Emissaries, In Pursuit of Venus (Infected) de Lisa Reihana, représente la Nouvelle Zélande à la 57ème Biennale d’Art de Venise, Viva Arte Viva. C’est en découvrant Les Sauvages de la mer du Pacifique, le papier peint de Jean Gabriel Charvet, que l’artiste multi média Néozélandaise a ressenti l’urgence de revisiter l’histoire, à la lumière de son identité Maori, dans une vidéo panoramique, Emissaries. [Voir la Galerie en dessous].
En 1773, Jean Gabriel Charvet découvre la Guadeloupe, où il résidera quatre ans. De ce séjour, il ramènera un ensemble d’esquisses, puis, inspiré par les voyages dans l’Océan Pacifique des explorateurs James Cook, Louis Antoine de Bougainville, et Jean-François de La Pérouse, il produira Les Sauvages de la mer du Pacifique, ou Les Voyages du Capitaine Cook et ultérieurement Paysages Indiens, un papier peint panoramique édité en 1804 par la manufacture Joseph Dufour.
Composé de 20 panneaux représentant les voyages des explorateurs de 1768 à 1779, les Sauvages de la mer du Pacifique traduit une réalité fantasmagorique à caractère pédagogique: c’est sur ce canevas imaginaire colonial de scènes de chasse, de danses, de luttes traditionnelles, de rencontres entre les explorateurs et les peuples autochtones, que Lisa Reihana a choisi de réinterpréter l’histoire du Pacifique. Les Emissaires, A la poursuite de Venus (Infectée), une immersion sonore et visuelle où des performeurs animent le papier peint, présente une vision idéale d’un territoire virtuel, peuplé de personnages clés des sociétés traditionnelles – chef de tribu, maître de Hula, lutteur… en pleine action, donnant vie à l’oeuvre. Emissaries, à l’initiative de la commissaire Rhana Devenport, directrice de l’Auckland Gallery, marque la première présence de la Nouvelle Zélande sur le site officiel de la Biennale, à l’Arsenale, où Lisa Reihana a fait son arrivée à bord d’une gondole Vénitienne, la Disdotona, rappelant les pirogues Maoris et la mémoire vivante du Pacifique.
Dominique Godrèche : Pourquoi avez vous choisi le thème des Emissaries et le titre de In Pursuit of Venus (Infected)?
Lisa Reihana : Ce titre provocateur pointe les terribles maladies qui ont dévasté les nations autochtones des iles du Pacifique lors de leurs rencontres avec d’autres peuples, les navires étrangers transportant à bord toutes sortes d’animaux et de maladies. Et au moment même où les Européens se réjouissaient d’avoir découvert un paradis, celui-ci disparaissait, perdu à jamais. Une fois que vous avez fait une découverte, vous ne pouvez plus revenir en arrière, vous êtes transformé pour toujours: cela a été le cas pour les Occidentaux, et pour les habitants du Pacifique. Et c’est en découvrant la peinture panoramique de Joseph Dufour, Les sauvages de la mer du Pacifique, une imagerie inspirée des récits du Capitaine Cook et de Louis de Bougainville, peuplée d’une myriade de personnages haut en couleur, où le papier peint prétend représenter le Pacifique alors que la flore ne reflète pas cette région et les costumes restent néoclassiques, que m’est venue l’idée d’Emissaries. Cette oeuvre représente un acte de résistance contre les stéréotypes instaurés entre les explorateurs et les habitants du Pacifique lors de leurs rencontres, par la démystification des images antérieures et une représentation vivante des cultures autochtones, susceptible de catalyser un débat sur le post-colonialisme.
D. G. : Quels sont les pays représentés dans cette vidéo?
L. R. : Tahiti, Hawaii, Samoa, Nuie, Tonga, Nootka Sound, les Aborigènes australiens et les Maoris de Aotearoa (la Nouvelle Zélande).
D. G. : Existe-t-il un marché de l’art contemporain Maori en Nouvelle Zélande, ou la culture Maori est-elle considérée comme folklorique, anthropologique?
L. R. : Le terme d’art folklorique n’est pas d’usage, et il y aurait une levée de boucliers à l’idée d’une perspective anthropologique de la culture Maori. Le milieu de l’art contemporain Maori est très actif depuis les Maoris modernistes des années 50, les galeries et les musées exposant régulièrement des artistes Maoris. La Nouvelle Zélande est un pays progressiste: nous sommes le premier pays à avoir accordé le droit de vote aux femmes, et nous avons nommé le premier maire transgenre, Georgina Beyer – qui se trouve être Maori.
D. G. : Des alliances artistiques et culturelles se développent-elles entre les créateurs autochtones du Pacifique (Hawaii, Samoa, Tahiti…)?
L. R. : Une dynamique est en place depuis les années 50, ainsi qu’un réseau international des arts Autochtones. D’où des expositions d’envergure – Close Encounters à Winnipeg, ou Sakahan au Musée des Beaux arts d’Ottawa, entre autres.
D. G. : Pourquoi avez-vous fait le choix d’arriver à votre vernissage à bord d’une gondole?
L. R. : Nous souhaitions souligner la notion d’Emissaires, de représentants diplomatiques en mission spéciale et mettre en avant l’idée de la rencontre entre les peuples. Et la Disdotona, cette gondole Vénitienne de 24 mètres de long, transporte les personnalités politiques, et rappelle les pirogues du Pacifique.
D. G. : Y a-t-il une forme de racisme envers les Maoris en Nouvelle Zélande?
L. R. : Sur la base des statistiques des prisons, de la santé, et de l’économie: oui. En même temps, la société Néo-Zélandaise, dont la population est très diverse, est progressiste. In Pursuit of Venus Infected a été conçue dans cet esprit d’ouverture, sur un mode non critique, afin que le public repense l’histoire à partir d’un point de vue actuel. Je suis consciente qu’il s’agit d’une œuvre d’art, mais j’espère que Les Emissaires favoriseront la tolérance et la compréhension chez les peuples de différentes cultures, Occidentales comme Autochtones.