Mikhaïl Khodorkovski, l’ex-patron de la compagnie pétrolière Ioukos, était, avant même ses 40 ans, à la tête de la première fortune russe. Contrariant les « recommandations » gouvernementales, il se mêle de la lutte anti-corruption et soutient ouvertement l’opposition libérale et démocratique de son pays. Le 25 octobre 2003, Vladimir Poutine le fait arrêter. Condamné à 14 ans d’emprisonnement, Khodorkovski passe dix ans dans des colonies pénitentiaires de Sibérie puis de Carélie. En décembre 2013, à la veille des Jeux olympiques de Sotchi et face à la mobilisation internationale, Poutine gracie celui qui était devenu le plus célèbre prisonnier de Russie. Désormais exilé à Londres, Khodorkovski est à la tête d’un mouvement d’opposition au régime de Poutine. Il a sorti cette année un livre (Gardariki, the land of cities) où il propose dix principes de réforme pour une Russie Post-Poutine. La Règle du jeu reprendra tout au long de cette semaine quelques-unes de ces propositions. 

Introduction

La Russie d’aujourd’hui se trouve à un croisement des chemins. La société, l’opposition et même le pouvoir se rendent compte que le pays ne peut continuer dans la même direction, mais personne ne sait à quoi s’attendre. Le régime ne dispose plus de beaucoup de temps – peut-être de cinq ou dix ans supplémentaires –, mais on ignore comment il va prendre fin. 

A la lumière de cela, mais aussi en raison de mon propre cheminement intellectuel, j’ai décidé de me livrer à une réflexion non pas sur comment remplacer ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir, mais plutôt de discuter un plan d’action pratique. Je pense que le temps est venu de clarifier mes propositions pour une Russie post-Poutine. 

Quand il s’agit d’être en opposition, je me trouve dans une position unique. Peu nombreux sont ceux qui peuvent se vanter d’avoir dit à Vladimir Poutine en face ce qu’ils pensent de la corruption aux plus hauts échelons du pouvoir du pays, ce qui m’a valu par la suite des persécutions et dix ans passés en prison. 

Malgré ma riche expérience de direction acquise à la tête d’une grande entreprise, j’ai été privé de toute possibilité de prendre part, en Russie, à un travail politique pratique et organisationnel. Le pouvoir Russe m’a expulsé de mon propre pays et a veillé à bien refermer la porte derrière moi, en me promettant, sans équivoque, que la prison à perpétuité m’attendait si j’osais un jour y retourner.

Je ne prétends nullement détenir la vérité absolue, mais je comprends à quel point la Russie aura besoin d’être réparée une fois que le régime actuel ne sera plus en place. Et le pays en aura besoin très rapidement. Il faudrait que, d’ici-là, la société Russe ait décidé qui nous sommes, où nous allons et quel est notre chemin commun dans un Monde en rapide évolution. 

Alors quelle est ma Russie rêvée ? C’est un pays dont les intérêts nationaux consistent en une rapide intégration dans le système économique mondial, et qui a la possibilité d’y jouer un rôle digne. C’est un pays démocratique qui respecte l’état de droit, qui est ferme dans son unité civilisationnelle à l’intérieur de ses frontières et qui s’appuie sur le principe fondateur de la liberté. C’est le Garðaríki, comme les Vikings l’auraient dit autrefois (du vieux norrois « gard », ville, et « riki », pays) — une nation de villes, qui, elles, gardent le pouvoir. 

Ce qui importe pour moi, comme pour nombre de mes compatriotes, ce sont les mille ans d’histoire ininterrompue de la Russie. Ce qui importe ce sont les origines de notre civilisation commune, d’abord européenne puis, aujourd’hui, Euro-Atlantique. Ce qui importe pour moi, c’est de ne pas nous retrouver exclus de ce monde Occidental, mais de figurer parmi ses fondateurs et défenseurs. 

Nous sommes Européens. Nous avons bâti et défendu cette civilisation et nous en ferons partie à nouveau. C’est l’Histoire qui en veut ainsi. 


A suivre…