Ce 19 décembre, la Cour Suprême du Colorado a pris une décision révolutionnaire: l’ex-Président Trump ne peut être candidat à la prochaine présidentielle, pour s’être engagé, alors qu’il était en fonction à la Maison Blanche, dans l’insurrection du 6 janvier 2021 au Capitole contre la nation. Le quatorzième Amendement de la Constitution américaine l’interdit très clairement, dans sa Section 3, et par conséquent, Trump ne peut se porter candidat aux Primaires républicaines du Colorado. L’intéressé fera à coup sûr appel de cette décision auprès de la Cour Suprême des Etats-Unis.

Ce verdict ébranle une partie des électeurs de Trump, qu’il ne peut se permettre de perdre. En dépit de la campagne de Trump martelant que cette décision est anti-américaine, les Américains les plus patriotes et conservateurs savent combien celle-ci est, au contraire, très américaine. Rien n’est à leurs yeux plus sacré que la Constitution. Ce verdict fait douter de la légitimité de Trump dans l’esprit de tous les Républicains loyaux envers les principes fondateurs de la nation et qui les révèrent. Ce qui conduirait ces Républicains à conclure que Trump n’est pas un candidat viable, et à porter leurs voix sur d’autres candidats républicains, Nikky Haley ou Ron Desantis.

L’ex-représentante républicaine du Wyoming, Liz Cheney, l’a dit récemment on ne peut mieux sur Fox News : « Il y a des choses qui comptent par-dessus tout, elles sont au-dessus des choses de la politique, des affiliations partisanes, elles touchent à nos devoirs envers la Constitution, qui est le conservatoire de tous les principes conservateurs qui nous sont chers. Il s’agit de savoir si nous allons soutenir des gens qui soutiennent la Constitution. »

Il y a quelques mois, avant que le cycle des élections présidentielle ne soit engagé, Bernard-Henri Lévy leva cette question dans son Bloc-notes du journal Le Point. Dans ce texte, qui mérite d’être relu, Lévy implorait l’Amérique de se réveiller et pointait cette question constitutionnelle qui pourrait changer le cours de notre histoire. Le Colorado a répondu à cet appel. Espérons que d’autres Etats suivront et que nous en finirons tous avec ce cirque cauchemardesque qui a Trump pour nom.

Emily Hamilton


Extrait du Bloc-notes du point du 31 août 2018

Au chapitre des folies françaises, il y en a une, très étrange, que l’on entend de plus en plus. C’est l’idée d’un Donald Trump qui resterait, contre vents et marées, le favori de l’élection présidentielle à venir – et qui, même condamné à une fraction des 641 années de détention qu’il risque en théorie, pourrait faire campagne depuis sa prison et, une fois élu, s’autogracier. Je sais que cette folie est, aussi, une folie américaine et qu’elle agite la frange la plus extrémiste de l’électorat républicain. Mais elle n’a pas de sens. Et tous les juristes sérieux s’accordent à dire qu’elle est, contrairement à ce qui se lit partout, exclue par la Constitution. C’est son 14e amendement. Il date de 1868, au lendemain de la guerre de Sécession que l’on appelle aussi la guerre civile. C’est ce moment décisif que les constitutionnalistes américains voient comme un second moment fondateur, ou refondateur, de la Nation. C’est aussi l’époque où les sudistes vaincus rêvent de faire entrer au Congrès des personnalités confédérées et insurgées. Et l’article 3 de ce 14e amendement stipule que nul « n’occupera aucune charge civile ou militaire du gouvernement des États-Unis » si, « après avoir prêté le serment » de « défendre la Constitution », il a, soit « pris part à une insurrection ou à une rébellion », soit « donné aide ou secours » à ceux qui y ont pris part. Les rédacteurs, dans leur sagesse, ont aussi prévu, bien entendu, que le Congrès, « par un vote des deux tiers de chaque Chambre », puisse « lever cette incapacité ». Mais ce vote n’a jamais eu lieu. La loi, donc, prévaut toujours. Et le scénario catastrophe, celui qui précipiterait le pays, et le monde, dans une crise politique sans précédent, serait qu’on s’obstine à l’ignorer ; qu’on laisse vivre la chimère ; que Donald Trump soit encouragé à faire campagne, à aller jusqu’aux primaires, peut-être à les gagner et, l’illusion durant toujours, à gagner l’élection elle-même – tout cela pour, ensuite, voir une de ces grandes batailles juridiques dont les États-Unis ont le secret constater qu’il était inéligible et que la plus grande démocratie du monde n’a pas de président. Il faut, parfois, réveiller les somnambules.

Bernard-Henri Lévy

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