La « sacralisation » de Rima Hassan : rupture avec l’esprit républicain
Le statut de député, aussi important soit-il, ne confère en aucun cas un caractère « sacré » à la personne qui l’occupe. La République française repose sur des principes démocratiques fondamentaux : égalité devant la loi, responsabilité des représentants devant leurs électeurs, et refus de toute forme d’idolâtrie politique. Être député, c’est exercer un mandat au service du peuple, dans un cadre institutionnel strict, et non bénéficier d’une quelconque intouchabilité. Accorder à chaque député un statut quasi-religieux reviendrait à trahir l’esprit républicain.
Mélenchon, de « La République, c’est moi » à « La République, c’est elle »
À rebours de cette tradition, Jean-Luc Mélenchon a présenté Rima Hassan lors du meeting de Rouen, le 11 juin 2025, alors qu’elle venait d’être retenue par les autorités israéliennes après sa participation à la « Freedom Flotilla » pour Gaza. Mélenchon déclare : « La personne de Rima Hassan, parce qu’elle est députée du peuple français, est sacrée. La République, c’est elle. Pas vous [le gouvernement], qui n’avez été élu par personne. Pas vous, qui convoquez des élections dont vous ne reconnaissez pas le résultat ».
Ce propos s’inscrit dans la continuité d’une rhétorique déjà employée par Mélenchon en 2018 lors d’une perquisition au siège de LFI : « La République, c’est moi ! Ma personne est sacrée, je suis parlementaire ! ». Et, ce glissement sémantique révèle une stratégie discursive où la figure militante est érigée en incarnation de la République, au risque de brouiller la frontière entre citoyen et représentant.
De la figure héroïque à la pièce centrale d’une stratégie de conquête
Cette logique d’incarnation s’est amplifiée lors du retour de Rima Hassan en France, après son expulsion d’Israël. Le 12 juin 2025, place de la République à Paris, Mélenchon la compare à Victor Hugo : « Rima à Paris, c’est Victor Hugo de retour de Guernesey ».
Cette analogie, vivement critiquée dans la presse et par des responsables politiques (Laurent Wauquiez, entre autres), cherche à inscrire la députée dans la lignée des figures de la dissidence républicaine. Au-delà de la rhétorique, Rima Hassan agit comme un levier tactique et une pièce centrale dans la stratégie de conquête du pouvoir de La France insoumise. Son profil – militante issue de l’immigration, juriste, engagée pour la cause palestinienne – fédère des segments de l’électorat traditionnellement peu mobilisés, notamment dans les quartiers populaires et chez les jeunes. Sa présence médiatique, son parcours personnel et les épisodes de victimisation (comme son arrestation lors de la Flottille) servent à polariser le débat public et à renforcer l’image d’un mouvement anti-establishment.
Mais, cette centralité est aussi médiatique : sa présence aux côtés de Mélenchon lors de prises de parole majeures illustre sa fonction de symbole dans la galaxie insoumise. Elle cristallise l’attention, attire la polémique et permet à Mélenchon de se positionner comme chef de file d’un camp « anti-système », tout en marginalisant d’autres thématiques.
La stratégie électorale de LFI a été abondamment analysée dans la presse nationale qui souligne la volonté du mouvement de « séduire les banlieues et les citoyens de confession musulmane en plaçant la cause palestinienne au cœur de la campagne ». D’ailleurs, l’adhésion officielle de LFI au mouvement BDS (Boycott, Désinvestissement et Sanctions) contre Israël en décembre 2024 marque une radicalisation supplémentaire du discours et une volonté de s’affirmer comme fer de lance de la défense des Palestiniens.
Une dynamique collective assumée, sans volonté affichée de distinction
Rima Hassan n’a jamais explicitement repris à son compte la rhétorique héroïsante ou quasi-messianique que Mélenchon lui attribue. Lors de ses prises de parole publiques, elle met l’accent sur le caractère symbolique de la Flottille pour Gaza, la solidarité internationale et la nécessité de poursuivre la mobilisation. Elle s’inscrit pleinement dans la dynamique de La France insoumise, sans manifester de volonté de distinction personnelle. Il serait d’ailleurs surprenant qu’elle réagisse à cette personnalisation : politiquement avisée, elle n’a aucun intérêt à contester publiquement le soutien d’un leader aussi influent que Mélenchon. Or, laisser Mélenchon parler, sans chercher à s’émanciper de la dynamique collective, relève d’un pragmatisme politique assumé.
Entre efficacité tactique, fragilisation républicaine et nouveaux défis
La sacralisation de Rima Hassan par Mélenchon ne relève pas d’un simple hommage, mais d’une stratégie de mobilisation et de communication. Elle met en lumière une conception personnalisée et quasi mystique de la République, qui, sous couvert de défendre les opprimés, s’éloigne des principes fondamentaux de responsabilité, d’égalité et de laïcité.
Cependant, cette stratégie suscite de nombreux débats : elle polarise l’opinion publique, alimente la controverse dans les médias et provoque la réaction des autres partis politiques, qui y voient tantôt une dérive communautariste, tantôt une tentative de captation du débat public au profit d’une cause unique. En interne, la mise en avant de Rima Hassan peut générer des tensions, certains cadres ou militants de gauche s’interrogeant (peut-être) sur la place accordée à d’autres figures ou sur le risque de rétrécissement du discours à une seule thématique.
En érigeant Rima Hassan en icône quasi-messianique, Jean-Luc Mélenchon ne se contente plus de subvertir l’esprit républicain : il fracture délibérément le corps national pour servir une stratégie de conquête fondée sur la division et la surenchère identitaire. Cette dérive, qui fait de la République un simple décor pour des calculs électoraux cyniques, est un renoncement à l’idéal républicain. À force de sacraliser la polémique et de communautariser le débat, LFI prend le risque de transformer la politique en une arène de ressentiments, où la République n’est plus qu’un slogan vidé de son sens, livré aux passions les plus dangereuses. Si la stratégie de Mélenchon fait de Rima Hassan une « Lady Gaza », elle fait surtout de la République un champ de ruines, abandonné à la logique du clash et du communautarisme. L’histoire jugera la légèreté de ceux qui, pour un calcul partisan, auront sacrifié l’essentiel.
De nos jours, on promeut une vedette politique comme on promeut une marque de savonnette. Mais, si vous vous servez de la savonnette, vous verrez que, bientôt, il n’en reste plus rien. Il faut en acheter une autre.
Ce qui est plus inquiétant, c’est que l’antisémitisme semble redevenir, pour certains courants politiques, un outil de mobilisation de leur électorat, une nécessité tactique. Ce n’est plus l’extrême-droite qui utilise ce procédé, comme du temps de l’affaire Dreyfus, mais une certaine extrême-gauche. Les propos antisémites ne sont pas des dérapages de braves militants antisionistes qui auraient bu un coup de trop, ça fait partie de la stratégie de conquête, si ce n’est du pouvoir, au moins de sièges de députés et de maires.
Il n’y a pas qu’en France que cela s’observe. Partout en Europe, des politiciens à la peau bien blanche ont fait le pari de s’appuyer sur l’islamisme intégriste qui tient les quartiers déshérités pour faire carrière. Ils n’ont pas grand-chose en commun avec ces populations. Ah, si, quand même : l’antisémitisme. C’est donc le créneau porteur qu’il faut exploiter tant qu’on peut.
S’appuyer sur l’immigration la plus récente pour récolter des électeurs n’est pas en soi condamnable. Après tout, aux USA, le parti démocrate a été longtemps le parti des Italiens, des Polonais, des Mexicains. En France, la gauche (du temps où c’était autre chose que ces politiciens de troisième division prêts à tous les reniements pour conserver leur casse-croute) obtenait l’adhésion des immigrés italiens et polonais venus travailler dans les mines.
Ce qui ne doit pas passer, c’est le fractionnement volontaire de la communauté républicaine. Il suffit de voir le spectacle de ce qui se passe en Grande-Bretagne et en Irlande pour comprendre à quoi mène une société où l’on vit en tribus séparées.