Ainsi donc Yan Morvan s’est fait la malle, comme l’a révélé le premier Michel Puech, cet inlassable observateur du monde de la photographie.

C’est un grand photojournaliste qui disparaît subitement, loin des champs de toutes les batailles qui furent son quotidien pendant cinquante ans. Le Liban des années 80, l’Irlande du Nord mais aussi les blousons noirs, le tueur en série Guy Georges, le sexe, la drogue et la baston… : tous ceux qui l’ont connu savent cela ; l’irréductible biographie de ce fils d’industriel et presque rentier qui se plaisait à fréquenter et à photographier les marginaux, les durs et les rebelles comme pour se faire pardonner d’être trop bien né. Par pure provocation. Par goût du risque et du grand frisson. Pour faire œuvre aussi. Et c’est peut-être pourquoi Yan Morvan a beaucoup agacé ses contemporains. Surtout certains de ses camarades photographes.

Il était de ceux qui réunissent le talent et l’art de le vendre à tout prix. Nous étions partis ensemble en 2013 parcourir la Libye pour compléter son immense corpus sur les Champs de bataille du monde entier. Je faisais le making-off, en photo et par un petit film noir & blanc qui décrit sûrement l’homme davantage que son travail, tandis qu’il capturait, à la chambre 20×25, les stigmates de Misrata, Bir Hakeim ou Tripoli. L’hommage que lui a rendu Marianne après sa mort révèle, à travers une longue citation sur notre épopée libyenne, à quel point Yan était capable de s’écarter du réel pour nourrir sa légende. Spolié d’une anecdote un tantinet glorieuse, j’ai aujourd’hui la naïveté de m’en émouvoir. Et d’autant plus que la citation cumule l’appropriation, l’erreur historique et l’outrance. Ainsi va la vie des grands reporters de guerre qui frôlent plus souvent la mort dans les journaux que sur le front. Et heureusement.

Si l’on admet cependant que les fameuses trompettes de la renommée n’obèrent pas nécessairement le talent – ce que je pense, bien sûr – alors il faut s’incliner devant l’œuvre de Yan Morvan. Un demi-siècle de grand reportage, des dizaines de livres, des centaines d’articles, des heures d’interview passionnantes et une culture historique peu commune méritent le plus grand respect. Mais surtout, Yan avait cette qualité si rare et qui est le propre des grands photographes : tout dire, tout montrer, tout expliquer en une seule image, une seule et grande et belle photo qui devient la pierre angulaire d’un reportage, le symbole d’un événement. Le mythe. Bravo et salut l’ami.

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