Cher Kylian, cher Mbappé,
Mon voisin de palier a transpercé hier les murs de mon appartement d’un cri sourd de toute la détresse du monde : tu venais de rater ton peno. De mon côté, j’étais assis, le regard collé au téléviseur, stoïque, bien calé dans mon fauteuil : pas un seul cri n’est sorti de ma bouche. Je n’y peux rien ; j’ai été éduqué ainsi : même quand tout va mal, tout va bien malgré tout.
J’imagine ce que tu ressens ; ce que tu as dû ressentir : dans ton message diffusé sur les réseaux sociaux, tu parles d’« échec ». Tu voulais aider l’équipe et, dis-tu, hélas, tu as « échoué ».
L’échec. Mais qu’est-ce qu’un échec ? « Un revers momentané », nous dit le dictionnaire ; « l’issue malheureuse d’une entreprise ». Ah ! L’échec, ce mot de mauvaise réputation en francophonie ! Moi je parlerais plutôt d’expérience. De vécu. De ce qui nous pousse à aller vers l’avant. A être meilleur. Plus fort que ce que nous étions.
Expérience désagréable, tout de même ? Sans doute. Mais n’est-ce pas ainsi : grandir est intrinsèquement incompatible avec confort. Malheur, dit-on dans la langue de mon premier pays, malheur à celui-là à qui tout réussit tout le temps, du premier coup, sans effort ; celui-là n’est pas béni des dieux ; il n’ira pas loin : au premier obstacle majeur, il s’écroulera de tout son corps et sa chute sera irrémédiable. Irréversible.
Rater ? Expérience du réel ; expérience de ce truc sur lequel on vient se cogner ; expérience et non anéantissement. Opportunité pour grandir. Mieux grandir. Grandir mentalement. Avancer vers de grandes choses.
Cher Kylian,
Tu le sais par ton parcours : toute victoire est fruit de nombreuses défaites ; toute victoire est fille d’une importante décision : ne jamais laisser ce qui est négatif prendre le pouvoir sur nos cœurs, nos émotions, notre discernement. Refuser ce qui tétanise, ce qui désarme, décourage, désarçonne, empêche d’avancer, ce qui aveugle et fait perdre de vue les objectifs qu’on s’est fixés.
Une nouvelle route s’ouvre devant toi. Un nouveau chapitre, plus beau, plus exaltant, sensationnel.
Pour le reste, mieux que moi tu sais que le foot est fondamentalement un sport imprévisible, incontrôlable, et parfois même complètement dingue, irrationnel. De là lui vient quelque part son charme. N’est-ce pas pour cette raison que le foot est si populaire ? A cause de ce pouvoir exceptionnel de refléter l’irrationalité de notre existence vie ? Oui, le foot est un ballet théâtral au dénouement souvent imprévisible. Tout peut arriver dans un match : même Platini, Socrates, le grand Socrates, Zidane, Baggio, Zico ou toi-même, Kylian Mbappe, le jeune prodige, ratant un pénalty !
Cher Mbappé,
Un nouveau chapitre. Une nouvelle page. Tu reviendras, j’en suis certain, plus fort encore, le talent toujours flamboyant, le sourire transcendant, la peau plus épaisse pour rayonner et éclairer.
Alors à bientôt champion !