La liberté de parole est un principe juridique et constitutionnel que l’Etat doit respecter. Il est garanti par le pouvoir de la société civile et l’Etat politique qui est bâti sur sa base.
C’est une liberté qui n’existe pas dans la Russie d’aujourd’hui, malgré les illusions que beaucoup gardent encore. Il y a, en réalité, un espace circonscrit, strictement délimité par les pouvoirs publics. Son fonctionnement dépend à cent pour cent des humeurs de ces derniers. Qui plus est, le régime en place a bien appris à utiliser ces dernières bribes de liberté à son propre avantage.
En Russie, les vérités et les mensonges coexistent d’une manière peu naturelle comme principes mutuellement exclusifs de la vie publique. Au cœur de ce phénomène, la capacité de l’Etat à maintenir le contrôle ultime de l’information. Aujourd’hui, le marché de l’information est un des plus monopolisés en Russie. L’Etat détient, directement ou indirectement, non seulement les médias pro-gouvernementaux, mais aussi la majorité des médias d’opposition. Malgré l’opinion généralement répandue selon laquelle l’internet russophone, ou le Runet, serait plutôt en opposition au gouvernement, l’Etat y occupe une position dominante aussi.
Les efforts du Kremlin ont conduit à la formation d’un flux d’informations dominant en Russie. C’est une méthode extrêmement agressive de diffusion de l’information qui ressemble à une guerre de l’information permanente. A la source de ce flux : le Kremlin. Et les principaux vecteurs de sa diffusion sont l’armée d’agents du Kremlin qui contrôlent l’information à multiples niveaux. Ce système complexe inclut, entre autres, un réseau de think-tanks vaste et décentralisé qui crée ce flux de pensées et d’idées.
C’est la présence d’un flux d’informations puissant contrôlé par l’Etat qui permet au régime de maintenir le flux d’informations alternatives à un niveau très faible et limité. Mais même en autorisant une dose contrôlée d’ouverture le régime dirigeant s’est systématiquement appliqué à développer son contrôle indirect sur les médias d’opposition. La pression politique sur l’environnement de l’information est en constante croissance et tôt ou tard l’Etat arrivera à en prendre le contrôle total. Cela sonnera la fin de cette Glasnost post-moderne déjà étriquée et marquera un retour au modèle Soviétique. Cependant cela mènera inévitablement à des conséquences désagréables et irréversibles pour le régime en place lui-même car cela ne fera que précipiter sa fin.
Une fois que cela aura eu lieu, une Glasnost à la Gorbatchev ne sera plus l’idéal auquel aspirer. Les forces démocratiques doivent aller plus loin : vers un marché de l’information véritable, libre et ouvert, qui serait régi par des lois claires et légitimes. Seule l’existence d’un marché pareil peut être une garantie réelle d’un droit à la parole.
Mon opinion personnelle est que, en cas de doute, c’est la liberté de parole qui devrait avoir la priorité. Il vaut mieux laisser quelqu’un dire quelque chose qui ne nous plaît pas, plutôt que de priver quelqu’un d’autre de l’occasion d’apprendre quelque chose d’utile. Cette priorité à la liberté de parole devrait avoir la précédence sur des considérations sécuritaires en devenant le principe directeur du fonctionnement de l’espace de l’information.
Comment parvenir à cela ?
La liberté de parole, bien entendu, n’est possible que dans un système politique démocratique fonctionnel. Cela signifie une séparation véritable des pouvoirs, un système judiciaire qui marche et même davantage : une volonté de la part de la société de défendre sa liberté les armes à la main. Si la liberté de parole est la monnaie de la politique, sa sécurité dépend de l’infrastructure démocratique de la société. Il y a toutefois d’autres méthodes, en plus de ces garanties, notamment institutionnelles, sans lesquelles la liberté de parole ne peut exister. Cela inclut des mesures économiques, aussi bien que politiques.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le problème principal des médias russes n’est pas celui de la censure, mais celui de la pauvreté. En réalité, la Russie post-communiste n’a jamais eu de médias réellement indépendants financièrement. Jusqu’à la crise de 1998 les médias avaient conservé une certaine liberté de manœuvre, qui était essentiellement une liberté de choisir de qui dépendre financièrement. Toutefois, le processus d’accaparement des médias par l’État a fait que, de 1998 à 2006-2008, il est devenu la seule réelle source de financement direct ou indirect des médias. Ce fut un coup mortel asséné à la liberté de la presse.
A première vue, une solution au problème pourrait être la création d’un environnement de marché normal pour les médias, qu’ils soient traditionnels ou médias en ligne. Malheureusement, il ressort de l’expérience d’autres pays que ce modèle ne fonctionne pas vraiment, qu’il s’agisse de médias traditionnels ou médias en ligne. Peu de pays peuvent s’en sortir sans subventions de l’Etat accordées aux médias, et la Russie a peu de chances de devenir une exception à la règle. Puisqu’un soutien financier de l’Etat à la presse est nécessaire et inévitable, il est primordial d’en assurer la transparence – pour que personne ne puisse tirer un avantage de ces subventions.
La liberté de parole et l’ouverture sociétale ont été et sont toujours l’élément le plus important de la démocratie. Les protéger des attaques, quelle qu’en soit l’origine, est la tâche la plus importante de tout mouvement démocratique.