Au cours de son histoire, le système politique Russe a développé sa propre réponse aux défis de l’histoire. Nous pouvons appeler cela « despotisme permanent ». Au cœur de celui-ci : la division des pouvoirs en « Etat interne » et « État externe » – dans laquelle l’interne contrôle l’externe et agit en centre réel du pouvoir. 

L’État interne a pu s’appeler différemment selon les époques : la Cour impériale, le Parti Communiste ou la coopérative « Ozéro »… son essence est toutefois restée la même. C’est un réseau de pouvoir informel, représenté par des « surveillants » qui sont au-dessus et en dehors de la loi et vivent de leurs privilèges. Cet Etat informel pénètre dans toutes les structures et institutions formelles de l’Etat externe, officiel. C’est un paradigme unique à la Russie qui évolue constamment en s’adaptant toujours aux conditions nouvelles, sans jamais disparaître. 

Dans la conscience historique du peuple Russe, il existe une vision profondément gravée de l’existence permanente et du pouvoir presque mythique de cet Etat interne. Il existe également une croyance forte en la soi-disant « modernisation autoritaire ». Dans la conscience collective nationale, les différentes « victoires de la Russie » sont attribuées aux réformes de Pierre le Grand ou à celles de Joseph Staline. Mais si l’on adopte un regard plus à long terme sur l’histoire, nous nous rendons compte que ce sont précisément ces « victoires » (et les révolutions qui les ont suivies) qui sont à l’origine de l’arriération systémique de la Russie. 

D’un point de vue stratégique, il n’existe pas d’alternatives à la démocratie en Russie. Autrement, viendra le jour où le pendule ira dans le sens contraire et la détruira en tant qu’Etat. 

De quel type de démocratie la Russie a-t-elle besoin et comment peut-elle être construite à moindres frais ?

Tout d’abord, je me permettrai d’émettre une réserve : je ne parle pas ici de restaurer un système ancien. Ce qui nous intéresse c’est la construction d’une fondation démocratique pour la première fois dans l’histoire du pays. Les expériences précédentes, comme la courte période entre les révolutions de Février et la révolution Bolchévique, les années 1990, ont été trop ambigües et trop courtes pour que l’on développe quelque chose en se basant dessus. 

Avant de se lancer dans l’instauration de la démocratie, la Russie a besoin de créer une fondation démocratique, de la même sorte que celle qui existe depuis longtemps dans l’Europe Occidentale. Un système ne pourra être vu comme démocratique que quand toute la société Russe, y compris ses minorités, aura son mot à dire dans le processus de décision politique. 

La question principale qu’il faut se poser est celle de comment transformer le système politique actuel de la Russie, ce « despotisme permanent », en un système qui serait fondé sur le système démocratique de séparation des pouvoirs. Et comment faire pour subordonner le pouvoir suprême, cet État interne tout-puissant, à un système de poids et balances politiques ? Est-il possible de lui ôter son statut sacro-saint ? 

C’est une tâche purement institutionnelle, qui peut et doit être accomplie par des méthodes constitutionnelles et législatives qui s’inscriraient dans le cadre général des réformes politiques en Russie. Ces réformes pourront-elles faire de la Russie un Etat démocratique et à succès ? Démocratique oui, à succès non. La raison de cette incertitude réside dans les défis systémiques et obstacles auxquels fait face la démocratie partout dans le monde, y compris en Occident. 

Il n’est pas clair quelle serait la meilleure approche pour parvenir à créer une démocratie qui fonctionne dans ces conditions fondamentalement nouvelles. 

Mais si nous essayons de bâtir une démocratie d’hier dans une Russie d’aujourd’hui, elle pourrait échouer, quels que soient les efforts, provoquant l’écroulement de tout le projet. C’est pourquoi la Russie n’a pas d’autre choix que de devenir non seulement une société démocratique, mais la société démocratique la plus avancée. C’est aussi pourquoi il est primordial d’appliquer les méthodes politiques les plus modernes et innovantes.