Il y a de ces destins rocambolesques : Celui de Porfirio Rubirosa est fascinant. Il est né en janvier 1909, inaugurant le vingtième siècle, tel Saint Exupéry, Malraux, Yvonne de Gaulle, Jacques Prévert, Heinrich Himmler ou Nabokov. Rubirosa a grandi avec la révolution industrielle et ses avantages rutilants – voiture, moto, avion, transatlantique, jet privé, yacht et hors-bords Riva – découvrant, dès la fin de son adolescence, les guerres immondes, les dictatures et les révolutions de larmes et de sang. Au chapitre de l’hémoglobine et des guérillas féroces, Rubi le dandy, prit le soin de ne jamais éclabousser ni son smoking ni son plastron. Mais il fût un héros précurseur : il cocufia les nazis avant même que ces derniers ne déclarent les hostilités !

À l’aube de la seconde guerre mondiale, Rubi, alors attaché diplomatique, est invité par Adolf Hitler aux premières loges des jeux olympiques de Berlin de 1936 : C’est là, qu’à la barbe du führer, il séduisit Lida Baarova, ex d’Adolf et la nouvelle maîtresse du Maréchal Goering, le grand veneur, qui – bon prince – l’invita à la chasse dans sa forteresse bavaroise.

Sacré Rubi ! Il traversait un monde chatoyant où les femmes de ce siècle, perchées sur des talons aiguilles, s’habillaient comme des Pinup, affichant des poitrines insolentes bombées dans des Bullet-Bra aérodynamiques, la taille corsetée dans des guêpières de dentelle noire, et les gambettes jarretellisées et fuselées dans des bas nylon.

Rubi était un homme élégant, léger, aimable et courageux… jusqu’à sa disparition brutale, digne d’un roi de la nuit en exil tragique de ses nymphes inconsolables… Il fût, vécu, et restera dans son siècle, comme dans nos souvenirs, sa majesté playboy N°1, le tombeur de ces dames.

Porfirio Rubirosa lors d'un dîner.
Porfirio Rubirosa lors d’un dîner.

Porfirio Rubirosa est mort à 7h55 le 5 juillet 1965, à 56 ans, au volant de sa Ferrari 250 GT immatriculée 6665 FB 75… après avoir percuté à 155 km/h (pour les numérologues cela fait beaucoup de 5), d’abord le cul d’un trainard en BMW, puis en ricochet, son bolide s’écrasa contre un arbre du bois de Boulogne ; Lors de l’impact, sa poitrine s’encastra sur le volant, conçu en bois et en métal. Il mourut sur le chemin de l’hôpital, comme son vieil ami, le prince Ali Khan, décédé quatre ans avant, après un carambolage en Lancia Flaminia GT, dans la côte de Suresnes.

En ces temps-là, les voitures étaient conçues en acier lourd et trempé, il n’y avait pas de ceinture de sécurité, pas de airbags et aucune limitation de vitesse. Vous pouviez en roulant à 220 km/h, relier Paris-Saint Tropez en moins de six heures ! Les autoroutes n’existaient pas et la majorité des départementales et des nationales étaient bordées de platanes assassins. 

Ce matin fatal, Rubi venait de quitter le club parisien, le News Jimmy’s où il fêtait avec Élie de Rothschild, la victoire de leur équipe de polo, la Team Cibao La Pampa. Après une nuit blanche, trois rocks endiablés sur la piste de danse, et des verres de rhum, Rubi s’arrêta au restaurant La Calavados et commanda une assiette de pâtes. Vers 7h45, le voiturier fit rugir devant la porte du night-club, les douze cylindres italiens de la Ferrari 250 ! Le Casanova des Caraïbes s’installa aux commandes et fila en trombe vers les champs Élysées. La légende était en marche. Trente minutes plus tard, Rubi agonisait et poussait son dernier râle.

Comme dans le film de François Truffaut, « L’Homme qui aimait les femmes », il y eut beaucoup de dames en deuil, le jour de son enterrement, et beaucoup de belles veuves aux longues jambes gainées de soie noire cheminant autour de son caveau afin de laisser pleuvoir sur le cercueil autant de roses que de larmes et de fluides corporels.

Le phénomène Rubirosa : il cloua le bec à tant de gogos, à tant d’admirateurs et de jaloux.

Séduire les femmes, c’est une passion mais surtout un métier… Séduire des femmes immensément riches sans jamais passer pour un gigolo, là… c’est le chef/d’oeuvre d’un vrai conquistador des cœurs et des cuisses pulpeuses. Au référendum sulfureux des héritières cossues et esseulées, Porfirio Rubirosa – marié cinq fois – fût autant un stratège (digne du général chinois Zun Tsu : « L’Art de la Guerre » n’est-il pas la face versatile de l’Art de l’Amour ?) qu’un réel ami des femmes, excellant à la fois dans les rôles du bon copain, du grand frère, du père, de l’ex-mari, voire du psy ?

Barbara Hutton épouse Porfirio Rubirosa le 30 décembre 1953 à New York (Park Avenue).
 Barbara Hutton épouse Porfirio Rubirosa le 30 décembre 1953 à New York (Park Avenue).

Porfirio Rubirosa, l’insatiable et infernal latin lover, épuisait autant ses épouses qu’il les laissait chancelantes, amorphes, leurs comptes en banque aussi vulnérables que leurs intimités moites et vaincues… Ainsi, fût-il marié 53 jours à la milliardaire Barbara Hutton, propriétaire de la chaine américaine des magasins Woolworth (l’équivalent des Galeries Lafayette)… avec une idée en tête et un but ultime : les indemnités mirobolantes mentionnées dans son contrat de mariage en cas de séparation. A l’époque de sa liaison avec Barbie, peu lui importait que ses proches se moquent de lui : Il est vrai que parmi les Bombshell anatomiques d’Hollywood qui figuraient sur son tableau de chasse, Barbara Hutton dénotait. L’héritière quadragénaire était plutôt vilaine, mal fagotée, triste et dépressive.

– D’accord, admettait Rubi, mais je vous assure qu’elle est magnifique… surtout de « dot »…

Il avait raison : son avocat en charge du divorce, lui remit un chèque certifié de 2,5 millions de dollars, et Porfirio conserva en sus, un jet, une hacienda, une collection de cabriolets et quelques toiles de maîtres.

Quand les jaloux chipotaient et les pisse-froids le calomniaient dans son dos… Rubi s’envolait au bout du monde vers d’autres capitales, d’autres missions et d’autres conquêtes, rousses, brunes et blondes. Voulant un jour se débarrasser d’une tigresse vorace, insupportable, qui lui menait une vie d’enfer, son grand ami Errol Flynn lui suggéra pour accélérer la rupture de s’afficher avec une nouvelle maîtresse (– déjà fait, répondit Rubi), puis Errol lui conseilla de vider le compte en banque de la belle (– hélas, déjà fait, elle est à sec, répéta Rubi), ou sinon de rentrer chaque nuit à l’aube et de faire exprès, tel un goujat impuissant, de faire très mal l’amour à la demoiselle (– désolé, s’indigna Rubi, ça, je ne peux pas !).

Que dire de cet homme au charisme flamboyant et à la virilité impétueuse et infatigable ? Oui, depuis son plus jeune âge, Rubi aimait « s’investir » à l’horizontale, son terrain de jeux étant, le plus souvent, un lit king size et ses dossiers, des draps de soie immaculés. C’est là, qu’il exhibait son « porte-plume », son sabre de pourfendeur, dont mère nature, généreuse, l’avait doté dès les prémisses de sa puberté.

Hé oui, Rubi était monté comme un âne. Bien avant la génération Rocco Siffredi, on chuchotait dès l’automne 1965, qu’un certain Porfirio, tout juste décédé en Ferrari, laissait pour sa postérité, dans les grands restaurants de Londres, Rome ou Miami, sous forme d’antonomase, un poivrier géant que l’on avait baptisé « Rubirosa » en hommage à la majesté conséquente de son pénis.

Le meilleur amant du monde, vous dis-je… Pour Rubirosa, il s’agissait d’une vocation, d’une évidence esthétique (beau, viril, félin) et d’une réalité physiologique (merci, donc mère nature). D’ailleurs, Rubirosa n’était pas un macho, à peine un ensorceleur de talent qui captiva dans son lit des actrices telles que Danielle Darrieux, Zsa Zsa Gabor, Marilyn Monroe ou la novice adorable, Odile Rodin, sa dernière compagne, ainsi que des célébrités fascinées et abasourdies qu’il épousait, honorait et quittait à la vitesse d’un mustang furtif, en fin de rut.

L’actrice Odile Rodin, la dernière épouse de Porfirio Rubirosa.
L’actrice Odile Rodin avec le playboy Porfirio Rubirosa.

Rubi fût le gendre du dictateur Trujillo, puis colonel de l’armée Dominicaine, puis ambassadeur, agent secret, pilote de bolide, homme d’affaires, entremetteur avisé, danseur émérite et mondain, habillé par Cifonelli et chaussé par Carvill.

Porfirio éleva très haut le grade suprême de séducteur International. Les biographes prétendent que l’une de ses chansons préférées était « Cheek to cheek » (joue contre joue) quand d’autres – les maris ombrageux – lui auraient plutôt jetés à la face « Just A Gigolo » de Louis Prima. Hélas non ! Troubler les femmes puis les glisser dans son lit, il s’agissait pour Rubirosa d’un acte naturel, de l’extension quasi automatique de son charme et de sa personnalité, même s’il ne s’en faisait pas une gloire, ni un hymne, encore moins une caricature.

Si depuis la fin de sa jeunesse, Porfirio couchait avec des femmes très riches et parfois les épousait, ce n’était que des formalités de voisinage, car après tout, il était le mondain parfait, membre fondateur de la jet set, l’habitant régulier d’un triangle d’or, évoluant entre la Dolce Vita, les bals de Londres et les pistes verglacées de Verbier.

Ce latin lover exotique, métissé et irrésistible, était fils de diplomate, élevé entre Paris et Saint Domingue, l’île dont il est natif, le 22 janvier 1909. Après un grade d’officier-lieutenant de la garde présidentielle de Rafael Trujillo, le dictateur de l’illusoire « république » Dominicaine, il épouse sa fille, la trompe évidemment, divorce puis revient s’installer à Paris où il poursuit son éducation de prince charmant et charmeur : sport, danse de salon, équitation, voilier, bondage, hardcore, c’est un athlète complet, souple et sensuel. Gominé, tiré à quatre épingles, parfumé par Jean Marie Farina, il entretient un charisme attractif naturel, et des facilités d’enjôleur professionnel, surtout lorsqu’il s’agit de quitter une brunette chouineuse pour une rousse flamboyante qui passe.

Déjà, sa réputation d’amant inépuisable a traversé les continents mais il cultive les automatismes et les discrétions de l’espion double. Menteur et baratineur extraordinaire, il a cependant l’élégance innée et courtoise de ne jamais commenter ses relations sentimentales et de taire ainsi les confidences sur l’oreiller. Les épouses, les maîtresses, les courtisanes d’une vie ou la fille d’une nuit, sa queue de pierre est une tombe de chair et de soupirs. Rudi ne pipote pas, ne jacasse pas, ne se vante pas.

Il n’y aura guère que l’écrivain homosexuel Truman Capote qui affirmera avoir recueilli – via un punch créole corsé – les discrétions intimes du mutique Rubi. Mais ce dernier, loin d’ignorer la médisance atomique du petit « nain mondain », cette arrogante langue de vipère experte en ragots – préféra l’utiliser pour sa promotion et ainsi, via ce jacasseur impénitent, attiser sa réputation américaine : de New York à Las Vegas, de Hollywood à la Havane (avant 1959), de Tina Niarchos Onassis aux douces Ava, Rita, Veronica, Soraya, et tout l’aéropage des filles du spectacle et les compagnes fougueuses du crooner Franck Sinatra ; au pieu, Rubi mettait à profit la méthode de son mentor, le milliardaire Ali Khan : grâce à la technique de l’imsak (ou abstinence en arabe), Rubi pilonne ses partenaires et les fait jouir sans jamais éjaculer.

Et donc, face à Truman, l’auteur de Sang Froid, Rubirosa distille après – son verre de punch vidé d’un trait – quelques secrets de choix – à celui qu’il appelle, en français, ma vieille Capote. L’une des plus fameuses histoires colportées par Truman, est celle où le fougueux Rubi, avoue comment, lors de ses premières fois avec des demoiselles émotives, il devait sans les effrayer, dévoiler son pénis XXL en érection afin de le pointer dard dare et sans douleur, au fond de la cible :

– Finalement… Assuma le play-boy, jamais aucune de ces filles ne m’a dit, une fois que je les avais pénétrées – « S’il te plaît, Rubi, enlève-toi… »

Physique de puncheur et combattant qualifié, il sait aussi se volatiliser avant la confrontation avec un mari trompé. D’un chalet à Gstaad ou d’un Palacio à Venise, il a mémorisé d’avance les issues de secours. Ce n’est pas le genre de crétin flamboyant à la OSS 117 que vous trouvez à poil, congelé, planqué sur un balcon enneigé. Le plaisir devant toujours être prioritaire sur la perte de temps et d’énergie, il est déjà au volant de son Aston Martin DB5 (encore un 5), la pilotant à toute vitesse vers d’autres lits, d’autres écartèlements, d’autres jouissances.

Au petit matin donc de ce 5 juillet 1965, le beau Rubi roule à vive allure sur l’avenue mouillée du bois de Boulogne lorsque sa Ferrari s’encastre dans un arbre. La colonne de direction lui défonce le thorax. Porfirio Rubirosa avait 56 ans. Et il n’a jamais eu d’enfant. Stérile ?

Embed from Getty Images


Ps : Rubirosa est évoqué dans La Place de l’étoile, de Patrick Modiano, et Rue des boutiques obscures et également Quartier perdu : « C’est à la Calavados, qu’une nuit, Carmen m’a présenté Rubirosa ».
« Aujourd’hui, il ne dit plus rien à personne, mais c’était un comparse de mon père, avec une vie d’aventurier, quelque chose d’un peu inquiétant. Ça frappe l’imagination d’un enfant. Son nom apparaît dans Rue des boutiques obscures » (Modiano, Le Monde du 3 mai 2013).