Ah, ma chère Françoise, vieillir est une saloperie ! J’ai écouté ton dernier album « L’Amour Fou ». Il est beau mais qu’est ce qu’il est triste ! Tu ne t’en défends pas d’ailleurs.
C’est vrai que depuis tes débuts, la nostalgie, les amours décomposés, le temps assassin, la légèreté insolente des sentiments, c’est la clef de ton inspiration, le miel de ton répertoire et le vrai cœur blessé de tes chansons…
Pourtant, j’ai du mal à connecter le beau visage de ma Françoise de 1960 – qui, timidement souriait à l’objectif de Jean-Marie Périer – avec l’ovale anguleuse de la longue dame poivre et sel qui se profile maintenant. Où es-tu ?
Oui, je reste fixé sur mes souvenirs, sur celle que tu étais hier. Ton minois d’ado en adorable panorama. Si je te blesse, je te demande pardon : C’est un vieux lapin à roulettes qui se prosterne devant toi. Avant tu étais gravure de mode en robe nacrée et aujourd’hui, tu es juste grave et ton rire me manque Françoise…
Ton insondable mélancolie aussi. Sacrée icône ! J’aimais quand tu trimballais ta silhouette androgyne, tantôt avec frère Jacques à ton bras, tantôt avec son jumeau imbibé, Diabolo Jacko. Sous le ciel de Corse évidemment …
Et avec tous tes prétendants à l’international, Jagger, Bowie, Dylan, Warren, Franck, qui rêvaient de te dévorer crue et t’épingler à leurs tableaux de chasse… Toi, tu t’en foutais. Pas de duo avec ces coqs, ma belle Francesca. Pas libidineuse pour un sou, juste une libi-Do majeur septième sur ta guitare. Bon, inutile de ressasser nos étreintes défuntes.
Laisse-moi juste revenir à ta première voix et fois, celle qui parlait de toi, dans ce psaume en adorama de 1962 : « Tous les garçons et les filles ». J’avais sept ans et ton titre datait déjà d’une bonne dizaine d’années, mais il évoquait douloureusement l’abîme sentimental que seraient plus tard, nos vies amoureuses. Tu évoquais ta génération: – Françoise, une fille de 18 ans, qui chante ses problèmes de 18 ans, pour un public de 18 ans. Dans le mille, chérie ! Deux millions de copies écoulées en six mois.
Chaque décennie a son souffre-couleur : Toi, c’était du blues que tu coloriais à perte de vue. La jeunesse qui t’écoutait, avait des projets communs : se tenir la main, pleurer et rire ensemble, essayer les drogues, combattre la guerre du Viet Nam, braver la rectitude des profs avant de jeter des pavés sur les CRS.
– « S.L.C, Salut Les Copains ! » Chantait le jingle d’Europe 1.
Cette année-là, le rock n’roll s’inventait des petits frères : on dansait le Twist, le Madison, le Surf, le Mashed Potatoes. Les garçons étaient bien coiffés. Ils frimaient et s’encanaillaient en endossant des costumes gris aux reflets d’argents, style peau de requin et allaient flirter au Golf Drouot.
Les filles étaient encore sages : écolières de quinze ans, elles minaudaient dans les surprise parties, sur des talons aiguilles et quand elles croisaient les jambes, on devinait parfois sous la jupe, la frontière soyeuse des bas zibeline et l’attache papillon d’un porte-jarretelles. Les garçons n’étaient même pas troublés puisque c’était la norme depuis trente ans.
Dim Dam Dom ! Bientôt, déferleraient la révolution féminine et les collants multicolores ! Et les mecs s’en foutraient encore…
A 17 ans, Hardy Françoise est plutôt hardie. Pas timide, la gosse ! Quand elle ne suit pas les cours d’allemand à la Sorbonne, elle enchaîne les auditions avec sa guitare. Avec son joli minois, son timbre de voix frais et sincère, son allure racée, on la reçoit, on l’écoute, on est gentil avec elle. Chez Vogue où elle croise de loin, Jacques Wolfsohn, on lui propose d’enregistrer avec un orchestre, mais Françoise n’arrive pas à chanter en mesure. On la renvoie à sa maman Madeleine Hardy, mais elle a tapé dans l’œil de l’ingénieur du son, André Bernot, dit Dédé, également accordéoniste.
Il propose de lui donner des cours de rythmique, de mise en place – gratuits – chaque samedi, chez sa mère qui est concierge rue de l’Opéra, à côté du cinéma Vendôme. Françoise fait des progrès, encouragée par Dédé qui craque en secret pour la belle demoiselle aussi divine que Garbo.
Au moins – se dit-il – si jamais Françoise réussit à enregistrer une chanson, cela fera de toute façon, une très jolie pochette de disque.
Seconde audition chez Vogue : Françoise présente ses nouvelles chansons « Made In my cuisine » … à cause de la bonne acoustique du carrelage.
Cette fois-ci, elle est debout face à Jacques Wolfsohn.
André l’avait prévenu :
– Cette Nana, elle a du potentiel et …
– M’mouais, grommelle Wolfsohn, pas dupe de l’intérêt soi-disant « Artistique » que portait son ingénieur du son envers les séduisantes et innocentes jeunes filles qui se présentaient aux auditions.
Françoise commence son show case acoustique, guitare voix, mais Jack The Wolf, l’interrompt assez vite :
– Ok ! Ca va ! Remplissez cette fiche… On signe un contrat !
Dans la rue, Françoise saute de joie ! Elle va enregistrer un 45 tours !
Le 25 avril 1962, quatre chansons sont réalisées en studio et le simple sort au mois de juin pour se placer dans la course des tubes de l’été.
Le label Vogue a relégué en Face B Tous Les Garçons… et mise sur J’Suis d’Accord, qu’il juge plus commercial. La jeune chanteuse est mitigée d’autant qu’elle s’est largement inspirée d’une mélodie de Cliff Richard pour les accords de J’Suis d’Accord. A Europe 1, elle défend sa chanson préférée en face B et les programmateurs sont du même avis.
Juillet. Elle passe quelques vacances en Bavière. A son retour, c’est énorme !
Le titre passe non-stop sur les ondes et toute la jeunesse la fredonne dans la rue. Françoise a 18 ans et se retrouve emportée dans un tourbillon d’évènements, de rencontres et d’opportunités qui la dépasse, elle qui trois mois plus tôt, fredonnait dans sa cuisine. Elle suit son instinct et reste simple, pertinente.
Face au sentencieux Jacques Chancel qui la Radiosco-psy pour France Inter et qui lui demande de se définir, elle répond :
– Et bien, je mesure 1, 20 m et je pèse 100 kilos …
Chancel est atterré. Silence. Derrière son transistor, l’auditeur (qui ne connaît que la voix de l’artiste) reste bouche bée et tilte !
– Voilà pourquoi cette fille gémit sur les ondes depuis des mois et se plaint de ne pas avoir d’amoureux : C’est une grosse vache …
Il vérifie la pochette du 45 tours. Trafiquée : c’est du Photoshop avant l’heure.
Le 18 novembre 62, le ravissant visage de Françoise apparaît à la télévision, sur la première chaîne quelques minutes avant le référendum sur l’auto détermination de l’Algérie. L’heure est grave : les pieds noirs accostent Marseille, l’OAS pose des bombes, les barbouzes du Sac zigouillent mais la Pop modèle avec sa ballade mélancolique est dans la tonalité du moment. Elle n’aspire qu’à l’amour et attend son prince charmant. Son rêve est exaucé. Zorro est arrivé !… Enfin, son fils caché… Jean-Marie Périer, le photographe vedette de la nouvelle génération : celle de Salut Les Copains. Il va la choyer, la protéger et l’aider à placer son argent. Le terrain en Corse et la maison à Monicello, c’est l’idée de Jean-Marie (Dutronc posera sa brosse à dents et ses slips kangourous, après). Françoise est heureuse, amoureuse… Mais persévère dans le répertoire plombant et majestueux des amourettes déçues et frustrantes. Jean-Marie voyage beaucoup et shoote les plus belles pépées de la planète.
En 1963, un drôle d’énergumène arrive de la planète Mars : Un taureau ascendant Cinzano avec la lune en poisson et la queue en tire-bouchon. Françoise se toque d’astrologie. Dutronc n’arrive pas les mains vides : Une caisse de pastis et une guitare. Il lui joue Fort Chabrol, un instrumental qui devient le Temps de L’Amour.
C’est l’heure des mini-jupes, du swingin’London et de la nouvelle vague au cinéma. Françoise devient mannequin pour André Courrèges et porte les robes en armature métal de Paco Rabanne, celle qui coince les tétons…
Paco l’intrépide médium lui prédit un passé incroyable et un avenir époustouflant !
– Autrefois, dans l’ancienne Égypte, tu étais première cithare d’Akhenaton le Grand… Et tu te réincarneras en Cactus corse…
Et elle a rit, Françoise… aux éclats.
Son rire me manque. Pas toi ?
« L’amour fou », l’album de dix titres, c’est également le titre de son premier roman.
La chanteuse avait déjà publié son autobiographie « Le désespoir des singes et autres bagatelles » il y a quatre ans, qui s’était arrachée à 250.000 exemplaires.
Ça a débuté comme ça. Moi, j’avais jamais rien dit. Rien. C’est l’André Bernot qui l’a fait parler. Sans lui, la tombe de Jules Guérin, inconnu, à jamais. Le héros à Céline, en culotte courte et béret:
«Le Fort Chabrol dans mon enfance… la rue barrée en face de l’église… en haut de la rue La Fayette. Ça me faisait repasser des souvenirs… J’écoutais plus leurs bêtises… C’était encore avec mon père après son bureau. Ils tiraillaient par les fenêtres, ils soutenaient un siège… des anarchistes… Je la voyais encore la rue… la rue vide… la barricade… on était montés de l’Opéra, enfin de notre Passage. C’était un événement terrible. Je crois que c’est les premiers coups de feu que j’ai entendus… Et puis du temps avait passé… Je me souvenais bien du nom de leur chef: Guérin… Mon père en parlait souvent… Et puis encore quelques années… Un dimanche d’hiver à Ablon en 1910, j’avais vu partir son cercueil sur un bachot» Maudits soupirs pour une autre fois, page 210.
Le défunt, il a fini au Montmartre, sans nom, sans mention, sans date, sans rien. La famille, elle voulait pas faire de publicité. Faut se mettre à sa place. Pas du mort, mais l’entourage. République avait trébuché en 1899, La Jolie Marianne a bonne mémoire, une sacrée rancunière, tout dans les fiches, à la main, la belle affaire, tache d’encre, ancienne école… Donc, l’arrière petite fille du Jules, elle habitait près du quai St Michel. Là où Bernot avait ses boites. Bouquiniste, spécialiste Destouches. Un jour, il lui avait racheté la Défaite du socialisme, un portrait, quelques lettres. C’était en 1989. Il l’avait un peu cuisiné pour savoir ce qu’elle avait gardé. Savait faire parler. Aurait pu être flic, en face, quai des orfèvres. Mais niveau études, jamais bien noté, à part les partitions, pour ça, y avait pas de fausses notes. Fallait voir comment qu’il avait fait guincher la bande à Dutronc dans son Van Gogh. Les petites à Pigalle et d’Auvers, dans le film et pis en vrai, elles aimaient bien son doigté d’accordéon.
Alors ma dame, ben, elle avait pu grand chose du grand tonton. A part le marbre, qu’elle avait pas fleuri depuis un brin. « Ah bah, je vais vous accompagner » qui dit l’artiste. A la une, à la deux, rendez-vous Toussaint. Y m’avait choisi, mécène. J’étais pas croque-mort, mais j’aurais aider. On aurait pu l’emmener à l’Elysée, Père Ubu, en remplacement. 9ème division, c’est tout au fond à droite d’Offenbach. Devis, nettoyage, inscriptions, et pis, on a payé.
Tout de façon, on paye jusqu’aux asticots, alors autant faire plaisir. Les indulgences, comme y disaient curés du temps jadis. Louis-Ferdinand, lui, l’avait des meulières de rapport, côté Saint-Leu, Seine et Oise, nous, on a des sépultures et pis les chats autour, tout ça, tout, ça…
Zamis, trinquons à la mémoire de L’André. Lui aussi, a traversé la Seine. Avant nous, droit devant. Les meilleurs, toujours avant, qui disait grand Jacques à son enterrement. Dutronc, l’a chanté Fort Chabrol; boucle est bouclée. Cigare. Rideau.
Moi, j’avais 17 ans en 1962. C’est en 63, à Londres, où j’habitais alors , que j’ai acheté le premier album 33T de Françoise, que des amis anglais m’avaient décrite comme ” a sexy French bird”.
Même si mes goûts musicaux ont évolué et se sont enrichis depuis, je ne l’ai jamais reniée à travers ma vie d’adulte, qu’elle accompagne depuis 50 ans.
J’ai beaucoup aimé votre article, qui exprime mes entiments envers elle mieux que je ne pourrais le faire.
Ses chansons ont tant marqué ma jeunesse… Merci de me la restituer quelques instants…
Texte sympa , bien, je dirais. J’ai eu un peu peur au début.
et je trouve que les « angles » de son visage lui vont très bien.
Sans compter que » sans retouches »…Cas extrêmement rare a notre époque !
Françoise reste et restera toujours sur sa Hardiesse et pas n’importe comment.