Cher Michel,

Cher ami « possible »,

Je te dis « Tu » car tu connais évidemment le poème de Prévert « Barbara »…

J’accepte avec humilité tes deux reproches puisque tu as raison deux fois ;

C’est sans aucun doute ma faute, d’avoir été trop expéditif dans le jugement sur la dégradation d’Elvis à partir de l’année 1977, sans aller au cœur de mes réflexions et en privilégiant la forme plus que le fond. J’ai dû paraître cynique et moqueur… emporté par la valse des mots et la jubilation de l’effet narratif. Il n’en est rien.

Pour ma défense, si tu as lu, mon avant-dernier article « La Dernière Maison » à propos des nuits où Elvis fréquentait la morgue de Memphis, tu dois comprendre qu’il y a chez Presley, l’image sacrifiée et symbolique d’un « christ », à la fois martyr et thaumaturge (à la sauce américaine)… mais où j’envisage Elvis, tel l’apôtre prêcheur infatigable du vieux sud hillbilly et gospel, qui va (et qui ira) jusqu’au bout de son chemin de croix, courageux, digne, faible et défiguré mais toujours charismatique…

Il se tient, majestueux devant les foules, et lorsque les lumières de la scène s’éteignent « Elvis has left the building », on l’exfiltre jusqu’à la limousine… Et le voilà de retour à Graceland, souvent malade à en crever, plombé par ses insomnies et devant patienter jusqu’à la prochaine date de concert… Le Golgotha n’est pas loin.

Cet Elvis-là, me touche infiniment… cet homme qui avait tout, l’amour, le talent, la beauté, les richesses… Et on le suit dans cette quête insensée – de continuer à paraître – lui qui souhaiterait tellement disparaître… mais voilà, on est aux States et Le Show Must Go On.

Sa dernière tournée est interminable et héroïque : Autour de lui, ses amis, sa famille, son public, ne le lâcheront jamais… Il est le king et nul ne conteste son règne. D’ailleurs, il a annulé très peu de dates en 30 ans de carrière.

Évidemment, cher Michel, comment ne pas être crucifié par son délabrement physique, par l’affaissement tragique de son ego, et comment ne pas hurler : « Elvis, réveille-toi, soigne-toi, sauve-toi ! Putain, tu as 42 ans !!! »

Et pourtant… Elvis a le genou à terre, il sue sang et eau, il a le foie avachi et fossile d’un octogénaire camé, mais il reste noble, puissant vocalement et porte en lui toutes les cicatrices et les errances d’un pays quelquefois violent et paradoxal mais qu’il survole à bord de son Boeing privé tel Moïse au secours de son peuple, la tête dans les étoiles de cette bannière sudiste qu’il chérit tant… American Trilogy est son hymne…

Oui, à la fin de sa vie, il chante encore très bien, Michel, je suis d’accord avec toi… Et lorsqu’il se met au piano et entame « Unchained Melody », c’est bouleversant, déchirant… un testament vocal… D’ailleurs, derrière lui, ses musiciens, ses choristes, ses gardes du corps, ne le quittent pas des yeux et l’accompagnent, avec toute la reconnaissance et l’admiration que l’on doit aux grands artistes… Et ils sont rares…

1940 Sinatra, 1950 Elvis, 1960 les Beatles, 1970 je m’en souviens plus… trop de drogues… 1980 Michael Jackson… That’s all… (et la Callas et Pavarotti)…

C’est vrai, le beau rocker en cuir noir de 1968 s’est évanoui à force de mauvais traitements et d’amours décomposés, mais tu le sais Michel, et ceux qui ont des parents qui vieillissent ou des ami-ies qui tombent malades, le savent… quand on aime, on pardonne tout, on accepte tout, on va jusqu’au bout de ce don, de ce lien qui nous unit à l’autre. Certes, on ne pourra pas le sauver, mais jusqu’à l’ultime et précieuse seconde où ses yeux viendront à se fermer, jamais il n’aura douté de l’amour qu’on lui portait…

Bien à toi, cher Michel.

Et vive Elvis !