Ce soir, je suis inquiet face aux attaques dont le photographe de mode Terry Richardson fait l’objet à New York et venant de blogs de mode qui le traitent de pervers et de « sexual predator ». Je ne veux pas donner plus d’information sur cette affaire essentiellement new yorkaise de crainte d’apporter de la publicité à cette campagne de diffamation, injuste et ignoble, qui plonge mon ami dans une crise de paranoïa. Lui tellement optimiste et confiant dans sa photographie, en studio pour le Vogue France aujourd’hui, me confiait qu’il a perdu ses moyens, qu’il ne savait plus trop quoi faire en face des mannequins — chacune des filles lui renvoyant une image méprisable de sa photo… Il a passé la soirée avec moi à envisager de quitter New York, d’arrêter la photo de mode, de disparaître, voulant rejoindre le cinéaste Harmony Korine qui venait de l’appeler en lui disant de fuir ce monde de la mode.

Mais voilà en bref de quoi il s’agit. Au départ, une ex mannequin attaque verbalement Terry Richardson lors d’une soirée au Montana à Paris, pour avoir publié sans autorisation une image d’elle dans un livre. Ce micro scandale parisien est repris par le New York Post (dans sa rubrique page 6). Puis un blog de mode s’empare de cette anecdote sans importance pour écrire une odieuse attaque contre Terry Richardson qui utiliserait son statut de star de la mode pour manipuler des mannequins et profiter d’elles sexuellement. Face à ces méthodes odieuses qui peuvent nuire à la réputation d’un artiste, le faire douter du bien fondé de son travail, voir l’impliquer dans d’interminables procès à partir de témoignages délirants, je ne peux que m’interroger sur les dangers que courent tous ceux et celles qui ont un usage de la sexualité dans leur travail (et pas seulement dans l’intimité de leur vie privée). La bataille des sexes fait donc toujours rage. Il est assez inquiétant de réaliser que cette journaliste —sans doute sincère dans ses convictions féministes— se trompe ouvertement de cible. Pensant défendre les droits de son sexe, en impliquant dans sa condamnation la fureur capitalistique du monde de la mode et ses mécanismes de pouvoir, elle ne fait que participer à un nouvel ordre moral qui place les artistes sous haute surveillance, et voudrait en faire des criminels sexuels en puissance.

Ce qui est arrivé cette semaine à Terry Richardson sur le net, pose la question de ce que les philosophes appellent faute de mieux — pour ne pas dire la communauté — « l’être ensemble ». Qu’est-ce que l’être ensemble hommes/femmes aujourd’hui ? Comment se joue-t-il, symboliquement, dans l’univers de la mode que je connais bien ? Qu’est-ce qui se passe dans le rapport entre un photographe et son modèle dans le contexte d’un shooting ? En quoi cela implique fondamentalement la liberté de chacun ? En quoi Terry Richardson repousse-t-il effectivement sa convention et sa limite, sans jamais abuser de son « pouvoir » ? En quoi transgressant la distance traditionnelle entre le modèle et le photographe, il réinvente ce rapport et l’image de mode qui en découle ? Et en quoi ses photos interpellent au delà du monde de la mode et de son système le rapport hommes/femmes aujourd’hui ? Face à toutes ces questions la guerre des sexes sur le net répond par « prédateur sexuel »…

Ce que je vois dans l’injuste condamnation dont Terry Richardson a été victime sur le net, c’est une attaque plus profonde de toute tentative pour réinventer les rapports hommes/femmes. Car si un photographe de mode en propose une image libre, enjouée et sans complexe, témoignant de l’absurdité de la guerre des sexes, et au delà de toute violence sexuelle, c’est bien Terry Richardson.

Cela irait donc dans le sens du livre de Maurice Blanchot, intitulé la « Communauté Inavouable » où j’emprunte dans ce blog le titre de sa deuxième partie. Pour Blanchot, l’échec du Communisme, puis celui de la Révolution (mai 68), se termine dans le désastre de la « Communauté des Amants » vouée à l’isolement et à la mort. Analysant le livre de Marguerite Duras (« La Maladie de la Mort »), il termine sur un chapitre qui ne cesse de m’interroger : « Comment ne pas chercher dans cet espace où, durant un temps qui va du crépuscule à l’aurore, deux êtres n’ont d’autres raison d’exister que de s’exposer entièrement l’un à l’autre, entièrement, intégralement, absolument, afin que comparaisse, non pas à leurs yeux mais à nos yeux, leur commune solitude, oui, comment n’y pas chercher et comment n’y pas retrouver « la communauté négative, la communauté de ceux qui n’ont pas de communauté » ? Et c’est bien ce que je ressens aujourd’hui face à ces communautés virtuelles qui jouent la guerre des sexes, et travaillent à la séparation, à la solitude, à l’extension du domaine de la peur et de la paranoïa.

D’où aussi la nécessité de tirer du désastre batallien —où Blanchot l’a installé— cette idée de « Communauté des Amants » qui n’a pas dit son dernier mot contre l’ordre moral, le chaos nihiliste et les peurs irrationnelles qui prolifèrent.