Elle joue Lioubov Andréevna dans La Cerisaie de Tchekhov mise en scène par Tiago Rodrigues, qui se joue à l’Odéon. J’ai vu la pièce à Avignon cet été. Il était convenu que j’arriverais en même temps qu’elle au théâtre, et que je la suivrais jusqu’à ce qu’elle entre en scène. Après l’avoir prévenue de mon arrivée dans la ville, j’ai reçu un texto : « Hello Christine, welcome ! Je serai au théâtre vers 19h, tu pourras passer m’y voir ». Et un coup de fil de son assistant, Léo, qui m’a donné rendez-vous devant la porte qui se trouve à l’angle du Palais des Papes. Je l’ai vue monter la rue faisant des grands pas rapides, en pantalon bleu marine évasé, baskets blanches, et veste croisée. Elle s’est approchée : 
– Oh la la je suis tellement en retard. 

Lioubov est une femme de l’aristocratie russe qui, après avoir passé quelques années à l’étranger, revient dans la maison où elle a vécu toute sa vie, la Cerisaie. La famille a accumulé les dettes. Le domaine risque d’être vendu. Son fils s’était noyé dans la rivière quelques années avant son départ. Cette noyade, elle présente comme un châtiment dans la réplique dite « des péchés ».

Lioubov Andréevna: « Mes péchés… J’ai toujours gaspillé l’argent comme une folle, et je me suis mariée avec un homme qui n’a jamais fait que des dettes. Il buvait terriblement, et moi pour mon malheur, je me suis mise à aimer un autre homme. C’était le premier châtiment, un coup direct à la tête. Et ici, sur la rivière, s’est noyé mon petit. Je suis partie à l’étranger, je suis partie pour toujours, pour ne jamais revenir, pour ne plus voir cette rivière… J’ai fui, en fermant les yeux, j’avais perdu la tête. »

A propos de cet homme qu’elle a aimé, elle dit : « Et lui, il m’a suivie, impitoyable et brutal. J’avais acheté une villa près de Menton. L’année dernière, lorsque les dettes ont fait vendre la villa, je suis partie pour Paris, et là, après m’avoir dépouillée, il m’a laissée tomber pour une autre… J’ai essayé de m’empoisonner. Une bêtise, une honte… Puis, je me suis mise à languir après la Russie, après ma patrie, après ma petite fille. Mon Dieu, mon Dieu, miséricorde, pardonne-moi mes péchés ! »

Le metteur en scène faisait des notes aux acteurs. La réunion avait commencé. Elle était en retard. Des voix résonnaient sous les voûtes en ogive du bâtiment gothique. Elle accélérait le pas. Je la suivais dans les lages aux murs de toile qu’on y installe chaque année le temps du festival. Elle m’a montré un banc dans un couloir :
– Tu peux te mettre là… Tu ne verras pas, mais tu peux entendre.

J’étais assise sur un banc. Devant moi, était inscrit Adama Diop sur une pancarte. C’était l’acteur qui jouait Lopakhine. Le fils de moujik, qui veut acheter la Cerisaie.

Je saisissais un mot par ci par là que je notais. L’écho transformait les voix. C’était une bouillie de sons. Il y avait des intermèdes de rires. J’ai distingué « ça, essentiel » à propos de je ne sais pas quoi. Il y a eu un grand rire collectif, quelqu’un a dit « super », des bruits de bancs, qui raclaient le sol, elle est réapparue, au bout d’un couloir en toile, avec son sac au creux du coude.
– Tu viens Christine ?
On a fait quelques pas, puis elle a ouvert un rideau :
– Voilà mon antre. 

Sa loge se trouvait juste à côté de la loge de maquillage. Elle a posé son sac sur un divan qui se trouvait à gauche. Au fond, à un portant, étaient suspendus un pantalon vert, fluide, une blouse imprimée, un manteau sombre. Qu’elle le porte, quand elle revient dans la maison, avec un chapeau, et à la fin, quand elle repart. Et que la maison a été vendue à Lopakhine. Une didascalie précise dès la première scène : « Lioubov, Ania et Charlotte toutes les trois en tenue de voyage… ». Sa fille, Ania, lui dit : « Maman, tu te rappelles cette chambre ? » Lioubov, à travers ses larmes, répond : « C’est la chambre d’enfants ! Ma chère, ma jolie chambre… J’ai dormi ici quand j’étais petite… Je me sens à nouveau comme quand j’étais petite. »

A côté du portant, dans une armoire, il y avait le chapeau sur une étagère. 

Lopakhine connaît Lioubov depuis l’enfance, il raconte une anecdote :

« – Quand j’étais gosse, je me rappelle, j’avais peut-être quinze ans, mon père tenait une boutique, ici, au village, et un jour il avait un peu bu, il m’a envoyé un coup de poing en pleine figure, je me suis mis à saigner du nez… Ça s’est passé ici, dans cette cour. Et Lioubov Andréevna, je m’en souviens comme si c’était hier, elle était toute jeune, toute mince, m’a menée jusqu’au lavabo dans la chambre des enfants, elle me disait : “Ne pleure pas, petit moujik, pour tes noces il n’y paraîtra plus…” Petit moujik… C’est vrai, mon père était un moujik. Et moi, me voilà avec un gilet blanc et des souliers jaunes. Tout ce que j’ai, c’est d’être riche. J’ai beaucoup d’argent, mais il suffit de gratter un peu pour retrouver le moujik… Par exemple, j’ai voulu lire ce livre (il attrape un livre), mais je n’ai rien compris.

Lioubov est heureuse de retrouver sa maison, elle rit, elle se lève, elle marche, elle déambule :

« – Est-ce vraiment moi qui suis là ? J’ai envie de sauter, d’agiter les bras. Je ne rêve pas ? 
Elle enfouit son visage dans ses mains, comme si elle se réveillait, n’y croyait pas :
– Je ne tiens pas en place, je n’arrive pas rester tranquille. Je ne survivrai pas à cette joie… Moquez-vous de moi, je suis sotte…
Et elle embrasse l’armoire :
– Ma chère petite armoire… 
La table.
– Ma petite table… »

Sur le divan à gauche en entrant, il y avait des coussins, une petite couverture.
– Assied-toi là Christine, si tu veux. 
Elle a ouvert le rideau, appelé dans le couloir :
–  Jocelyne…
Une femme est arrivée. Je la connaissais, je l’avais vue avec elle dans les loges d’un autre théâtre.
– Jocelyne, est-ce que tu peux me mettre un patch au creux du dos pour mon lumbago.
– Je vais te chercher ça…
Cinq minutes après, Jocelyne est revenue. Isabelle avait retiré sa veste, elle lui a présenté son dos et soulevé son T-shirt :
– Tu crois qu’on devrait en mettre deux ? 
– C’est pas nécessaire. Ça va te chauffer.
Pendant l’application du patch, elle expliquait :
– J’ai mal au dos, parce que je cours sur le plateau. Pendant toute une soirée. Et j’ai des talons très très hauts.
Un peignoir en coton léger se trouvait sur le portant. Elle l’a enfilé :
– Je vais me faire un café. Tu peux venir…

Dans le couloir, elle s’est retournée pour voir si je la suivais. 

Elle s’est fait un café, m’en a proposé un, on a repris le couloir. Dans la loge, elle s’est assise à la longue tablette qui allait d’une cloison à l’autre, devant laquelle il y avait deux chaises, l’une devant un miroir, sur laquelle elle était assise. L’autre vide.

Elle a raconté que Caroline Champetier était assise là quelques jours plus tôt, (elle la filme pour un documentaire réalisé par Benoît Jacquot), qu’elle ne la voyait pas, que, tout à coup, elle s’était tournée, et avait dit :
– « Ah t’es là ». 
Alors que Caroline Champetier était assise à quarante centimètres d’elle depuis une heure.
– Elle avait sa caméra ? 
– Oui !
– Elle a filmé ça. Donc, c’est bien.

Sur la tablette, il y avait des livres, des paquets de gâteau, un manuscrit roulé, un flacon de parfum, des pastilles Vichy. 

On est allées dans la loge de maquillage qui jouxtait la sienne. Elle s’est assise sur un fauteuil pivotant face à un miroir, une autre femme, Sylvie, que j’avais déjà vue avec elle dans un autre théâtre, lui posait du vernis à ongle. De sa main libre, elle tapotait avec précaution les touches de son téléphone.

Il y avait deux miroirs et deux fauteuils. Devant l’un, des produits de maquillage. Devant l’autre, des peignes et des brosses. Pendant que Sylvie peignait sa paupière, elle a dit :
– La forme de l’œil, c’est sa spécialité. 
– Tu as des grands yeux.
– Ça va. J’ai pas à me plaindre. 

Je posais peu de questions. Je notais ce que je voyais. Il n’y avait pas grand-chose à voir, mais ça m’intéressait. Noter m’intéresse. 

– Léo, pourquoi on n’irait pas voir la chapelle ?
– En tout cas, c’est ouvert. Si vous avez cinq minutes. Et il faut que tu manges aussi.
– Je ne suis pas très boulimique en ce moment. Je finis la préparation, et je te dis. Je te dis tout de suite.

Son petit-fils avait joué dans un film présenté la veille à Cannes, de Joachim Lafosse, Les Intranquilles, elle a fait défiler des photos sur son téléphone. Un petit garçon de neuf ou dix ans. En smoking. Elle a agrandi le visage sur l’écran. Elle a parlé des spectacles qu’elle avait vus, de ceux qu’elle voulait voir, Jatahy, Angélica Liddell. Puis elle a parlé de moins en moins. La loge est devenue silencieuse à partir de huit heures et demie. Le spectacle commençait à vingt-deux heures. Une jeune actrice entrait pour se faire maquiller. En me voyant elle a fait un pas en arrière :
– Ah pardon, vous êtes en train d’écrire !
– Oui, mais c’est rien, c’est…

Elle s’est assise sur le fauteuil de maquillage. 
– Isabelle, je peux te poser une question ? 
– Bien sûr.
Sylvie s’occupait de la jeune actrice. 
– Pour une avant-première, il faut s’habiller ?
Jocelyne séchait les cheveux d’Isabelle et bouclait les mèches avec un fer à friser. 
– Oui, un petit peu, c’est plus sympa.
Jocelyne enroulait des mèches de cheveux autour d’une brosse ronde.
– C’est incroyable comme ils poussent.

Je la regardais. J’ai pensé à la toute première fois que je l’avais croisée. C’était dans un studio de télé. À Canal Plus. Elle était avec Claude Chabrol. Ils étaient déjà sur le plateau quand j’étais entrée. Pour eux, ça avait l’air d’être la routine. C’était la première fois que je participais à une émission importante. J’avais le trac. J’avais peur de manquer de la présence d’esprit nécessaire et de rater mon passage. L’animateur était à ma gauche, eux, face à moi. 

– La chapelle, on n’aura pas le temps… 20h44.
Elle a chantonné en fixant l’écran de son téléphone. J’ai noté le rythme :
– La la la/ la la la/ la la la la/ la la la.

Personne ne parlait. Elle était sérieuse, silencieuse, lointaine. Je la voyais de profil. J’avais l’impression de ne pas la connaître. J’ai pensé : Je ne la connais pas.

Elle s’est remise à chantonner après un long silence. 
– Hum hum hum… hum hum hum…
Lentement, avec application, elle a mis du rouge à lèvres sur sa bouche comme si elle dessinait.

Soudain, l’attachée de presse du festival est entrée dans la loge. Elle lui a demandé de choisir, parmi des images qui défilaient sur l’écran de son téléphone, un portrait d’elle. Elle a dit « un peu dure » à propos de l’une d’elles, puis a fait son choix rapidement. 

Le silence est revenu. Le seul bruit qu’on entendait, c’était moi qui griffonnais sur le papier. Et le cliquetis irrégulier du fer à friser. Jocelyne le tenait d’une main, et de l’autre, avec la brosse ronde, coiffait les mèches, une par une après les avoir chauffées.

Les pieds croisés sous le fauteuil pivotant, par intervalles, elle balançait les jambes sous son siège. Le visage sérieux. Il n’y avait plus d’expression ni d’amabilité, ni de complaisance, ni de civilité, ni de sociabilité, puis, plus de balancement de pied, son corps recroquevillé dans le siège. Jocelyne enroulait les mèches autour du fer une par une, et relevait celles qu’elle avait déjà faites en les pinçant sur le haut du crâne. 

Elle a posé la brosse et le fer à friser sur la tablette. Isabelle a approché son visage du miroir : 
– Plus belle, on peut pas. 

Une actrice, en costume de scène rouge vif, est entrée, elle s’est assise dans le fauteuil de maquillage. Isabelle a levé un œil, l’a rebaissé, elle chantonnait sans articuler, lèvres fermées, hum hum hum… hum hum… Ça s’arrêtait, et reprenait.

Des acteurs se relayaient sur le fauteuil de maquillage. Un mot ici, un mot là. Puis, tout le monde est parti vers le plateau nu. 
– Tu viens Christine ? 
J’ai suivi son pas rapide dans les couloirs et les escaliers.

Les acteurs sont tous montés sur le plateau. Pour l’arpenter avant l’entrée du public.

Je la regardais. Elle était vive. J’étais face à elle, dans la salle vide. Elle arpentait la scène en peignoir, écartait les bras, s’arrêtait à certains endroits, en murmurant quelque chose que je ne distinguais pas. Elle s’est mise à chanter quelque chose. Le mistral soufflait depuis plusieurs jours. De nouveau, elle a écarté les bras :
– On va s’envoler. Faut faire gaffe. Allez. On y va. On va à la chapelle. Tu viens ? Il y a une exposition Yan Pei-Ming. Il paraît que c’est génial. 

On a pris un grand escalier en pierre qui se trouvait derrière le plateau. Léo ouvrait la marche. Je suivais Isabelle avec mes feuilles à la main. Tout en haut, Léo a ouvert une grande porte en bois. Elle est entrée en s’écriant :
– Waouh.
Des grands tableaux noir et blanc étaient accrochés aux murs. Elle me cherchait du regard par moments. Tout d’un coup, il y a eu un claquement. Poussée par le vent, la haute porte en bois venait de se refermer. Debout, raide, le corps tétanisé, elle a crié en tapant du pied :
– Putain on est enfermé.
Léo est allé ouvrir la porte. Isabelle dit :
– Han. J’ai eu peur. Tu te rends compte, on aurait été enfermé. Ç’aurait été surréaliste…

De retour dans la loge, elle a enfilé le pantalon fluide et le chemisier. Une série de petits boutons fermait les poignets. L’habilleuse les attachait. Isabelle baillait de temps en temps. Et chantonnait :
– Hum hum hum… Hum hum hum hum… Hum hum hum hum… Hum hum hum hum… Hum hum hum hum hum
J’ai rangé mes feuilles dans mon sac.
– Tu vois pas le spectacle ?
– Bien sûr que si.

À la fin de la pièce, elle reste un long moment au centre de la scène. Elle ne fait rien. Elle pense. La maison a été vendue. Lopakhine l’a achetée. Les acteurs vont et viennent sur la scène. Assise par terre au pied d’un poteau, elle est un point fixe. On la regarde.

Je suis rentrée à l’hôtel. Le lendemain, en fin d’après-midi, elle m’a envoyé un texto, vers six heures et demie :
– Je suis au théâtre. 
– Je viens ?
– Yes of course
– Je cours, je vole.
– On est en italienne. Mais tu peux regarder de loin !

Je me suis assise contre un mur dans la grande salle aux voûtes en ogives, derrière une table, je les voyais à distance. Je lui ai écrit un texto : « Ok suis là. – Tu vas bien ? – Oui très bien. Toi ? Le dos ? – Un peu mieux. »

Elle portait des bottines blanches, et se balançait sur sa chaise. Elle a regardé son téléphone, ses ongles. Elle s’est grattée la tête, a allongé ses jambes, et croisé ses pieds l’un sur l’autre. Elle a mis une jambe sur son genou, et le poing sur la bouche.

L’acteur qui jouait Firs, une main sur le dossier de sa chaise, faisait des étirements, debout, les pieds pointés. Puis il s’est allongé par terre les bras écartés. 

Celui qui faisait Petia était assis, les mains sur son visage, comme quand on a les yeux fatigués.

Caroline Champetier l’attendait dans sa loge. Assise sur l’autre chaise devant la tablette. Sa caméra s’est tournée vers elle quand elle est entrée, et s’est assise devant son miroir, face à une assiette qui contenait deux œufs durs.

– Ah, j’ai plein de choses à faire, moi, ce soir. Et faut que je me lave les cheveux.
Elle a pris son téléphone :
– C’est le palmarès de Cannes aujourd’hui. Léo, on va regarder qui est en train de gagner le meilleur acteur. 
Léo a posé son ordinateur devant le miroir pour qu’on ait un écran plus grand, la voix du présentateur annonçait le prix du jury…
– Ah il y a des ex-aequo. Reste Léo. Tu peux pas mettre un peu plus fort ?
L’un des deux lauréats remerciait Thierry Frémaux d’avoir sélectionné son film, puis :
– Merci Isabelle de la Patellière, et ce que je veux dire à Spike Lee en particulier, c’est que lorsque à quatorze ans j’ai vu Jungle Fever

Elle a tapoté un texto sur son téléphone.
– On en est où là Léo ? 
– Au début.
– Quand même c’est bizarre comme situation, un seul trophée pour deux. Ç’avait été pareil, nous, avec Sandrine. On avait tiré au sort, et c’est elle qui l’avait eu… Ils auraient pu en faire deux quand même. 
– C’était pour quel film ?
Deux personnes ont répondu :
– La Cérémonie de Chabrol.

Jocelyne est arrivée.
– Je sais. Il faut que je me lave les cheveux. Tu me donnes combien de temps ?
La voix du présentateur annonçait le prix d’interprétation féminine.
– Bon je regarde ça, et puis je vais me laver les cheveux.
La lauréate Renate Reinsve est primée pour Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier.
– C’est cool pour Joachim. C’est Génial. Il paraît qu’elle est géniale. Il faut que je me lave les cheveux. 
Léo a mis sur pause. Elle a enfilé le peignoir gris, et elle est partie dans le couloir avec Jocelyne. Caroline m’a demandé :
– Tu crois que j’y vais ?
– Je sais pas. C’est délicat. Elle se lave les cheveux, est-ce qu’elle se déshabille, est-ce qu’elle est nue dans la douche ? Elle l’aurait dit si elle voulait qu’on la suive, non ? Elle le dit quand elle veut qu’on la suive…
Quelques minutes plus tard, elle est revenue les cheveux mouillés :
– Pourquoi vous n’êtes pas venues ? 
– Ben… Pour pas te déranger.
– Mais non… C’est bête. C’est dommage, c’est intéressant. Je le refais ? Jocelyne, on a le temps ? Allez, je le refais. Venez.

On l’a suivie jusqu’à une pièce tapissée de carreaux de faïence. Jocelyne lui a mouillé les cheveux en versant un broc d’eau dans un petit lavabo blanc. Isabelle a renversé sa tête, en faisant valser la masse des cheveux mouillés vers l’intérieur du lavabo. Puis en arrière, pendant que Jocelyne lui tendait une serviette.

On est allé dans la loge de maquillage, et on a continué à regarder le palmarès du festival, avec le bruit du sèche-cheveux.
– Léo, tu peux pas mettre un peu plus fort ?
Le présentateur a rendu l’antenne en disant : 
– C’est la fin de ce 74ème festival de Cannes. Merci Thierry Frémaux, merci Pierre Lescure.
– Ça ne te dérange pas, toute cette agitation, avant d’entrer en scène ?
– Non pas du tout.
– C’est des émotions, quand même ?
– Non c’est des nouvelles. Ça ne me dérange pas du tout. Au contraire. Je suis très contente d’avoir lavé mes cheveux surtout. Ce soir, c’est la dernière, c’est triste. La Cour. C’est quand même particulier. Mais j’en ai bien profité. Tous les soirs, je me suis dit : Je suis dans la Cour. 

Elle avait des barrettes dans les cheveux. Elle chantonnait « Les moulins de mon cœur ». La mélodie complète. 
– Ils ont commencé à faire entrer le public, vous croyez ?
– Pas encore.
– Je vais me faire un café alors. Moi, je prends du café en poudre, c’est bien meilleur. Avec du lait. Du lait en poudre. J’adore ça. C’est pas du gros lait de vache. 
– Tu t’en vas Christine ?
– Non, je mets mes feuilles dans mon sac.

Je l’ai regardée de dos jusqu’à ce qu’elle monte sur la scène, et que je la perde de vue. Puis j’ai pris l’escalier qui se trouvait en contrebas du plateau, je suis sortie par la porte en bois qui se trouvait à l’angle du bâtiment, je suis rentrée à l’hôtel, j’avais faim, j’ai mangé, et me suis couchée.

Le lendemain matin, j’avais un texto d’elle :  « – T’es où Christine ? T’es partie ? Tu veux pas boire un petit verre ? – Je t’ai regardée entrer en scène, et suis rentrée à l’hôtel, avant de reprendre mes notes ce matin. C’était génial ces deux jours avec toi, où tu étais mon point fixe. »


La Cerisaie

d’Anton Tchekhov
mise en scène par Tiago Rodrigues

avec : Isabelle Huppert, Isabel Abreu, Tom Adjibi, Nadim Ahmed, Suzanne Aubert, Marcel Bozonnet, Océane Caïraty, Alex Descas, Adama Diop, David Geselson, Grégoire Monsaingeon, Alison Valence; et les musiciens Manuela Azevedo et Hélder Gonçalves

durée 2h30
du 7 janvier au 20 février
au Théâtre de l’Odéon

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Un commentaire

  1. Je ne sais pas pourquoi on fait un tel reportage. Qu’est-ce qu’on peut apprendre de cela? Que les actrices « star » sont des êtres humains comme toi et moi? C’est un peu maigre comme observation, non? Je ne comprend pas … est-ce que cela peut contribuer à la prise de conscience de l’humanité? Christine, je crois que vous pouvez faire mieux …

    Amicalement de la Suède,
    Maja