Comment approcher ses idoles quand on est né trop tard dans un siècle trop vieux pour les connaître pendant elles étaient en vie, alors que ces vies au grand galop furent souvent des plus courtes ?

Voici, compilé par un fan à jamais orphelin de ses pairs disparus, un moderne Livre des Morts qui distribue post-mortem Un Ticket pour l’éternité (c’est le titre de cet opus de Bruno de Stabenrath plein d’empathie pour ses protagonistes) à tout un panthéon de stars météoriques, oubliées ou pas : figures devenues mythiques, rock stars, acteur(e)s et écrivains célèbres, artistes-rois, littérateurs pour happy few, dandies, camés, gigolos et beautés du diable, tous peuplèrent le siècle dernier, et plus encore les quarante années des Sixties à l’an 2000, de leur éclat incandescent et éphémère.

Car la mort prématurée, par excès en tous genres, drogues, accidents, sida, dépression, assassinats ou suicides, qui réunit tous ces héros ou presque de notre adolescence rebelle dans une même famille sacrificielle fut la rançon de leur gloire, en même temps, souvent, que leur dernier haut fait. Comme si, pour la légende à venir, il convenait, le corps et l’esprit épuisés d’avoir vécu trop vite, de mourir sans attendre que la vie s’attarde, que les modes vous démodent, que l’auréole se fige ou se déchire au gré des nouvelles générations.

Etre, vingt, trente ans plus tard, vintage ou pas aux yeux de la postérité, telle aura été et reste la question pour leurs aficionados d’hier et d’aujourd’hui, de Presley à Jimmy Hendrix et Michaël Jackson, de Roger Nimier et Camus à Andy Warhol, d’Isadora Duncan et  Jane Mansfield à Nico, d’Yves Klein à Basquiat, de Marvin Gaye à Lennon. Leur mort, selon la formule fameuse, a transformé leur vie en destin. Mais qu’en fera l’or du temps ? De l’or toujours ? De la poussière ? Ce petit «Précis d’immortalité» propose, après tant d’autres visiteurs du soir dans les royaumes sans nombre des morts qui furent illustres, des pistes de survie pour les demi-dieux d’hier et leurs fantômes toujours présents, dont notre mythologie post-moderne est la dernière chance et la dernière fragile demeure.

«Souvenirs, souvenirs» chantait à l’aube des Sixties un certain Hallyday, qui finit septuagénaire et ne figure donc pas ici. Dans le livre de Stabenrath, les souvenirs se ramassent à la pelle, les extases, la folie et les malédictions aussi. Ainsi, si vous ne le saviez pas, vous apprendrez que le King fréquentait assidûment la morgue de Memphis et qu’il est mort aux chiottes sur un trône tout en or, une Bible dans la main. Que Rudolf Valentino, le séducteur gominé de ces dames, s’appelait Vaselino pour les intimes. Que Max Linder, le rival malheureux de Chaplin, tue sa jeune épouse et s’ouvre les veines. Que le fils Kennedy ne savait pas piloter la nuit aux instruments. Que Mishima, l’écrivain samouraï homo d’après Hiroshima appelle en vain un régiment de bidasses japonais à rendre à l’empereur du Japon son rôle sacré de chef de guerre, s’éventre difficilement au sabre court, avant, comme il est inscrit dans le code d’honneur du Bushido («le courage de mourir quand il est plus juste que de vivre»), qu’un larron lui tranche la tête ainsi qu’à son amant. Que Prince (1,55 m de haut), le flamboyant Nain pourpre, est mort dans son ascenseur d’une surdose de fentanyl, de vicodine, de Percocet et d’oxycodone. Que Jayne Mansfield («le territoire des hommes») n’était pas juste une blonde atomique morte de nuit à trente quatre ans dans sa Buick Electra 225 en s’encastrant sous un semi-remorque, mais une personne cultivée. Que Jean-René Huguenin, qui n’aimait pas Sagan – «Elle parle d’ennui à des gens qui s’ennuient» –, auteur de La Côte sauvage devenu un roman-culte, est mort dans une Mercedes 300 SL une semaine avant son ami Roger Nimier mort, lui, en Aston Martin, qu’il appelait sa Gaston Martin parce que payée par les avances sur droits de son éditeur, Gaston Gallimard. Que Sid Vicious poignarde sa compagne Nancy, alias Barbieturix, au Chelsea Hôtel, le mouroir new-yorkais des stars, et meurt peu après à vingt et un ans d’une overdose le 2 février 1979. Que Jimmy Hendrix le gypsy en turban était le fils d’une indienne Cherokee et qu’il fonda le Club des 27, auquel adhéreront Brian Jones, le créateur des Stones (mort, en avance d’un an, noyé dans sa piscine par un employé de son château dans la campagne anglaise), Janis Joplin, Jim Morrison, Kurt Cobain et plus récemment Amy Winehouse. Un Club où la seule obligation était de mourir à vingt sept ans. Ce qui fut fait, rubis sur l’ongle, chacun à sa façon, mais tous à grand renfort de drogues dures. Tout le monde, il est vrai, ne peut pas mourir aux commandes d’un P.38 de reconnaissance sans mitrailleuse en s’abîmant dans les eaux bleues de la Méditerranée un 31 juillet 1944, s’appeler Antoine de Saint-Exupéry et avoir écrit Vol de nuit.

Comme dans Shakespeare et la livre de chair du Marchand de Venise, le ticket pour l’éternité, chez le passeur Stabenrath, se paie toujours comptant.