Samedi 12 septembre 2009, il y a foule dans le centre ville d’ordinaire paisible de Washington DC. Des dizaines de milliers de personnes venues de tous les États-Unis défilent pour dénoncer la politique du président Barack Obama et notamment son projet de réforme du système de santé. Dans la foule, on voit le portrait d’Obama transformé en Joker avec comme légende un mot lourd de sens Outre-Atlantique, « Socialist ». Certaines pancartes sont encore plus claires : « Send him back to Kenya »… Qu’il semble loin l’enthousiasme de la convention démocrate lorsqu’on sent aujourd’hui le climat malsain qui règne lors des manifestations anti Assurance maladie. Et pourtant, l’été dernier à Denver, les États-Unis ont donné au monde une parfaite leçon de démocratie ; si la convention démocrate semblait être parfois le prétexte à une gigantesque « party », elle fut surtout le rendez-vous d’une Amérique progressiste, résolument tournée vers son avenir. À ce titre, Denver 2008 peut être considéré comme un tournant dans l’Histoire politique américaine et bien plus encore… C’est à ce moment-là que Barack Obama a marqué les esprits et commencé à mériter son Prix Nobel de la Paix. On parle en effet de 15000 reporters venus dans le Colorado pour couvrir la plus gigantesque des conventions politiques que l’Amérique ait connue. Telle une véritable Bourse aux idées, la capitale du Colorado, nichée au cœur des Rocky Mountains fut pendant une grosse semaine le lieu d’intenses débats, de rencontres enrichissantes et de manifestations parfois originales. Ce fut surtout un forum géant pour tous ceux qui ont des idées pour les États-Unis et souhaitaient les faire partager.
L’ « Obamania » s’était emparée de l’Amérique. Sûrement excessive, elle eut pourtant le mérite de remettre le débat politique au centre des préoccupations populaires. Les commentateurs eurent beau critiquer ce qu’ils décrivirent souvent comme de la politique spectacle, il n’en demeure pas moins que les américains discutèrent et s’opposèrent pour de bon à l’occasion de la dernière élection présidentielle US. Ainsi, loin des cliches, la démocratie américaine nous prouva une nouvelle fois sa vitalité en prenant parfois les traits d’une Athènes antique transposée au XXIe siècle ; un endroit où le débat politique est constant et l’intérêt des citoyens pour la chose publique exacerbé. Même les SDF – par essences exclus du système et en marge de la société – étaient vêtus du tee-shirt de campagne du candidat démocrate. Tout un symbole !
Si les discussions allaient bon train dans les rues de la très Rock Mile-High City, le débat fut également omniprésent dans les cercles plus exclusifs, think tanks et lobbies en tête. Ainsi le think-tank New America, une des organisations les plus dynamiques en ce qui concerne la proposition d’idées, invitait Joschka Fisher et John Kerry à disserter sur les relations Moyen-Orient /USA et l’opportunité d’une alliance avec « l’autre Géant », l’Inde. Dans les parcs et les cafés de Denver, les discussions entre professeurs de l’Ivy League et badauds allaient bon train et frappaient surtout par leur spontanéité. Autre débat, celui crucial sur la question de l’indépendance énergétique occupait une place centrale dans la campagne 2008. Hyperactif, le lobby du Charbon proposait tout au long de la semaine de Convention séminaires et interventions télévisées pour proposer son plan d’action « CLEAN COAL » visant à réduire la dépendance énergétique étatsunienne vis-à-vis de l’étranger.
Même dans la sérieuse Washington, on se prit à rêver. La candidature de Barack Obama alors sénateur de l’Illinois et désormais premier Président métisse scellait un peu plus la réconciliation communautaire en même temps qu’elle ouvrait un nouveau volet de l’Histoire américaine. « Saga Continues » pouvait-on d’ailleurs lire sur les pancartes des électeurs démocrates. Même si l’on n’efface pas d’un revers de la main un passé d’esclavage et de ségrégation, les États-Unis semblent de plus en plus s’approcher d’un modèle post-racial inédit : les communautés se côtoient bien plus que par le passé et l’émergence récente d’une bourgeoisie noire a modifié en profondeur la perception des rapports ethniques aux USA. Les chiffres témoignent de cette avancée. Dans le New-York Times, Janny Scott indique le nombre de 10 000 élus noirs aux États-Unis. Comme un symbole, quarante-cinq ans après l’historique I Have a Dream de Martin Luther King, c’est Martin Luther King III, fils du célèbre pasteur, qui ouvrit la soirée d’investiture de Barack Obama. Lors de ce show à couper le souffle, ce sont succédés sur scène discours et mini concerts. Bienvenue dans une autre dimension ! En comparaison, les meetings de Royal et de Sarkozy ressemblent à des spectacles pour enfants! Voyez plutôt : les interventions des poids lourds du parti démocrate Al Gore, Joe Biden et Nancy Pelosi étaient entrecoupées par les performances hallucinantes de Stevie Wonder et des Black Eyed Peas. Dans le stade de foot US des Denver Broncos, 80 000 personnes chauffées à blanc reprenaient en cœur le très à propos « A change would do us good » de Sheryl Crow et promouvaient une Amérique du changement, en rupture totale avec la politique bushiste de l’après Clinton. Entre temps, le bouillant public de l’Invesco Field entonnait tour-à-tour des « We Want Change », « We Make History » et des « Yes We Can » dans un enthousiasme étonnant même les habitués de ces grandes messes politiques.
Mais pour des yeux français, le plus impressionnant fut certainement ce nez-à-nez avec les différents mouvements progressistes/contestataires et contre-culture américains (Anti-War, Pro-Choice, pro Droits Civiques, Féministes, Gays et lesbiens, Transsexuels, Anarchistes, Hippies). Une facette des USA trop souvent cachée par nos medias bouffis d’anti-américanisme primaire. Alors qu’on célébrait la même année en France l’anniversaire de Mai 68 et revenait à la raison quant au mythe soixante-huitard, force est de constater qu’aux États-Unis, lieu de départ du mouvement hippy, celui-ci vit encore et connaît même une seconde jeunesse. Face à l’Amérique simplifiée que nous vendent des esprits manichéens, les États-Unis, plus que n’importe quelle autre démocratie, se trouvent à la pointe de la contestation politique. Plus lucides qu’en Europe, les mouvements de contestation y sont conscients de leur influence et ne tombent pas dans l’écueil de la protestation stérile. Nous en avons eu l’illustration lors du discours d’investiture de Barack Obama. Le candidat démocrate reprenait alors toutes les thématiques sur lesquelles syndicats et opinion l’attendaient : droits des homosexuels, port d’armes, sécurité sociale, État Providence, opposition à la torture, éducation, défis énergétiques, environnement, lutte contre le racisme et protection des valeurs démocratiques, preuve, si il en fallait, de cette extraordinaire capacité de remise en question de la démocratie américaine. Surtout, à Saint Paul, pour la Convention républicaine, des hordes d’altermondialistes made in US, énergumènes énervés abreuvés de « blood of the brew dude » et de rock et rap subversifs s’étaient mobilisés. Leur programme d’action : saboter le travail de Fox News (combien de fois vit-on les camionnettes bleues et blanches de la chaine conservatrice, sur le bord de la route, les pneus crevés et le pare-brise défoncé !) et faire entendre leur voix lors des meetings du parti républicain (les discours de John McCain furent ainsi plusieurs fois perturbés par des anti-War… déterminés !)
Si l’idéalisme était évidemment de mise, le parti de l’âne mit un point d’honneur à ne pas verser dans l’utopie. Pour preuve, cette belle leçon de rhétorique donnée plus tôt dans la semaine par Joe Biden au Pepsi Center. Commencez par répéter plusieurs fois la même phrase afin d’en faire un véritable slogan: « John McCain was wrong, Barack Obama was right! ». Liez ensuite systématiquement G.W Bush à John McCain alors que celui-ci faisait tout son possible au cours de la campagne pour s’en distancer. Ponctuez enfin votre discours par des piques dont l’ironie permit de régaler l’assistance : « Georges W. Bu.. Oh sorry ! I meant John McCain! » La technique fonctionne à merveille ; Joe Biden, aujourd’hui Vice-Président montrait là toute son expérience et son habileté politique.
Passant en revue tous ses thèmes de campagne, c’est un Barack Obama persuasif et pressé d’en découdre avec son opposant républicain qui accepta l’investiture de son parti. Rejetant les critiques à son encontre, Obama proclama « This election is not about me, it’s about you, the people of America » dans un style ressemblant à s’y méprendre à celui de JFK.
Rappelant plusieurs fois qu’il saura écouter et servir le peuple sans prétendre à la perfection, Barack Obama termina son discours par un déterminé « America we can not turn back ». S’en suivirent la séance rituelle de bénédictions mais surtout l’espoir d’un changement tant espéré par une Amérique aussi impatiente qu’enthousiaste. Pour cet été 2008 extraordinaire, Barack Obama mérite bien son prix Nobel de la Paix !
Laurent David Samama [Responsable des pages politiques et société de Rolling Stone]