Ma génération a vu comment se font et se défont les rêves d’émancipation. Mais ma génération a vécu aussi sous la lumière éclaboussant d’humanité de quelques géants cheminant avec grâce, noblesse et bonté. Avec Mandela et Desmond Tutu, ceux et celles de ma génération avons appris à compter avec le soleil. S’il y a la nuit, il y a le jour.

Tutu. Je vous souhaite la bonté de Desmond Tutu.

La bonté qui ne se dérobe pas devant l’épouvante ; la bonté engagement contre la cruauté et l’arbitraire ; la bonté gravée dans le réel qui n’est point naïveté mais lucidité. La bonté qui sait mesurer la souffrance et qui s’implique pour la faire reculer, la bonté qui dure et force le respect. La bonté comme chose éternelle et nouvelle à chaque lever de soleil.

Desmond Tutu a vécu sous le régime de la ségrégation raciale. De l’exclusion. De l’écrasement. De la brutalité. Tutu l’anglican savait – comme affirmait Einstein – que Dieu est savant mais non magicien. Que dès lors, en l’absence d’un sauveur suprême, il revenait à chacun d’être le gardien de son prochain. Avec pour seule utopie, la plus grande des utopies, celle qui ouvre toutes les portes de l’imaginaire, l’amour. Vivre et aimer. Éprouver des sentiments de compassion envers autrui étant plus qu’un signe d’humanité, la marque suprême de civilisation.

L’espérance. La bonté comme espérance. Desmond Tutu a vécu habité par l’espérance. L’espérance qui donne force. L’espérance puissance subversive qui refuse de se conformer à ce qui est. Mais qui envisage tous les possibles. Qui proclame que nous pouvons nous asseoir ensemble et dessiner le visage de notre futur commun. Qui rappelle que le salut n’est pas dans l’affirmation des dogmes désincarnés mais dans le respect de l’humanité de chacun.

L’apartheid était inhumanité. L’apartheid séparait. Il y avait le monde des Blancs ; il y avait le monde des Noirs. Tutu fait le choix de célébrer à la fois l’égalité et la pluralité de l’Afrique du Sud. Et du monde. Car au-delà de nos apparences, nous sommes affiliés à la même humanité. A la ségrégation du régime d’apartheid, l’Archbishop oppose une autre volonté : libérer les opprimés et les oppresseurs, rehumaniser les humiliés et les humiliants.

Aux côtés de son ami, Nelson Mandela, Desmond Tutu prend sur ses frêles épaules la charge collective du pardon donné exceptionnellement en échange de la vérité. Le pardon qui n’est ni apologie de l’impunité, ni effacement de l’histoire, ni refoulement des crimes, ni oubli des lignes de conflictualité. Le courage du pardon critique. L’impensable pari du pardon comme liberté radicale. Auto-libération. Non pas le pardon de Dieu. Mais le pardon face à face.

Le miracle aura lieu. L’Afrique du Sud post-apartheid ne sombrera pas dans le bain de sang général tant redouté. La vengeance des victimes contre leurs bourreaux n’aura pas lieu. Magie de l’Ubuntu, la philosophie de Desmond Tutu. L’Ubuntu : Je suis parce que nous sommes. Nous sommes interdépendants. Être humain c’est reconnaître l’humanité des autres. L’Ubuntu n’exclut pas. L’Ubuntu rassemble. L’Ubuntu, l’humanité, la compassion, la gentillesse, l’hospitalité, la convivialité, le partage, la générosité.

En ces temps de paroles noyées de violence, de discours clivant manipulant les affects, je vous souhaite la bonté joyeuse et curieuse du monde de Desmond Tutu.

Je vous souhaite de respirer par la bonté.