Le 2 avril 2021, sur CNews, lors d’un débat qui l’oppose à Manuel Valls, le polémiste Éric Zemmour répand à l’antenne ses grands classiques anxiogènes, notamment la théorie complotiste du grand remplacement des populations françaises et européennes par des population de cultures ou d’origines ethniques et de religions différentes (les noirs, les arabes et les musulmans, principalement)[1]. Que nous dit ce polémiste ? « Je suis né à Montreuil, j’ai grandi à Drancy, dans le dix-huitième, à Château rouge. Je suis retourné dans ces endroits, je peux vous dire qu’aujourd’hui ce sont des endroits uniquement maghrébins, africains ou largement islamisés et il y en a comme cela des tas et en vérité on n’est plus en France, au sens où tout simplement il n’y a plus de mœurs française. ». Et d’ajouter, s’adressant à Manuel Valls : « Vous êtes en train de minorer. Et je vais vous dire mieux, et ne venez pas me dire que c’est parce qu’il y a une mauvaise répartition, parce qu’en vérité ce que l’on voit là, c’est partout en France. On le voit dans les classes, partout. » Puis, Éric Zemmour prend comme référence les propos du maire de Béziers, Robert Ménard : « Dans ces classes il y a deux tiers, deux tiers d’enfants maghrébins, deux tiers d’enfants musulmans et c’est pour vous dire et ça c’est partout en France. »

Mais, sur quoi sont basés ces chiffres dans un pays où l’on ne recense pas les gens en fonction de leur appartenance à telle ou telle religion[2] ? Le 4 mai 2015, lors d’un débat dans l’émission « Mots croisés » sur France 2, Robert Ménard avait donné des pourcentages d’enfants de confession musulmane dans les écoles de sa ville[3]. « Ce sont les chiffres de ma mairie. Pardon de vous dire que le maire a les noms, classe par classe, des enfants. Je sais que je n’ai pas le droit, mais on le fait », avait-il commenté[4].

Justement, lorsqu’ils sortent de la bouche de Robert Ménard et, plus particulièrement, de celle d’Éric Zemmour, ces propos réitérés continuellement, méthodiquement, ont une finalité : marteler que la France serait envahie par des « hordes » de populations étrangères qui y sont devenues par la suite prédominantes, par l’installation durable, et surtout par la « conquête » de quartiers (ou par d’autres moyens ?)

Les maux d’Éric Zemmour

Mais, pour développer de tels propos, Éric Zemmour va au plus pressé. Comme l’explique si justement l’historien Laurent Joly dans un article qui relate un procès qui avait été intenté contre lui par différentes associations antiracistes après que le polémiste ait proclamé sur CNews que Pétain avait sauvé les juifs français, « la vérité de l’histoire et la réalité académique n’intéressent pas Éric Zemmour. L’outrance, le mensonge, l’inversion du réel sont les armes naturelles du polémiste[5]. » C’est ainsi qu’Éric Zemmour, en bon idéologue, assène mensonges, omissions, contre-vérités et propos particulièrement anxiogènes. Le but ultime ? La remise en cause perpétuelle des Lumières.

Mais son discours est structuré intellectuellement. Éric Zemmour sait de quoi il veut parler, en très bon débatteur. Et, en saupoudrant le tout de quelques citations choisies, avec cette détermination et cette conviction qui sont chez lui de véritables marques de fabrique, Éric Zemmour joue facilement entre les concepts et les dénonciations multiples : immigration = invasion, décadence et déclassement de la France, destruction de la nation, insécurité et violence… Il se présente comme le héros des « petites gens », des sans-grades, celles et ceux qui n’ont pas la parole, qui voient avec tristesse et effroi, notre pays se déclasser, dépérir et mourir à petit feu. Un pays qui perdrait ses racines, qui se transformerait peu à peu négativement, « partout », assène-t-il constamment. Ces « français de souche », blancs et chrétiens, croient que leur pays disparaît, que la civilisation européenne s’éteint, un pays divisé marchant vers une éventuelle guerre civile pour sa survie tant existentielle, qu’identitaire.

C’est ainsi que, sans appartenir pourtant à un quelconque parti politique, il est devenu le porte-parole de cette France-là. Elle se reconnaît en lui, il parle en son nom, il en est le héros, si fier qu’il peut être à l’instar du pays réel, de ses racines, de ses terroirs, de son histoire glorieuse, de sa civilisation, de sa grandeur et de son génie. Éric Zemmour parle leur langue. Pour parachever le tout, il sait aussi se poser en victime, lorsque l’occasion se présente, affirmant à qui veut l’entendre, qu’on l’injurie, le menace et le couvre d’opprobres. C’est sûrement vrai, d’ailleurs.

En somme Éric Zemmour est le nouveau Jeanne d’Arc qui veut bouter hors de France… l’étranger.

En fait, la provocation ultime consiste – devant son public – à asséner les expressions les plus folles, les comparaisons les plus douteuses en vue de décrire les noirs, les arabes, les musulmans comme des envahisseurs et des « colonisateurs ». Ce qui d’évidence, compte tenu du danger que cela pourrait représenter dans son esprit (et celui de son public), nécessiteraient d’appeler, au moins implicitement, à résister contre les populations concernées.

C’est ainsi que, lors de la convention de la droite organisée par l’ancienne députée d’extrême droite Marion Maréchal Le Pen et ses proches, le journal L’Incorrect, lié aux jeunes associations « Racines d’Avenir » et « Cercle Audace », le 28 septembre 2019, Eric Zemmour clame : « Mais on continue à nous seriner que l’immigration est une richesse. Cherchez l’erreur. La question qui se pose donc à nous est la suivante : les jeunes Français vont-ils accepter de vivre en minorité sur la terre de leurs ancêtres ? Si oui, ils méritent leur colonisation. Sinon, ils devront se battre pour leur libération. »  Il clame encore : « Ainsi se comportent-ils comme en terre conquise, comme se sont comportés les pieds noirs en Algérie et les anglais en Inde. Ils se comportent comme des colonisateurs. »

Rien ne l’arrête : « Il y a une continuité entre les vols, trafics, jusqu’aux attentats de 2015 en passant par les innombrables attaques aux couteaux dans les rues de France (…) C’est le djihad partout et le djihad pour tous et par tous. » Avec ses quelques « vérités » assénées probablement avec douleur, nous sommes ramenés sans coup férir à « l’Islam », un peu plus loin. Citons encore Zemmour : « Dans les années 30, les auteurs les plus lucides dénonçaient le danger allemand, comparaient le nazisme à l’islam. Oui, ils disaient l’islam et personne ne leur reprochait de stigmatiser l’islam. A la limite, beaucoup trouvaient qu’ils exagéraient un petit peu bien sûr, disaient-ils : ‘Le nazisme est parfois un peu raide et intolérant, mais de là à le comparer à l’islam’… »

Ces propos assénés aussi froidement criminalisent, jettent l’opprobre, généralisent à l’excès, caricaturent à volonté, salissent démesurément et à l’envie. Par ailleurs, Eric Zemmour se livre à un véritable réquisitoire, sans appel aucun, d’une brutalité sans nom. Certes, le texte est bien écrit, il manie avec forte habilité la belle langue française. Pour mieux décomposer et pulvériser ses adversaires innombrables, il nous propose une échappée sur quelques thèmes favoris énoncés sous forme de slogans : la « mondialisation heureuse », le « progressisme », le « néo-libéralisme », « l’universel droit de l’hommisme », le « libre échange mondialisé », « les juges, conditionnés par la propagande de gauche », etc. Bref, tout ce qui provoque des poussées de fièvre et des boutons aux populistes, revanchards décomplexés de l’extrême-droite.

Mais ces propos visent également les enfants.

Éric Zemmour n’hésite pas à distinguer les enfants ou les adolescents immigrés, à les qualifier également. Ils deviennent/sont/resteront un objet de suspicion généralisé. Éric Zemmour essentialise. Ces enfants sont enfermés dans une identité restreinte, figée et dont ils ne pourront évoluer, dont ils ne peuvent sortir. Parce que cette identité est étrangère, non européenne et non « blanche », elle les distingue. Ce sont des enfants, mais de futurs envahisseurs. C’est ainsi qu’Éric Zemmour criminalise enfants et adolescents étrangers. Ces quelques rappels non exhaustifs en témoignent.

Fin mai 2012, Éric Zemmour fustige, sur RTL, la nouvelle ministre de la Justice, Christiane Taubira : « Elle a choisi ses victimes, les femmes, les jeunes et ses bourreaux, les hommes blancs », explique-t-il. Plus tôt dans sa chronique, il lance : « Christiane Taubira sait aussi redevenir douce et compatissante, compréhensive, une maman pour ses enfants. Ces pauvres enfants qui volent, trafiquent, torturent, menacent, rackettent, violentent, tuent aussi, parfois[6]. » Le 30 septembre 2020, sur la chaîne CNews, Éric Zemmour traite les migrants mineurs isolés d’être « tous » des « voleurs », des « assassins » et des « violeurs ».

Le 4 septembre 2021, Éric Zemmour surenchérit à un propos qui avait été prononcé par Gérald Darmanin. Le ministre de l’Intérieur avait évoqué l’augmentation de la délinquance qu’il qualifie « d’ensauvagement » de la société. « Il ne s’agit pas en réalité d’un ensauvagement de la société toute entière car on sait bien qui ensauvage, on sait bien qui agresse, on sait bien qui roule sur la gendarme Mélanie, on sait bien qui tue le chauffeur de Bayonne, on sait bien qui casse tout dans les centres de loisirs, on sait bien qui pourrit les plages de Marseille, on sait bien qui est interdit dans les piscines en Suisse. Ce sont à 99,9 % des enfants de l’immigration maghrébine et africaine », lui répond le polémiste. Une accusation qu’il tient quand même à nuancer : « Évidemment tous les immigrés ne le font pas mais on sait qui ils sont et on sait également qui sont les victimes. On sait aussi que les assassins de Mélanie s’appellent Youssef ou autre… ».

Dans cette représentation folle du monde, la France serait assiégée, la France serait dépecée, la France serait menacée y compris par des enfants et des adolescents. C’est ainsi qu’Éric Zemmour ne connaît aucune limite tant qu’il annonce l’apocalypse. Alors, faudrait-il construire une immense ligne Maginot pour empêcher les nouveaux « barbares » d’envahir nos territoires ? A moins que, comme Jeanne d’Arc, le pieux chevalier Éric ne vienne en 2022 enfin bouter définitivement l’étranger dans notre pays. En attendant les élections de 2022 – et pour reprendre le titre d’un ouvrage particulièrement intéressant récemment publié par le sociologue Smaïn Laacher, La France est ses démons identitaires (aux éditions Hermann) – la France ne cesse de plonger dans des débats et des postures qui relèvent de l’impasse la plus totale. En définitive, « les apprentis totalitaires ont devant eux, de longs boulevards. »


Marc Knobel est historien, il a publié en 2012, L’Internet de la haine (Berg International, 184 pages). Il publie chez Hermann en 2021, Cyberhaine. Propagande, antisémitisme sur Internet.


[1] https://www.cnews.fr/emission/2021-04-02/eric-zemmour-face-manuel-valls-1066131

[2] En France, les statistiques ethniques sont interdites par la loi du 6 janvier 1978.

[3] Le Monde, 05 mai 2015. Voir également https://www.dailymotion.com/video/x2p5epl

[4] https://www.nouvelobs.com/politique/20150505.OBS8420/enfants-fiches-par-leurs-prenoms-a-beziers-une-obsession-de-l-extreme-droite.html

[5] Laurent Joly, « Zemmour devant la 17e Chambre correctionnelle », Le Droit de Vivre, mars 2021, pp. 36-38.

[6] https://www.francetvinfo.fr/societe/debats/les-cinq-sorties-les-plus-polemiques-d-eric-zemmour_596123.html

7 Commentaires

  1. Éric Zemmour est un rossignol (juif) du carnage. Il a habilement attiré à lui les descendants de la majorité silencieuse qui avait suivi Pétain, en disant des choses aimables sur Vichy. Il sert à opposer une majorité judéo-chrétienne à une très forte minorité immigrée qui est là par la grâce du CRIF de la LICRA et de de SOS racisme. Il est vain de nier l’angoisse profonde qui étreint les Français, y compris les Juifs français, quand ils constatent que dans les écoles les enfants afro-musulmans sont en majorité. Il faut incriminer ceux qui, depuis les années 1970 ont prôné l’immigration et l’antiracisme créant ainsi les conditions des futurs pogroms. Et là il faut se souvenir que BHL et ses amis portent une part décisive de responsabilité. Certains comme Alain Finkielkraut, Gilles William Goldnadel, et d’autres, espèrent que Zemmour, qui est au diapason de l’angoisse des petits blancs, va aider à faire advenir une « communauté de destin » judéo française. Ils ont tort. Déjà des voix antijuives comme celle d’un auteur musulman intellectuel schématique : Youssef Hindi, dont le livre « L’autre Zemmour » publié par Soral cartonne, y compris chez les nationalistes classiques. Il est trop tard. Les dés sont jetés. On a voulu la diversité, on récolte l’antisémitisme général black blanc beur. C’était prévisible. Les Juifs français de base sont d’ores et déjà victimes de leurs leaders communautaires qui ont délibérément créé cette situation, en connaissance de cause. Le vin est tiré, il faut le boire. Ce qui est injuste c’est qu’on ne peut pas vraiment parler d’arroseurs arrosés. Car les Juifs victimes de la violence et les responsables ne sont pas les mêmes. Mireille Knoll et Ilan Halimi ne sont pas du même monde que BHL.

  2. Le dilemme en France est le mirroir de celle en Suède où j’habite. C’est naturel, l’influx énorme venant des pays les plus pauvres et plus brutals du monde avec une réligion de dhimmitude arrivant dans nos pays riches, secularisés et – en comparaison – extrèmement avanceés socialement ne peut que créer des conflits horribles que nos politiciens n’ont pas prévues du tout. Je ne trouve pas qu’on peut gérer ces conflits à la mode americaine en se nommant « blancs » et en victimisant les migrants, parce que je ne crois pas du tout que c’est une question de « race »; je dit toujours que « l’islam n’est pas une race », parce que je crois que tous ces conflicts nouveaux dans nos pays ont à faire avec cette idéologie-là. (Je ne me souviens pas d’un autre conflit de ce genre quand il y avait les « boat people » vietnamiens ou autre migrants ou réfugiés …)

  3. Bonjour Mr Knobel
    J’ai cherché en vain une adresse mail pour vous joindre
    J’aurai aimé échanger avec vous
    Je pense que Mr Zemmour avec lequel je ne suis pas toujours d’accord ,mais
    quand il affirme que beaucoup de maghrébins de 1 ère , et 3 eme génération qui ont acquis
    la nationalité Française vomissent parfois la France et agissent contre elle lorsqu’ils le peuvent
    a raison de le dire .
    Je ne connais pas le lieu de votre résidence , si c’est en Normandie, il est vrai que vous ne percevrez pas
    le phénomène .
    Les parents de Konop, de Minc et autres de la communauté qui ont vécu dans des quartiers pauvres comme Belleville à Paris 20
    ont élevé leurs enfants dans le respect du pays hôte et qui ne sont pas devenus des individus , ne désirant que de vivre en marge et à côté
    Certes le budget de la France n’a pas prévu de politique de préférence nationale pour des sociétés pauvres se surdefinissant et voulant rester à côté pas dedans
    Le cas des juifs à cet égard est une leçon , venus vivre en France il se sont payé le luxe de garder leur identité en général mais n’ont pas demandé une politique de préférence nationale, ils se sont pliés et n’avaient pas une référence hors de France qui les manipulait.
    S’ils n’étaient pas content de leur sort ils faisaient leur Alia et le problème était réglé
    Cordialement

  4. Le rédacteur de cet article condamne, certes, mais ne dément pas. Car ce que dit Zemmour avec une attitude que l’on peut regretter, n’est pas faux dans le fond, et tout le monde le sait. Enfin les gens censés et quelque peu clairvoyants. La forme est contestable, le fond est réel.

  5. Merci pour cet éclairage, et pour m’avoir invité à visionner le débat de BHL face à Zemmour sur CNews (en ligne sur Dailymotion): Il faut voir BHL tomber la veste, et l’entendre ironiser devant l’inquisiteur, « tout est à cause de moi » 🙂

  6. Il est fort probable que les thèses borgnes d’Éric Zemmour stigmatisent une certaine catégorie de Français d’origine africaine, asiatique, américaine, australienne ou polaire, européenne cela va de soi, viscéralement soucieuse d’échapper aux fourches caudines d’une contre-divergence des luttes légitimistes, mais pour autant qu’on puisse en juger, je crains que cet aspect de sa personnalité, eût-il été odieux à tous ceux qui, en chacune de ses prises de parole, furent chatouillés par le crépitement hérétique des fantômes rôtis à la broche de l’ordre du Temple, ne soit de nature à occulter les rudes obstacles qu’érige sa République des Lettres mortes entre Homo mundi et l’Éden que n’a pas fini de représenter pour lui l’avènement d’une communauté internationale réelle.
    J’en vois deux, qui devraient commencer d’occuper en Noûs une place proportionnelle à celle qu’ils prennent partout où notre cristallisation se laisse gaiement pulvériser : 1) le judéogauchisme perd ses moyens face à toute forme d’antisémitisme qui ne se rattache pas au suprémacisme blanc ; 2) que les réfutations de ses contradicteurs soient justes ou erronées, crapuleuses ou honnêtes, Zemmour remporte tous ses matchs.