudovsky, L’« Opération Libye » et la bataille du pétrole : Redessiner la carte de l’Afrique, Mondialisation.ca, 22 mars 2011)
Après avoir diabolisé à outrance le chef libyen, les médias se sont empressés de promouvoir la fameuse doctrine du « devoir de protéger » pour venir en aide au peuple libyen, doctrine prônée aussi par les dirigeants en faveur d’une intervention armée aux côtés des rebelles, dont on ne nous révèle toujours pas l’identité.
Plutôt que de remettre en question les raisons de cette intervention et les intérêts de ses partisans, les grands médias ont préconisé l’ingérence, sans savoir qui est à l’origine de la rébellion armée.
La propagande guerrière
Dans un article intitulé « Les règles de la propagande de guerre », le journaliste belge Michel Collon détaille la couverture des guerres par les médias occidentaux et les « règles incontournables de la « propagande de guerre » » :
– diaboliser l’ennemi;
– omettre le contexte géographique et historique;
– cacher les véritables intérêts; et
– éviter d’évoquer les manipulations médiatiques du passé.
Le cas qui nous préoccupe en est un exemple patent.
Lorsque l’on regarde le portrait d’ensemble et le contexte historique des interventions humanitaires, il est clair que cet assaut de l’OTAN sur la Libye n’a rien à voir avec la protection des civils libyens.
Le secrétaire étasunien à la Défense Robert Gates l’a lui-même avoué en entrevue à Meet the Press : les États-Unis sont en Libye pour protéger leurs intérêts : « Non, la Libye n’est pas un intérêt crucial pour les États-Unis, mais nous avons évidemment des intérêts là-bas et [la Libye] fait partie de la région qui constitue un intérêt crucial pour les États-Unis. »
Cet aveu ne peut être plus clair : nous avons des intérêts au Moyen-Orient et c’est pourquoi nous intervenons en Libye, pour protéger nos intérêts au Moyen-Orient.
Toutes ces informations nous révèlent de nombreux des faits cruciaux pour la compréhension de ce conflit et sont disponibles pour quiconque se donne la peine de faire un minimum de recherche. Or, il semble que le rôle de la presse ne soit pas de livrer des faits, mais plutôt, de la propagande.
Que ce parti pris des médias soit volontaire ou non, d’une manière ou d’une autre, le résultat est le même : ils ne font pas leur travail correctement. Encore une fois.
Julie Lévesque est chercheure et journaliste au Centre de recherche sur la mondialisation.