LIBYA HORA ! *

Bernard-Henri Lévy aura été parmi les premiers témoins et acteurs étrangers du Printemps libyen, qui s’est conclu par la victoire à Tripoli des révolutionnaires du CNT, fin septembre 2011, après tant de faits d’armes, tant de sacrifices des chebabs de Benghazi, des défenseurs de Misrata et des rebelles du djebel Nefoussa. Une victoire obtenue avec l’aide militaire de l’Occident -France, Grande-Bretagne, Etats-Unis en tête-, rompant ainsi avec un siècle de non-interventions des démocraties à l’encontre des peuples aux prises avec la barbarie. Abstentions, abandons, lâches soulagements, silences : de l’Espagne républicaine à la Bosnie, du génocide arménien à Srebrenica, du Biafra au Rwanda, de la Tchétchénie au Darfour, le glas sonnait, à chaque fois, pour toute l’humanité, dans l’indifférence des chancelleries occidentales pour ces sacrifiés sans nombres. Tandis que, dans le même temps, le Monde libre se déshonorait à plaisir dans des guerres coloniales (Indochine, Algérie, Angola et ailleurs), des interventions impériales (Vietnam, Irak), se livrait à des opérations policières (Suez, Cuba, Afghanistan) qui restent autant de fiascos politiques et militaires.

L’accumulation des tragédies et des fiascos a fini par brouiller cette dichotomie perverse ; la Realpolitik y a perdu de son monopole et de sa superbe. Du côté des sociétés civiles, années après années, activistes des droits de l’homme, promoteurs du devoir d’ingérence auront œuvré sans relâche à l’insurrection des consciences. L’intervention occidentale en faveur de la Libye, dix ans après le 11 septembre 2001 qui faillit déclencher une guerre des civilisations avec le monde islamique, est la conjonction de ce double mouvement. Le renversement est de taille.

Il l’est pour nous, O combien. Des guerres contre la tyrannie, dictatures intérieures, agressions extérieures, nous avions connu, BHL et moi, le Cambodge, l’Afghanistan, le Kurdistan, la Bosnie, la Tchétchénie, le Darfour. Nous avons vécu aux côtés des combattants, nous nous sommes mobilisés pour des causes qui ne faisaient, en vérité, qu’une seule et même tragédie à épisodes. Lévy a écrit des livres, réalisé des films, monté des rencontres politiques, lancé des campagnes, organisé avec d’autres la solidarité en France. Aucune de ces guerres n’a été gagnée par les peuples en lutte pour leur sauvegarde et notre liberté à tous, abandonnés qu’ils furent constamment à eux-mêmes. Aucune ne s’est terminée par la victoire du droit et de la justice. Nous étions tous, « Eux » et nous avec eux, abonnés aux causes perdues.

9782246790846Pour la première fois, là, dans cette affaire libyenne, la victoire sur l’inacceptable aura été au rendez-vous. Pour la première fois, le droit d’ingérence, pour lequel nous avions tous plaidé depuis vingt ans, a été appliqué par l’Occident, et avec quel succès ! Effacée, pour partie, l’amertume accumulée depuis si longtemps. L’impuissance à répétition qui fut notre lot à tous a été battue en brèche. Les purs individus que nous étions en Libye n’aurons pas fait, cette fois, que témoigner (jadis, c’était avec le sentiment que, fors l’honneur (la belle affaire !), ça ne servirait à rien ; on ne ferait pas bouger les lignes, ou si peu. Le comble fut atteint quand Massoud vint en France et qu’un certain président Chirac lui tourna le dos.) L’action en Libye a été possible, très tôt, et dans l’urgence ; elle a été utile ; elle a porté effet jusqu’à la fin de cette aventure improbable. Cette guerre, cette victoire, Lévy les aura un peu, beaucoup, écrites à la place qui fut la sienne, intellectuel en actes, intervenant jusqu’au terme de ce grand Jeu militaro-politique, armé de ses seules convictions et d’une détermination sans faille, consignant les faits dans un Journal de bord, La guerre sans l’aimer, chronique des évènements à verser au registre de l’Histoire en train de se faire, la petite et la grande, sur les côtes et les déserts de Libye. Sans autre mandat que de lui-même, il aura joué un vrai rôle. Il aura été, six mois durant, un acteur en rien secondaire de ce grand Jeu entre l’Occident enfin solidaire et un monde arabe en quête de liberté, homme de terrain sans relâche, soutenant flamme au vent l’un des deux camps en présence.

Cet interventionnisme excède le rapport consacré des intellectuels français à l’engagement, ces préposés aux idées nobles, brocardés depuis l’origine par les sceptiques et les cyniques en belles âmes aux mains blanches, rares, au plan individuel -faute d’autres armes que leur parole en place publique- à s’impliquer dans une action directe, à donner à leur engagement et leurs appels à l’opinion une traduction plus concrète, les incarner et les authentifier en propre en se portant eux-mêmes là où se joue la cause qui est la leur. Race des Seigneurs, pétitionnaires professionnels, intellectuels en chaises longues, combattants par procuration, bateleurs de tréteaux, beaux parleurs médiatiques, stratèges en chambre, conseilleurs mais pas payeurs : la liste des sarcasmes sur l’engagement des intellectuels est longue. Reste que cette fois, on était plus près du parti de ces écrivains d’hier et d’autrefois s’investissant corps et âme dans une guerre fut-elle lointaine, tant la cause leur paraissait essentielle et leur faisait devoir, au plus profond d’eux-mêmes, de rallier ses défenseurs sur place, de s’immiscer au cœur de la mêlée. On était plus près du modèle de ces aînés de légende que furent Byron, d’Annunzio, Lawrence, Malraux, Orwell, Char ou Gary, hommes d’idées et de mots requis par une nécessité plus haute que leur seul magistère de lettrés, s’ingérant dans la guerre, fusil, stylo, caméra en main, la faisant sans l’aimer. Lévy, en Libye, y fut à leur exemple. Souvent à leur image.

Voici les épisodes de cette guerre de libération de la Libye où Bernard-Henri Lévy aura joué un rôle qui ne fut pas mince, moments que nous avons partagés ensemble ces six mois qui ont changé le monde arabe. (Se reporter à son Journal de Libye, La guerre sans l’aimer.)

L’aventure libyenne commence pour Lévy et moi à l’aéroport du Caire, fin février 2011, au retour de la fameuse place Tahrir, la place de la Liberté, le cœur battant de la révolution égyptienne. Les écrans projetaient des raids d’avions piquant sur les manifestants à Tripoli. Le carnage en direct, Kadhafi martyrisant son peuple, les images étaient insoutenables. La passion de la Libye ne nous a plus quitté.

Quelques jours plus tard, via l’Égypte, nous gagnons la frontière libyenne, où s’entassent des milliers de travailleurs étrangers, femmes et enfants compris, fuyant les combats. Via Tobrouk, par des moyens de fortune, nous arrivons à Benghazi, à peine libérée des milices kadhafistes, au prix de 300 morts civils.

Départ pour Brega. Le front est relativement calme. Première rencontre avec les chebabs, ces jeunes combattants improvisés, aussi intrépides qu’inexpérimentés.

Le français BHL, en Libye, est inconnu. Nous nous frayons une entrée au Supreme Court, sur la Corniche de Benghazi, où siègent dans une effervescence permanente des commissions municipales incluant des membres du CNT, le Conseil National de Transition. Nous sommes bientôt présentés à un petit homme sans relief, le chef des rebelles, Mustafa Abdeljalil. Le Président du CNT dresse un tableau alarmant de la situation, dépeint l’impuissance des révolutionnaires libyens face aux blindés et aux avions de Kadhafi. L’urgence est telle que Lévy propose ex nihilo d’appeler la France à l’aide. Mustafa Abdeljalil fixe ce Français singulier, ni diplomate ni émissaire, acquiesce à l’idée d’envoyer une délégation à Paris plaider la cause de la Libye libre.

BHL contacte, difficilement, l’Elysée, premier appel d’une longue série avec le Président français. Saisissant la balle au bond, Nicolas Sarkozy lui assure qu’il recevra lui-même les émissaires libyens ; ce qui vaudra reconnaissance du CNT. On va pour pavoiser. BHL transmet la réponse, le CNT remercie chaleureusement. Mais veut en préalable une déclaration officielle de la France. Vous nous reconnaissez hic et nunc ; nous ne bougerons pas sans. C’est la charrue avant les bœufs. BHL avance que le Président français recevra en personne… Rien à faire. C’est à prendre ou à laisser. Ce quitte ou double d’un CNT à peine né, aux forces très inférieures à celles de Kadhafi, quasiment inconnu à l’étranger, reconnu par aucun Etat, pays arabes inclus, va-t-il réussir ? Tout compromettre ? Pour peu que le Quai d’Orsay l’apprenne et s’en émeuve… Rappel embarrassé à l’Elysée de BHL, contraint de plaider ce forcing inédit. Sarkozy réserve sa réponse. Quelques heures plus tard, des milliers de Benghazis envahissent la Corniche : « Merci la France, merci Sarkozy ». Paris vient de reconnaître « blind » le CNT seul représentant du peuple libyen. Kadhafi out. Nous pavoisons avec nos amis libyens.

Les choses se sont enclenchées ainsi. Elles ne s’interrompront plus jusqu’à la fin.

10 mars, Sarkozy reçoit à l’Elysée -BHL qui a originé cette rencontre, la détaille dans son livre- les trois envoyés du CNT, les assure de l’assistance militaire de la France et, au-delà, de sa volonté d’internationaliser le soutien à la rébellion libyenne. Le CNT est reconnu officiellement par la France. Juppé, Ministre des Affaires étrangères, écarté du making off franco-libyen à la suggestion de BHL qui n’a oublié ni le sauvetage des génocideurs hutus au Rwanda en 1994 ni le veto en 1995 à une opération en route pour Srebrenica, apprend, sidéré, la reconnaissance du CNT, à Bruxelles. Le Quai d’Orsay ne cessera plus de tirer à boulets rouges sur Lévy (électron libre ; va-t-en guerre ; de quoi je me mêle ?). Imperméable aux petites phrases, Sarkozy maintiendra de bout en bout un lien privilégié avec le philosophe en guerre. De même le CNT.

Les jours suivants sont une course de vitesse entre les chars de Kadhafi qui progressent vers Benghazi, la ville rebelle promise par le fils du dictateur à être punie dans des rivières de sang, et la communauté internationale mobilisée au pas de charge, chef d’Etat après chef de gouvernement, par Sarkozy, auprès de qui BHL répercute les SOS de plus en plus pressants de Benghazi, d’où la population fuit en catastrophe. Le 17 mars, à l’initiative de la France, le Conseil de Sécurité vote dans la nuit la fameuse Résolution (Russes et Chinois suspendent leur veto) qui donne mandat à la communauté internationale de protéger les populations civiles libyennes. Le 19, les avions français frappent la colonne de chars aux portes de Benghazi, sauvée in extremis. De nouveau, sur la Corniche, des milliers de Benghazis crient « Merci Sarkozy ! »

L’intervention aérienne de l’OTAN est lancée, France et Grande Bretagne en tête. Elle sera décisive.

Entre autres actions, BHL jouera un rôle moteur, au fil de ces sept mois que va durer la guerre de Libye, dans quatre épisodes : l’unité des tribus libyennes ; les Libyens à Paris ; l’Afrique et Kadhafi ; le soutien à Misrata.

Face aux belles âmes et aux aventuristes que seraient les interventionnistes pro-CNT, un des leitmotivs des opposants au soutien de la France (ne sentez-vous pas, naïfs que vous êtes, ces relents néo-colonialistes et pétroliers ?) aux rebelles libyens (plus que divisés entre Est et Ouest libyens, libéraux et conservateurs, ex-kadhafistes, et exilés), outre leur faiblesse militaire (chebabs = zozos) qui nécessiterait une intervention terrestre (nouvel Irak en perspective), outre le coût des opérations (bonjour nos finances !), outre les interrogations sur ce CNT ( sans visage) et sur les islamistes au sein des rebelles ( 20, 30, 40 % ? ; forcément en embuscade), était que la Libye, loin de former une nation, constituait une mosaïque de tribus rivales, -sans compter l’irrédentisme de la Cyrénaïque-, et que la victoire des rebelles et l’instauration de la démocratie entraineraient une dislocation de fait de la Libye, que seule la férule de Kadhafi avait tenu unie. C’est en réponse à ce présupposé que 32 chefs des principales tribus libyennes nous accueillent début avril, dans les faubourgs de Benghazi, et signent en grande cérémonie, BHL faisant office de scribe, un Appel des Tribus, qui proclame solennellement leur attachement indéfectible à l’unité de la Libye, Appel qui sera ratifié dans la foulée par la quasi-totalité des tribus libyennes, y compris des zones aux mains de Kadhafi, et publié par les soins de Lévy dans la presse internationale. Cette première bataille idéologique livrée, l’argument de la dislocation disparaitra de la scène.

Restera jusqu’au bout celui du danger islamiste, que jugulait Kadhafi dans le sang, et que, oppose-t-on ici et là, la révolution pourrait bien, à son terme, libérer au grand jour. BHL ne cessera de s’enquérir sur les islamistes libyens, rencontrera les ex-djihadistes de Derna, et tiendra ferme au pari d’un Islam des Lumières largement majoritaire. Il revient à plusieurs reprises dans son ouvrage sur les allusions par Mustafa Abdeljallil et le CNT, à côté des Droits de l’homme et des libertés démocratiques, de conscience et de religion, à la charia, proclamée « source principale de la loi », dans un pays jusque-là sans constitution, ployé à la seule loi du Maître, à ses foucades, sa cruauté, son bon plaisir. BHL s’en ouvrira longuement, la veille même de la chute de Tripoli, au chef du CNT qui réaffirme avec force la volonté du Conseil National de Transition de bâtir un Etat de droit, fondé sur des élections libres, respectant la liberté des cultes, l’indépendance de la justice et se réclamant des principes de la démocratie

D’avril à juillet, BHL jouera les bons offices pour que se succèdent auprès de Sarkozy et des autorités françaises le chef du CNT, le général Younès, chef des forces rebelles, accompagné du chef des chebabs libyens et enfin, après bien des péripéties, les responsables militaires de Misrata encerclée, plaidera inlassablement la cause de la Libye à l’Elysée et dans l’opinion, face à l’ami Claude Lanzmann, à Jean-François Kahn, Roni Braumann et aux nombreux tenants de « l’enlisement », qui furent non loin de l’emporter à la suite de l’assassinat mystérieux du général Younès, été 2011, et montant en épingle le piétinement des rebelles devant Brega.

BHL se dépensera avec la même détermination auprès du Président du Sénégal afin qu’il engage les Etats africains à rompre avec Kadhafi, qui, fort d’avoir gangréné les pays du Sahel de ses pétro-dollars, y puise ses mercenaires et appelle à un sommet africain contre « l’agression occidentale ». Wade reçoit les envoyés du CNT, rompt avec Kadhafi, bientôt imité par la plupart des Etats africains. Finis les médiateurs pro-kadhafistes ; et il n’y aura pas de Sommet de la dernière chance pour le mégalomane ubuesque qui se proclamait « le Roi des rois traditionnels de l’Afrique. »

Misrata, à 200 kilomètres à l’est de la capitale avait héroïquement résisté aux chars de Kadhafi qui l’éventraient, les repoussant jour après jour, carrefour après carrefour tout au long de Tripoli Street, l’artère centrale de la ville, un mois et demi durant, au prix de 1600 morts, de milliers de blessés et de destructions sans nombre. Ce bastion de la liberté restait totalement encerclé. Nous nous y rendons depuis Malte, sur un bateau plus ou moins de fortune et passée une interception surréaliste en pleine mer par les hélicoptères de l’OTAN. On découvre une ville martyrisée, encombrée de carcasses de chars. Mais on découvre aussi ses défenseurs victorieux, qui nous emmènent sur les fronts à trente kilomètres tout autour de la ville. Ils ont gagné la bataille de Misrata, quand, à six cents kilomètres à plus à l’est, leurs homologues, les chebabs de Benghazi, piétinent depuis des semaines devant Brega. Eux sont aux avant-postes de la révolution, à deux cents kilomètres de Tripoli. Et ils ne rêvent que de revanche, et de la libérer. Ils ne cessent de marteler à BHL : que les hélicoptères français et anglais nous viennent en soutien, et nous balaierons les lignes kadhafistes ! Transmission est faite du message, de retour à Paris. Fin juillet, BHL présente à Sarkozy les officiers libres de Misrata, venus enfin plaider leur cause. Quelques jours plus tard, les hélicoptères alliés entament leurs raids de nuit. Et de fait, ce sont le combattants de Misrata qui, un mois plus tard, enfonceront les lignes kadhafistes, prendront par revers, de nuit, depuis la mer, les défenses de Tripoli et entreront les premiers dans la capitale en état d’insurrection. Et nous entrerons les premiers dans Tripoli au lendemain même de sa libération, avec une colonne venue de Misrata. BHL dira son émotion devant des chebabs tirant de joie à tout vat des salves vers le ciel, d’être sur la Place verte libérée, après tant d’attente.

L’aventure libyenne se terminera provisoirement pour BHL et moi-même à la mi-septembre 2011, sept mois après avoir commencé sur des images atroces à l’aéroport du Caire. Elle se terminera sur de toutes autres images : une foule en liesse sur la Corniche de Benghazi salue follement Sarkozy et Cameron.

La tâche est faite. S’ouvre le temps du récit et de la politique. La guerre sans l’aimer, Journal d’un écrivain au coeur du printemps libyen, l’inaugure, en ce qui concerne BHL.

Que deviendra cette révolution, qui fut belle durant cette guerre de libération ? Tiendra-t-elle ses promesses de liberté et de démocratie ?

Quelques semaines plus tard, Kadhafi trouve une mort ignominieuse à Syrte, qui révulse, par son atmosphère de lynchage, les meilleurs alliés de ces chebabs, demeurés dans leur immense majorité irréprochables jusqu’au terme des combats. Lévy condamnera publiquement ce dérapage et ce spectacle inacceptables. Quelques jours plus tard, à Benghazi, le chef du CNT, lors de la proclamation de la libération du pays, devant la foule rassemblée pour ce moment historique, se met, en fin de discours, à prôner la charia, la polygamie, et réclamer l’abolition du divorce, jetant, à dessein ou dans l’euphorie du moment, un pavé dans la mare à l’encontre des alliés occidentaux de la veille et une pierre de belle taille dans le jardin des libéraux libyens. L’homme représente une fraction de l’opinion libyenne, mais son pouvoir est limité (le CNT est un organisme de décision collégial), il ne contrôle en rien les mille et une brigades, largement autonomes, qui forment l’armée rebelle, et c’est l’Assemblée constituante à venir qui déterminera le caractère laïque ou religieux de la Constitution et de l’Etat libyens. Cette déclaration tonitruante est le prix à payer de la démocratie naissante, ce régime de liberté tous azimuts et de discorde, dont les extrêmes, les radicaux, les fous de Dieu et autres obscurantistes peuvent désormais user de plein droit, à l’égal de toutes les forces quelles qu’elles soient. Reste que la lutte commence sur les chapeaux de roue, pour les démocrates libyens, les tenants d’un Islam des Lumières et tous leurs amis étrangers. Il y a huit mois d’ici les élections 2012 à la Constituante pour faire que le Printemps libyen, qui eut raison de Kadhafi, l’emporte, ici, sur ses piètres gardiens.

Nul, parmi les amis de la Libye, n’a à s’interroger, et BHL moins qu’un autre, d’avoir contribué à la chute du tyran et la libération du pays. Il appartient maintenant aux démocrates libyens de gagner une partie qui s’annonce difficile, et, face à de nouveaux périls, nécessite notre aide.

Gilles Hertzog

* Vive la Libye libre !

4 Commentaires

  1. P.-S. : Pardon pour ce «t» à l’encre que visiblement je n’ai pas pu m’empêcher de boire jusque dans votre nom, monsieur Hertzog!

  2. Je sais, je suis naïf. Je sais, je suis bébête. Bébête jusqu’à la bébêtude. Naïf jusqu’à la naïvetude. Je sais, il est trop tôt pour attendre quoi que ce soit d’autre que ce à quoi l’on doit s’attendre quand on feint d’ignorer ce que l’on est supposé ignorer. Mais il sera toujours trop tôt avant qu’il ne soit trop tard.
    J’aimerais, profitant que le passage dans le trou noir s’attarde, les intentions qu’on me prêtera percuteraient-elles mes antipodes, m’arrêter un instant sur la rencontre avec Avigdor. Non pas à l’argument de la trahison, Moubarak n’a jamais porté Israël dans son cœur. Souvenons-nous de l’affaire de la présidence de l’UNESCO et de ce qu’elle soulevait de rage antisémite. Un seul coussin ne l’eût pas étouffée. Une seule offre plus alléchante venue d’un empire capable de renverser le rapport de force qui aux dernières nouvelles n’a pas encore donné l’avantage aux prétendants au trône d’Amérithaque, et l’odeur de sainteté où était tenue, d’un capodastre à pince, les somptueux accords de Camp David se transposait en p(uant)eur! Je suis d’accord avec vous. La très ancienne peur d’Israël peut alourdir le radeau de la paix. Je la ressens très fortement, cette peur, mais je ne suis pas sûr de me faire bien comprendre lorsque je dis l’avoir. Car je n’ai pas la peur d’Israël au ventre, mais au cœur et à l’esprit. La peur qui noue l’estomac c’est la peur que les nations inspirent à Israël. La peur qui réveille les passions et la raison et les lui fait fusionner au sein d’une intuition puissante de ce qu’il est et doit demeurer, c’est la peur qu’Israël inspire aux nations, laquelle judéophobie rampante et mutante l’assigne à résidence surveillante perpétuelle. Je ne suis pas très friand des vues pessimistes de l’homme au flair bruyant, mais je dois dire que je ne vois guère de différence entre sa position et la paix sèche que Benny exposait à Edwy dans Le Monde des idées. Nul ne peut présager des variations chromatiques que la lumière du printemps aurait fait naître dans la mosaïque postmaoïste, ni dans un sens ni dans un autre. Il y eut pourtant positionnement. Et quand on sait d’où il parlait, ce positionnement mérite sans doute un temps d’étude…
    J’aborde donc et sans l’attendre l’objet inabordable. L’objet qui en des temps athéologiques, où n’importe quel culte qu’Hippolyte checke dans l’Elenchos deviendra source d’émerveillement et d’appétence au ventre d’un moralisme antijudéo-chrétien que ce nouveau prêt-à-porter philosophique nous sert à toutes les sauces, cet objet qui devient chaque jour un peu plus onfrayant que la veille. Le mot de trop était un mot juste à défaut d’être celui d’un juste. Bien sûr, «nous, – et par «nous» j’entends le Guide de la Jamahiriya, – n’avons pas attendu B.H. Lévy pour inventer le monothéisme», il «nous» avait fallu attendre des Hébreux du VIe siècle av. JC fuyant dans toutes les directions l’éboulement de leur temple pour en découvrir l’invisibilité. Or l’Électeur seul sait ce qu’Il leur fera endurer jusqu’à ce que Son allégorique implication dans la Shoah oblige l’Église à reconnaître la judéité de ceux que ses Pères nommait par leurs noms, les seuls Juifs désignés comme tels étant dans leurs bouches d’or ceux qui avaient mis un tiers de Dieu à mort. Tant que les religions wikipédiabrahamiques persisteront à ignorer où, quand, comment et qui d’entre les patriarches, les prophètes, les juges et les rois d’Israël donnera un jour son nom aux Israelim, et repousseront au lendemain du lendemain la rémanence de leur Révélation, – la persistance d’un phénomène procède de la disparition de son stimulus, – réconciliant ainsi celui qui en est l’objet et celui qui en fut le sujet avec la sève de séduction qui vous fait vous retourner sur vous-même, qu’on la fasse en l’aimant ou non, la guerre durera. Or la guerre doit se taire si elle sait nous faire taire.

    COMMENT «TAIRE»?

    Ce livre est un tatouage sur l’épaule de Libya. Si jamais elle en arrivait un jour à se faire peur au point de ne plus dévoiler un seul grain de sa peau, la belle délurée n’aurait aucun moyen d’effacer sa gravure charnelle dans cet éclat tranchant du miroir de Wilson et Penzias.
    Nous avons vu Lévy et Herzog partageant un même thé à l’encre avec des hommes connus pour être parmi les plus furieux adversaires d’Edôm et d’Israël, puis gravissant ensemble une montagne de sable entre deux tempêtes. Nous avons espéré à peu près autant qu’eux, parce que nous le faisions à travers eux et qu’ils le faisaient en notre nom, que leur démonstration de nos bonnes intentions envers ceux-là même qui auraient pu nous détester s’ils s’étaient laissé persuader par d’autres que nous les détestions, modifierait durablement la nature des relations entre la Libye et le monde occidental mais surtout, entre la Libye et Israël, une telle perspective pouvant attirer à sa source tout retraceur de lignes de fuite dont nous savons qu’un cadre, de loi ou de quoi que ce soit, ne les coupera jamais de leur mer. Cet espoir ne doit pas s’évanouir. Ces hommes, ces femmes avec lesquels nous-vous avons-avez accepté de partager un sourire, nous-vous les sommes-êtes pour eux, des hommes, des femmes avec lesquels ils ont accepté de partager un sourire. À l’heure où le président de l’État hébreu envisage des frappes préventives contre les installations nucléaires de l’Iran, pouvons-nous espérer qu’un lien beau et puissant, un lien humain que nous vous avons vu nouer avec les martyrs du tigre de papier froissé, va désormais, après que nous laissâmes ces derniers pénétrer les premiers dans l’ascenseur de notre tour en feu, alors que nous restons coincés à l’étage angoissant de notre suprématie, servir à quelque chose?
    Nous devons, au présent, leur faire savoir ce que nous attendons d’eux. Et en l’état actuel des choses il n’existe aucune raison valable pour que ceux qui sans nous seraient déjà morts cent fois nous fassent attendre une minute de plus avant de proclamer, avec nous, et avec autant de force que nous l’avons fait avec eux quand il s’est agi de leur propre bourreau, leur condamnation de la violation par l’Iran du Traité de Non-Prolifération.
    Nous devons leur faire savoir, et pourquoi pas une rose au poing! que nous attendons d’eux d’une minute à l’autre qu’ils reconnaissent officiellement l’État d’Israël en gage de notre amitié future et en échange de la préservation de notre soutien à une cause que nous voulons continuer d’estimer juste.
    Nous leur faisons savoir, alors que s’ouvre ici le procès du scorcesemment dit «mythe» du terrorisme des années 1970 et 1980 : Ilich Ramirez Sanchez, que nous patienterons jusqu’à ce qu’ils se prononcent clairement sur leur définition du terrorisme employé à des fins religieuses et/ou politiques. L’assassinat aveugle atteint par définition une entité indéfinie dont il ne peut cibler que l’être qu’elle représente et non les faits qu’il lui reproche, lesquels faits s’ils étaient avérés criminels et quand même un ou plusieurs témoins en désigneraient le ou les auteurs, devraient sous n’importe quel ciel être passés au crible devant un tribunal (humain compris). Ainsi profilé, l’attentat terroriste doit être jugé comme crime contre l’humanité, ceux qui y ont recouru requérant une place de choix dans le collimateur de la CPI.
    Et si Abdelhafid Roka, vice-président du Conseil national de transition, clame que «Le CNT n’entretiendra jamais des relations avec Israël», n’est-il pas temps d’aller fouiller dans les ordures du sous-sol, de se retrousser les manches, d’y plonger jusqu’à la raclure, et de tenter d’en sauver le nom, puis le visage de l’homme du 31 mai, antihéros mankiewiczien assis au bar du grand hôtel sans nom, personnage calque posé sur des rushes «en gants blancs et en chapeau», personnage crucial et donc invisible, occulte d’être occulté, jeté par-dessus bord depuis la poubelle d’étage des mémorialistes, personnage que l’on retrouvera un jour dans le chantier archéologique que l’on entreprendra sur le site d’une décharge municipale du XXIe siècle? Il y disait ce que tant d’autres, ici et là, pour des raisons aussi divergentes que convergentes, eurent plaisir à voir contredire : «Nous serons très attachés à ce que soient enfin respectés les droits inaliénables de nos frères palestiniens. Mais nous entretiendrons des rapports civilisés, normaux, avec nos voisins, tous nos voisins, et donc, aussi, les Israéliens.» Un démocrate est en droit de savoir pour quoi on l’invite à donner son suffrage. Le peuple libre possédera le moyen d’identifier lesquels d’entre les présidentiables de la Libye libérée offrent aujourd’hui les meilleures garanties pour que VIVE LA LIBERTÉ libyenne.

    • Aucune trace d’Abrahâm dans les cultes préchrétiens de l’actuelle chrétienté.
    • Aucune trace d’Abrahâm dans les cultes préislamiques de l’actuelle Oumma.
    • Le refus de dresser le constat de ce que l’on a sous le nez doit nécessairement avoir sa raison d’être. Quelle en est la finalité?

    «Bof! Mais qu’est-ce que ça peut bien faire… On n’a qu’à se contenter de faire la paix entre Français et Libyens et continuer de faire la guerre entre Libyens et Israéliens!
    – Mais la guerre avec Israël n’est plus négociable depuis que l’Europe a cessé d’exterminer Israël.
    – Tout ça because Vatican II.
    – Mais alors, sans un concile Mecque I, aucune chance de mettre fin à la faim des fins?
    – Bof! Mais qu’est-ce que ça peut bien faire… On n’a qu’à se contenter de faire la paix entre Français et Libyens et continuer de faire la guerre entre Libyens et Israéliens!
    – Mais la guerre avec Israël n’est plus négociable depuis que l’Europe a cessé d’exterminer Israël.
    – Tout ça because Vatican II.
    – Mais alors, sans un concile Mecque I, aucune chance de mettre fin à la faim des fins?
    – Bof! Mais qu’est-ce que ça peut bien faire… On n’a qu’à se contenter de faire la paix entre Français et Libyens et continuer de faire la guerre entre Libyens et Israéliens!
    – Mais la guerre avec Israël n’est plus négociable depuis que l’Europe a cessé d’exterminer Israël.
    – Tout ça because Vatican II.
    – Mais alors, sans un concile Mecque I, aucune chance de mettre fin à la faim des fins?»

  3. Une remarque sur cet article intéressant: l’expression « Islam des lumières », peu définie, renvoie de manière plus ou moins consciente à une Andalousie rêvée où Averroès, héros d’une nouvelle de Borgès, médite sur la tragédie et la comédie.
    En pratique et dans le monde d’aujourd’hui, l' »islam des lumières » – a supposé qu’il ait jamais signifié quelque chose par le passé – n’a pas d’existence dans les pays arabes. Les habitants de ces pays sont dans leur écrasante majorité musulmans, c’est un fait. Il y a parmi eux ceux qui pensent que la religion doit jouer un rôle central en politique: ce sont des islamistes, plus ou moins adeptes de la contrainte et de la violence, mais qui ne sauraient en aucune façon être rapprochés des « lumières ». Et puis il y a les partisans d’un régime non religieux (qu’ils soient libéraux, socialistes ou communistes), qui ne mettent pas en cause l’identité islamique du pays mais qui refusent d’en faire un cadre politique.
    En utilisant la notion attrape-tout d' »islam des lumières », on mélange les deux et on arrive à la notion paradoxale d' »islamistes modérés ».

    Enfin, on peut s’étonner de l’absence de la moindre référence à la destruction des villes de Syrte et de Bani Walid, vidées de leurs habitants, ainsi qu’au chiffre de 50 000 morts avancé par le CNT en bilan de la guerre. S’ils ne suffisent pas à remettre en cause le bien-fondé de l’intervention, ces deux éléments devraient quand même conduire à s’interroger sur l’adéquation entre le but poursuivi – la protection des civils – et les moyens employés. Pas forcément pour remettre en cause le choix d’intervenir – juste pour introduire une certaine dose de distance, une fêlure dans ce contentement qui, même s’il s’agit de faire la guerre « sans l’aimer », peut conduire à une auto-satisfaction excessive – qui pourrait bien être démentie par la suite des événements. En Iran aussi, la révolution contre le shah fut le fait de jeunes gens modernes et notamment de partis de gauche provisoirement alliés aux mollahs. Ce sont ces derniers qui raflèrent la mise.

    Prudence donc: après avoir qualifié de délire les accusations contre les rebelles d’être affiliés à Al Qaeda, nous avons vu l’un des anciens commandants de la franchise libyenne de cette organisation – repenti, espérons-le – prendre la tête de la brigade qui séjourne à Tripoli. On peut espérer que les financiers externes – Qatar en tête – favorisent les forces modérées. Mais il serait malhonnête de crier victoire aujourd’hui et de se laver les mains de ce qui suivra (au prétexte que les Libyens sont désormais « maîtres de leur destin ») – si jamais le chaos devait suivre. En intervenant aussi massivement en Libye, en livrant des armes à certaines factions et en promouvant certains interlocuteurs, la France est devenue responsable de la suite, en bien comme en mal. Espérons que ce sera en bien.