Il écrivait depuis la ligne de front. Maksym Yemets, commandant et poète ukrainien, est mort sous les bombes russes en février 2025. Sa fiancée, Oksana, elle aussi lieutenante et poétesse, a confié ses textes à Bernard-Henri Lévy, rencontré lors du tournage de son film Notre Guerre. La Règle du jeu publie aujourd’hui les poèmes de ce fiancé disparu, tombé les armes et les mots à la main.
Ses vers sont la voix de l’armée depuis le front, la voix d’un combattant qui se battait, défendait et aimait. Svitlana Borysova, journaliste militaire, lieutenant-colonel des Forces armées ukrainiennes et amie de Maksym raconte : « Il se passionnait pour la poésie dès son enfance et son adolescence, publiant ses textes dans la presse nationale. Sa relation avec le dernier amour de sa vie, la militaire ukrainienne Oksana Rubanyak, a ravivé dans le cœur du soldat une inspiration lyrique et il est revenu à l’écriture poétique. »

Les poèmes de Maksym Yemets

Poème dédié aux femmes et aux hommes qui défendent leur patrie, qui se sont battus et qui se battent toujours pour notre indépendance et notre unité territoriale.

Au-dessus du Dnipro le brouillard s’étale dans la nuit sombre,
L’eau silencieuse exhale la peur.
Les bateaux, gonflés tels les ombres,
Avancent de concert comme les oiseaux migrateurs.

Les rames sont à l’eau, sans un bruit.
Chaque marin serre son arme, fort.
Kozatchi Laheri est une forteresse ennemie.
Les cœurs des héros battent à l’unisson, en écho ami.

L’ennemi a renforcé les berges avec ses mines et ses fils savants.
L’eau sous le bateau est un miroir de vérité.
Chaque coup de rame rapproche du combat.
Chaque avancée est un saut vers la sainte liberté. 

Et voilà que le pied touche le sol,
Les ennemis s’affolent,
Les troupes d’assaut, tel un raz de marée, 
Brisent le barrage où attendait la guerre.

Kozatchi Laheri est baigné du sang de héros et d’ennemis. 
Des pirates conquérants des nouveaux mondes 
Attaquaient les îles de Dnipro en bateaux la nuit
Et entraient dans la légende : ceux qui sont tombés restent à jamais dans cette guerre sacrée

***

Poème dédié à l’unité d’opérations spéciales du Ministère de la Défense, le bataillon « Chamane » (Chamanbat)

Au milieu de la nuit, ils avancent, sous le phosphore blanc, 
Vers l’antre de l’ennemi, conduits par leurs commandants.
Chamanbat c’est plus qu’un bataillon.
L’ennemi n’aurait pas dû franchir le cordon.

Ce chemin n’est pas pour les cœurs tendres,
C’est le plomb qui attend l’adversaire.
L’éclaireur, feu dans l’âme, éclaire aussi les esprits.
Les décisions, au front, sont les plus difficiles.

Le drone, dans le ciel, montre le chemin.
Les ancêtres apportent leur appui,
Comme des chamanes, ils lisent les traces de l’ennemi.
L’ennemi sera débusqué à tout prix !

À travers la passoire de la frontière, dans le brouillard complice,
Un capitaine à poigne mène l’unité.
Les hommes du Chamanbat sont des légendes vivantes,
L’ennemi ne se fondra pas dans la terre d’Ukraine.

En hélico ou en bateau,
Ils atteindront l’ennemi comme il faut.
Là où ils passent, les ennemis trépassent,
Tels des juges armés, ils rendent à chacun selon ses œuvres.

Leur mission est de venir en silence
Trouver l’ennemi qui se tapit.
Si tu viens ici, sache-le.

Tu convoites ? Eh bien, réponds.

***

Dédicace à l’ami, le frère Dmytro Kotsubaïlo « Da Vinci ».

Tu étais un artiste de la guerre
Même si tu n’as jamais, durant la guerre, pris le pinceau.
Tu peignais les paysages au milieu de la douleur et de l’obscurité. 
Au son des canons pris, 
Tu dessinais, mais pas sur une toile.
Les jours sont devenus ton art
Les jours donnés pour la liberté de l’Ukraine
Ton pinceau est ton arme, ta palette est le sang de l’ennemi
Ton chef-d’œuvre sera l’Ukraine libre
Tu as laissé dans mon cœur l’espoir
Qui brille, malgré la perte des frères et les ruines.
Da Vinci, nous graverons dans les siècles. 
Ton chemin restera dans l’éternité
Tu créais notre histoire dans des combats libérateurs
Parce que tu n’as jamais connu le mot peur
Gloire éternelle au Héros de l’Ukraine !!!

***

Quand j’ai mal, quand je souffre, 
Quand le désespoir étreint mon cœur et secoue,
Voilà ma main, reste en rayon de soleil souriant,
Tel est mon phare dans la tempête du néant.

Tu es la lumière qui règne dans mon âme, mon astre,
Mon espoir dans la nuit la plus sombre du Donbas.
Tu es le stimulant de mes endorphines,
Ma chaleur, mon île de quiétude dans l’abîme.

Même si la tempête secoue notre bateau, 
Je chanterai plus fort les chants d’Okean Elzy
Sur la fidélité, sur la lumière, sur notre amour.
C’est grâce à toi que j’ai vaincu mes démons.

Les vagues de la folie auront beau monter jusqu’au ciel,
L’orage essayer d’effacer le monde entier,
Ma voix va traverser les tempêtes et le tonnerre,
Car tu es mon Etoile dans ce monde souterrain.

***

Tels les épis de blé mûr sous le soleil,
Tes beaux cheveux roux.
Reflètent le feu et la chaleur de l’été.
Les graines semées par toi ont germé.
Tu es irréelle, comme une aube dans un pré,
Comme une vague chaude dans la mer tumultueuse et glacée.
J’aurais aimé toucher de mes doigts ce feu de joie,
Mais je brûlerai sans doute bien avant.
Chaque femme recèle un secret,
Comme une église, un nartex ; comme le champ, le blé.
La lumière et l’ombre, tu as tout réuni,
Tu m’enveloppais dans tes cheveux roux, chaque nuit. 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

*