Tout au long des deux derniers siècles, la Russie représentait pour le monde occidental une alternative émotionnelle. On venait y chercher moins une autre réalité que d’autres sentiments. Pas tant un autre monde qu’une autre perception du monde.

Au XIXe siècle, on recherchait une « âme russe » spécifique : plus sensible, plus profonde, plus paradoxale et plus alogique que l’« âme européenne ». Au XXe siècle, on recherchait en Russie un « corps social » spécifique : pour un grand nombre d’intellectuels européens, l’URSS représentait une utopie illusoire d’une nouvelle société où la perception de l’autre, du monde et du travail était sans rejet. 

Aujourd’hui, pour la première fois, la Russie a cessé d’être pour l’Occident une émotion particulière. Ses offres émotionnelles et sentimentales ont tari. Les courants de « l’âme russe » et de « la société sans rejet » se sont asséchés − sans parler du fait qu’ils ne coulaient que dans l’imagination des Européens eux-mêmes. Aujourd’hui, la Russie ne propose à l’Europe rien d’autre que le calcul froid, dur, pragmatique et rationnel, autrement dit, tout ce qu’elle a toujours combattu, de Khomiakov à Ern, de Blok à Soljenitsyne. Elle ne propose que de l’argent et du gaz, rien de plus. Une pâle lumière de gaz. 

1. La zoopolitique 

« Un ours ne demandera de permission à personne. Mais il ne cédera pas non plus sa taïga. » Cette phrase de Vladimir Poutine lors de la réunion du Club de Valdaï le 24 octobre dernier décrit avec précision et clarté la « géopolitique » russe contemporaine. 

À vrai dire, il ne s’agit pas de « géopolitique ». C’est de la zoopolitique. 

Le monde, pour la Russie contemporaine, est une bataille de bêtes sauvages, un grand zoo où les animaux ont arraché la clôture, dévoré le personnel et, dès lors, s’affrontent avec acharnement pour survivre. Une ferme des animaux à l’échelle planétaire. Sa logique est celle du darwinisme social. Le plus fort l’emporte, tout compromis ou reculade est une manifestation de faiblesse. Tuer ou être tué, manger ou être mangé : c’est à partir de ces paroles de Jack London qu’on pourrait débuter la description de la doctrine de la politique extérieure russe. 

Là réside l’immense différence entre la logique du monde occidental et celle du « monde russe ». Après la seconde guerre mondiale, l’Occident s’efforce de réfléchir en des termes de « jeu au résultat positif » où, dans l’idéal, chacun ou du moins la majorité gagne. Le Kremlin réfléchit différemment, selon une logique de « jeu à somme nulle », sans alternative : manger/être mangé, vaincre/être vaincu, souffrir/faire souffrir. 

Le problème est que l’Occident continue à tenir à la Russie le discours du « jeu au résultat positif », alors que la Russie lui répond dans sa logique de « jeu à somme nulle ». L’Occident cherche le compromis, la conciliation, un tranquillisant géopolitique ; cependant, chacune de ses tentatives est perçue par le Kremlin comme un aveu de faiblesse et le stimule vers de nouvelles actions, comme les gouttes de sang stimulent le vampire. L’Occident s’efforce de « ne pas provoquer » la Russie, mais c’est justement cet effort de «ne pas provoquer » qui provoque la Russie. 

Peut-on se conduire humainement avec un ours ? Peut- on lui proposer un compromis ? Comprend-il le langage humain ? Là est la question. 

2. Le post-terrorisme 

Le retour à la zoopolitique se déroule simultanément avec l’entrée du monde dans une nouvelle époque : l’époque du post-terrorisme.
À l’époque du terrorisme (2001-2014), la civilisation occidentale était confrontée à un réseau invisible de martyrs prêts à tout. L’objectif du terrorisme était de détruire le « système » de la civilisation occidentale, sans rien proposer en échange. Ses méthodes étaient également antisystèmes : un réseau invisible de menaces imperceptibles dont chacune était susceptible d’infliger un coup inattendu. L’obscurantisme du terrorisme contre la lumière de la civilisation. 

Aujourd’hui, la civilisation occidentale fait face à des menaces d’un autre niveau. Leur objectif est toujours le système : détruire la civilisation occidentale, la mettre en doute, affaiblir ses fondements. Mais elles usent d’autres méthodes, plus systémiques, en utilisant les ressources d’État et en visant le contrôle des territoires. L’ennemi actuel du monde occidental n’est pas un réseau secret de kamikazes invisibles ; ce sont des réseaux organisés qui contrôlent – ou tentent de contrôler – les espaces géographiques ou/et les ressources publiques. Ce sont des acteurs du post-terrorisme. 

Il y a au moins deux menaces systémiques : ISIS et la Fédération de Russie. Les deux se ressemblent : elles mettent en doute l’universalité de la civilisation occidentale ; elles contestent la légitimité des frontières actuelles (produits du colonialisme occidental ou de la fin de la guerre froide) ; enfin, elles récusent la souveraineté des États indépendants en tant que principe de la politique internationale. 

Cependant, alors qu’ISIS est une formation nouvelle, redoutable et imprévisible, la Fédération de Russie est dans la logique du post-totalitarisme depuis longtemps. Sa tactique consiste à considérer le terrorisme davantage comme une doctrine géopolitique que comme la pratique des humiliés. 

Si le symbole de l’époque du terrorisme est une voiture piégée, le symbole de l’époque du post- terrorisme est un État piégé, un État-bombe. Depuis le début des années 1990, la Russie place des bombes territoriales tout au long du contour de son « étranger proche ». Elle crée des États indépendants de fait ou des enclaves hybrides − Transnistrie, Ossétie du Sud, Abkhazie, Crimée, Donbass –, lançant autour d’elle des territoires-bombes prêts à exploser à tout instant. 

Les chahids et les terroristes-martyrs cèdent la place aux États-chahids, aux États-terroristes. Tous − DNR (République populaire de Donetsk), LNR (République populaire de Louhansk), Abkhazie, Transnistrie, Ossétie du Sud − sont dirigés par le chef du Kremlin. Ils n’existent que pour exploser, installer l’instabilité, créer l’illusion d’un terrain miné. Dans les États-bombes, on ne vit pas : on ne fait qu’y exister temporairement. 

3. Sado-poutinisme 

La différence entre les modèles de modernisation occidental et soviétique réside dans un détail important. La modernisation occidentale mène vers l’extension du champ des plaisirs : l’homme obtient le droit à l’hédonisme. La modernisation soviétique était, au contraire, ascétique à l’extrême. Le « plaisir » était considéré comme hérétique et un excès franchement « bourgeois ».

L’Union soviétique n’autorisait pas l’hédonisme, elle exigeait de ses concitoyens un renoncement total à tout plaisir, un sacrifice extrême.
Dans cette situation, en l’absence de plaisir, le système a inculqué un amour pervers de la souffrance. Si je ne peux pas être bien, alors que je sois mieux que les autres et, par conséquent, que les autres soient dans une situation pire que la mienne. Si le plaisir est inaccessible, ma seule satisfaction sera la souffrance de l’autre. 

Il est impossible de comprendre le monde soviétique et post-soviétique sans ce plaisir sadique à l’humiliation de l’autre. En URSS, le sadisme au quotidien pouvait être neutralisé par l’altruisme imposé par le « collectif ». Après la dislocation de l’Union soviétique, l’altruisme a disparu et la société des années 1990 s’est avérée sans défense face à ce désir sublimé en URSS mais dès lors non moins présent de « forcer », « détrousser » et humilier. 

Poutine n’est que l’émanation de cette logique du sadisme post-soviétique. Il la transforme en principale tactique de communication avec les autres. Il la transforme en principale tactique de sa politique extérieure. De la politique sous le signe du sado-poutinisme. 

Le sado-poutinisme se manifeste sous de nombreuses formes, en premier lieu dans le fait de souligner publiquement la « nullité » et l’insignifiance de l’autre. Dans chaque situation, Poutine aspire moins à la victoire qu’à la défaite de l’autre. Il peut ne pas gagner, mais il doit humilier. Il peut perdre, mais l’autre doit perdre encore plus et, surtout, de manière déshonorante. 

Lorsque le 12 août 2008, Nicolas Sarkozy est parvenu à un accord entre la Géorgie et la Russie, il pensait avoir mis fin à la guerre. Mais la Russie est immédiatement allée plus loin, jusqu’à Gori, Senaki et Poti. Pourquoi ? Pas seulement pour renforcer ses positions, mais pour montrer que la signature du président de la France ne signifiait rien

Lorsque, la nuit du 11 au 12 décembre 2013, Yanoukovytch, qui tentait de prendre exemple sur le boss du Kremlin, a essayé de disperser le Maïdan, il l’a fait précisément au moment de la visite à Kiev de deux diplomates occidentaux de premier plan : Catherine Ashton et Victoria Nuland. Pourquoi ? Pour montrer que la voix de l’Occident, la présence de ses hauts représentants, pour lui, ne signifiait rien

Le 27 août 2014, le lendemain de la première « rencontre de Minsk » entre Porochenko et Poutine, dans l’entourage des intermédiaires, la Russie ouvre un second front contre l’Ukraine dans le Donbass, aux abords de la grande ville portuaire de Marioupol, et prend Novoazovsk. Pourquoi ? Pas seulement pour renforcer ses positions, mais pour montrer que les accords avec Porochenko et la chef de la diplomatie européenne Catherine Ashton de la veille ne signifient rien

La sado-poutinisme est un jeu dont l’objectif n’est pas le bien-être de la population, et pas même la victoire personnelle. C’est un jeu dont l’objectif est la défaite de l’autre, son humiliation, son rabaissement, même si la Russie elle-même est perdante. 

4. Le masochisme occidental 

Pour la deuxième année consécutive, le magazine Forbes nomme Vladimir Poutine l’homme le plus puissant (powerful) de la planète. 

L’homme terminator, capable seulement de détruire, le président dont les « projets d’intégration » ne provoquent que le sabotage des partenaires, quand bien même fussent-ils aussi dévoués que la Bélarus [Biélorussie] ; le président du pays dont l’économie est huit fois inférieure à l’économie américaine et dépendante à 80% des exportations des matières premières, cet homme est pour une revue occidentale « l’homme le plus influent » de la planète. Influent en quoi ? 

Son « influence » ne repose-t-elle pas uniquement sur nos illusions et nos peurs ? Son « pouvoir » ne prend-il pas racine dans le refus du monde occidental d’être fort ? 

Dans son livre La tyrannie de la pénitence : Essai sur le masochisme occidental, Pascal Bruckner décrit très précisément ce phénomène : le désir de l’Occident de paraître plus faible et plus coupable qu’il ne l’est en réalité. Ce masochisme est présent dans l’attitude du monde occidental à l’égard des plus faibles − l’espace postcolonial, par exemple − et ce comportement peut être au moins justifié par les remords. Mais il s’avère que le masochisme se manifeste également à l’égard des forts (et Poutine est incontestablement fort, quand bien même sa force serait très exagérée), de ceux qui constituent une réelle menace pour le monde occidental. Face au poutinisme, il faut se mobiliser, consolider les forces, chercher une voix commune et une poigne commune, et beaucoup de gens en Occident en sont conscients. Mais il y a aussi ceux qui sont prêts à abdiquer sur le champ, sans négociations, à reconnaître que ce pauvre homme vieillissant au complexe d’infériorité est « l’homme le plus fort de la planète » ! 

Est-ce que cela signifie que le monde occidental n’a plus confiance en lui ? Qu’étant plus fort que la Russie en économie, en innovation et dans le domaine militaire, il a tout simplement cessé de croire en sa propre force ? Le masochisme occidental constitue-t- il une réponse digne au sado-poutinisme ?

5. La fin de l’économie 

Dans le monde occidental, la politique a été engloutie par l’économie. Les intérêts économiques déterminent l’action politique. 

Lorsqu’Obama cherchait ses mots pour exprimer sa position quant à l’annexion à venir de la Crimée, il n’avait dans son vocabulaire que des notions économiques. « There will be costs », a-t-il dit, comme si la politique était dépourvue de langage, comme si elle était définitivement condamnée à passer au jargon du business et du commerce : costs, benefits, deficit, tradeoffs, bargaining, etc. 

Bien que ce soient les États-Unis qui ont commencé à « monétariser » la politique, la victime de cette politique réduite à l’économie est plutôt l’Europe que l’Amérique. L’Europe continue à croire que la politique (une concurrence éternelle et une lutte éternelle pour le pouvoir) n’existe qu’à l’intérieur de ces États, comme s’il n’y avait pas de politique en dehors de l’Europe, et qu’il n’y avait que l’économie et le droit, la force du marché et la puissance du droit. C’est bien sur cette illusion qu’est bâtie la « politique étrangère » de l’Union européenne et, en particulier, sa « politique de voisinage » : sur l’illusion qu’il suffirait de proposer aux voisins un peu de marché libre de l’Union européenne et de les aider à se rapprocher des règles de l’Union européenne pour que l’Europe « élargie » naisse d’elle-même, ainsi que l’espace commun des valeurs couvrant non seulement l’Union européenne mais aussi la Méditerranée, l’Europe orientale et le Caucase. Par sa « politique de voisinage », l’Union européenne s’efforçait d’établir un « cercle d’amis », a ring of friendsThe Economist a écrit un jour que le résultat en était un « cercle de feu », a ring of fire. Mais ces deux caractéristiques sont superficielles. Le fait est qu’autour de l’Europe naît une nouvelle Europe, plus large que l’Union européenne, que cela plaise ou non. Encore une fois : l’Europe n’est pas entourée d’amis, de « différents, mais amis », mais d’elle-même, l’Europe, sous une autre forme. La nouvelle Europe est en train de naître dans la douleur et le sang, se séparant de sa membrane, entrant en conflit avec les forces de la réaction qui la retiennent – et c’est cela, le retour de la politique sur le continent européen. La politique comme drame, comme une série de conflits, comme une liste de tragédies, mais aussi comme un chemin d’espoir, la voie de la liberté de l’Homme. 

Dans la Russie actuelle, c’est tout le contraire. Ce n’est pas la politique qui est accaparée par l’économie, mais l’économie qui est dominée par la politique. L’économie n’est qu’un instrument de la politique, son chien fidèle. 

C’est la raison pour laquelle les pertes – costs – n’ont aucune signification pour la Russie. Les « dommages », pour Poutine, ne sont que des mises dans un grand jeu : la « roulette russe ». Radoslaw Sikorski, ancien ministre des Affaires étrangères de la Pologne, dans une récente interview, a traité Poutine de « joueur de casino » (gambler), et il a raison : à la différence des leaders occidentaux derrière lesquels il y a les citoyens et leur bien-être, Poutine n’a pas peur de perdre des milliards ; pour lui, ce sont des mises dans un jeu où il ne veut pas tant gagner que ne pas perdre ; pas tant s’élever qu’humilier. 

6. La Russie n’est pas l’Ukraine 

L’Ukraine n’est pas la Russie : tel était le titre du livre de Léonid Koutchma, écrit à l’époque où il était président. L’Ukraine, encore longtemps, devrait se référer à la Russie aux yeux de l’Occident. Mais la négation asservit : se définissant comme une négation de quelque chose, on n’en devient que davantage dépendant. 

Cependant, les années 2004 et 2013-2014 ont changé la donne. La politique russe a commencé à être gagnée par la peur d’un Maïdan national. Elle a surmonté cette peur en élaborant la formule « La Russie n’est pas l’Europe ». Mais cet anti-occidentalisme dissimulait une formule plus inconsciente et terrifiante pour elle : « La Russie n’est pas l’Ukraine », la formule qui définit la Russie exclusivement par le pays qu’elle a toujours considéré comme son « frère cadet » et qui ne laisse rien d’autre à la Russie que la négation de l’existence de ce « frère cadet ». Dans sa guerre contre l’Ukraine, la Russie tente tout simplement d’anéantir ce dont elle a peur de devenir l’ombre. 

Mais si la Russie n’est pas l’Ukraine, alors Moscou n’est pas Kiev. Et si Moscou n’est pas Kiev, alors il n’y a pas de « monde russe ». Car le « monde russe » est basé sur l’idée que Moscou et Kiev sont des maillons d’une même chaîne temporairement séparés par des frontières politiques. Il repose sur l’idée que la Russie est aussi la Rous’, la Rous’ de Kiev, qu’il existe une sorte de « Russie idéale », « une Rous’ sainte » qui est bien plus vaste que la Russie « réelle ». Mais si la Russie n’est pas l’Ukraine, alors il n’y a pas de « Russie idéale ». Et il n’y a pas de « monde russe ». C’est un simulacre. 

Aujourd’hui, la Russie, effectivement, n’est pas l’Ukraine. Elle se définit par des catégories de négation, en tant que non-Occident et non-Ukraine. Et sa crainte est que le centre de cette nouvelle Europe orientale soit de nouveau Kiev, et non Moscou. 

7. La liberté et l’amour de l’humain 

Zakhar Prilepine, un écrivain russe contemporain qui soutient l’annexion de la Crimée et les « combattants » du Donbass, a dit, dans une interview, que la notion de liberté n’entrait même pas dans « les cinq premières valeurs fondamentales » de l’homme russe. La Russie est trop grande, considère Prilepine, « quelque chose qui nous dépasse est plus important que notre liberté intérieure ». Dès lors, la valeur de la liberté individuelle pour le peuple russe est infime : c’est une valeur trop faible, trop individuelle, trop petite en comparaison avec la grandeur des espaces russes. 

C’est là que réside la principale différence entre les Ukrainiens et les Russes aujourd’hui. Pour les Ukrainiens, la liberté est au-dessus de toutes les autres valeurs, même de la sécurité. En cela, d’ailleurs, les Ukrainiens sont plus « européens » que bon nombre de citoyens d’Europe occidentale, pour qui la sécurité prime sur la liberté. 

Au panthéon des héros ukrainiens, on trouvera peu de gens du « système ». En règle générale, ce sont des héros antisystèmes : les cosaques zaporogues, les haïdamaques, les insurgés ukrainiens de la seconde guerre mondiale ; parmi les poètes, Chevtchenko et son aura de révolté. Au panthéon russe, tout au contraire, on trouve un minimum de héros antisystèmes et un maximum de membres du système : les tsars, les secrétaires généraux, les écrivains, les chanteuses transformés en monument. 

En Russie, la chanteuse pop Alla Pougatcheva a éclipsé l’insurgé Pougatchev, alors que le chanteur pop Razine a éclipsé l’insurgé Razine(1). La pop musique russe se construit depuis longtemps sur des noms célèbres, comme sur des piédestaux. Comme si pour devenir chanteur, il fallait d’abord se couvrir de bronze. 

En Ukraine, les groupes de rock sont baptisés en l’honneur des rebelles : « Haïdamaky », « Kozak-system », et les chansons populaires ne sont pas des chants de « victoire » mais des chants de soulèvement, « les chansons insurrectionnelles ». 

L’Ukraine, encore et toujours, prouve son attachement à la liberté. Liberté en tant que valeur du monde occidental et, en fin de compte, en tant que valeur universelle, clé du développement individuel, de l’évolution de la société et de l’État. Lorsque Prilepine parle de la méfiance des Russes à l’égard de la liberté, il triche : « l’eurasisme » actuel n’est-il pas une expression dévoyée du désir de la Russie de « se libérer » du monde occidental ? N’est-ce pas le même désir de liberté, mais de liberté collective et non individuelle ? La fameuse culture russe, de Pouchkine à Berdiaev (un immense philosophe de la liberté !) n’est-elle pas transpercée par ce désir de liberté, souvent encore plus criant que l’amour de la liberté des Européens ? 

Peut-être qu’un jour la Russie révisera son narratif national et comprendra qu’il n’est pas aussi anti- occidental qu’il paraît, et pas non plus aussi éloigné des « valeurs occidentales » : liberté, dignité, justice. 

Les Ukrainiens se révoltent contre le despotisme, ils portent cette révolte dans leur sang, elle fait partie de leur histoire. Ils aiment trop la liberté pour le « monde russe ». « Je respire librement », en russe et en ukrainien, était un des principaux slogans de l’Euromaïdan. 

Aujourd’hui, à la différence des époques précédentes, la libre respiration de l’Europe n’est plus possible sans la libre respiration de l’Ukraine. 

Traduit du russe par Iryna Dmytrychyn. 


Un dossier dirigé par Galia Ackerman et réalisé avec le concours du Forum Européen pour l’Ukraine.
Remerciements : Iryna Dmytrychyn, Eric Tosatti, Constantin Sigov, Leonid Finberg, Gleb Vycheslavsky.

Sommaire

GALIA ACKERMAN Pourquoi ce numéro ?
TIMOTHY SNYDER Une histoire civique
BERNARD-HENRI LÉVY Il faut défendre l’Ukraine
OXANA PACHLOVSKA L’Ukraine, dernière frontière de l’Europe
VOLODYMYR YERMOLENKO Des ours et des hommes. L’Ukraine et la Russie dans la politique mondiale
TARAS VOZNIAK La Galicie aujourd’hui
REFAT TCHOUBAROV Le drame des Tatars de Crimée
CONSTANTIN SIGOV La liberté de l’Ukraine et la musique de Valentin Silvestrov
GLEB VYCHESLAVSKY Une culture dissimulée
DMYTRO HORBATCHOV L’avant-garde ukrainienne
IRINA MELECHKINA Morceaux choisis de l’histoire du théâtre ukrainien
VICTORIA MIRONENKO La photographie ukrainienne de la période de l’indépendance
LUBOMIR HOSEJKO Le cinéma odessite sous la NEP et la politique de l’indigénisation
MYKOLA KHVYLOVY Moi, romantica
MIKHAÏL HEIFETZ Il n’en est pas de plus grand dans la poésie ukrainienne…
VASSYL STOUSS Poésies
LINA KOSTENKO …Je suis tout ce que j’aime
SERHIY JADAN Le Journal de Louhansk et Réfugiés

8 Commentaires

  1. Le président de l’Ukraine sera bientôt face à nous, la patrie des Lumières, la matrice des droits de l’homme, et nous serons face à sa démocratie martyre, face au meilleur de ce que nous sommes, ce sommet d’un idéal de concorde universelle, désormais en sursis, enfin ça, c’est ce que s’imagine pouvoir nous faire avaler le profiteur/saboteur d’un ordre mondial qui, par souci de préserver un état de paix planétaire, laisserait tout le temps aux entristes onusiens de se requinquer aux sources du grand capital pour financer leur infraguerre, cette transguerre méta-impérialiste où l’on peut voir des barbares que nous connaissons bien, assassiner des chrétiens orthodoxes au nom d’Allah pour le compte d’un tyran qui mène contre eux sa guerre de Religion.
    C’est en effet la paix en Europe, la paix selon l’Europe à laquelle la Russie de Poutine essaie de substituer son paradigme déshumaniste.
    Or la disparition de ce socle des droits de l’homme ne menace pas la seule Europe, car celle-ci, avec la France en fondation, est garante de la paix mondiale.
    Ce grand ordre est implacable tout comme l’est le grand désordre auquel nous exposerait notre retrait faux-culement multilatéraliste, notre recul face à l’unilatéralisme d’États géants qui, tandis que le dépérissement les guette, sont aveuglés par la crainte qu’on ne les chasse d’une Histoire qui paradoxalement leur sort par les yeux, notre renoncement à défendre nos principes jusqu’à la racine alors même qu’ils ne résident pas ailleurs qu’en ce lieu qui nous fonde en raison ; enfin, c’est tout un monde que nous exposerions nous-mêmes à la défaite en déposant les armes, un monde auquel nous nous accrochons avec la force des esprits conscients de ce qu’ils ont à perdre, dès lors que ce monde forme un tout dont l’effondrement des valeurs structurelles et structures valeureuses — probabilité faible et néanmoins réelle, qui semble réjouir en leur for intérieur les apôtres d’une réconciliation internationale des États de droit et de non-droit — revêt a priori la nature d’une menace globale.

    • Sans vouloir me poser en donneur de leçon, et juste par souci de participer d’un élan de résistance au virage poutinien des Russies dont l’affluent déverse sa substance organiciste dans mon esprit fleuve depuis environ vingt-deux ans, je ne résiste pas à l’envie de rectifier deux petites erreurs qui m’ont sauté aux yeux lors de la projection des court-métrages d’anticipation destinés à convaincre l’Union européenne de ce que la dystopie panrusse n’étancherait pas la soif de Reconquista rusica par la seule désukrainisation de l’Ukraine.
      Restons, si vous l’acceptez, sur un scénario de guerre conventionnelle où aucune des puissances dotées de l’arme de dissuasion n’en arriverait à perdre ses nerfs au point de commettre un acte d’autogénocide. Dans ce cas de figure pour le moins défigurant, l’incrustation des bombardements de Kiev dans les images de Berlin, de Rome ou de Paris, n’est pas en soi conforme aux faits tels qu’ils se dérouleraient dans le contexte d’une extension du conflit qui ferait de l’OTAN un cobelligérant de facto. J’entends par là que, pour ce scénar catastrophe au carré, nos amateurs de science-fiction ont omis d’incorporer dans les images des capitales occidentales prises d’assaut, la pulvérisation en vol des avions de combat russ(oviétiqu)es.
      Et puis pardon, mais une autre énorme erreur — par omission — vient déformer la vision d’un futur sinistré pour la Pax Americana : il ne saurait y avoir de bombardements des nations internationalistes qui s’échinent en vain, groggies et d’autant plus remontées, à contenir la barbarie à l’Est, sans que cette agression stupide et suicidaire d’un État-membre de l’OTAN par une Organisation du crime de guerre besognant en roue libre, ne provoque mécaniquement les bombardements de Moscou.

    • L’embrassement général est toujours possible et sûrement jamais négligé par nos hauts gradés. Va sans dire que la science-fiction en a fait tout un fond de commerce en jouant l’épouvantail du détraqué aux commandes du feu destructeur.
      Aujourd’hui des peuples sont sous les bombes d’un déséquilibré sorti d’un mauvais scénario, mieux d’une cage à fous (cage..be) et matérialisé à la tête de l’Empire du Mal avec l’arme absolue dans la main.
      Tout est envisageable car la sinuosité mentale de la bête suit un chemin difficilement prévisible. Il ne reste pas moins que sentant la menace elle n’hésiterait pas à donner le premier coup.
      Un cauchemar qui est la réalité de ceux qui en subissent la rage et les griffes. Il nous revient dans le cas pour eux d’une destruction massive et définitive. Quelle serait notre réaction ? Va-t-on accepter çà ? Et le peuple russe ? Que ferait-il ? Des questions qui n’ont qu’une réponse possible.

  2. « La folie est de se comporter toujours de la même manière et de s’attendre à des résultats différents » Albert Einstein

    Le logiciel du poutinisme et de ceux qui en Russie en partagent les données n’a pas changé depuis plus de vingt ans, et non plus la continuité d’une politique du fait accompli par la guerre et par les crimes contre l’humanité. On parle de paranoïa, de folie, mais c’est bien la notre, celle de nos démocraties qu’il faut voir pour penser et s’attendre à des résultats différents.
    Vingt ans de gazprom payé par la lâcheté ne pouvaient que donner au tyran russe l’assurance de sa puissance face aux Occidentaux et à l’Otan, unis par leur faiblesse dans son mépris.
    Dès lors Poutine a eu bon jeu pour inverser le paradigme de von Clausewitz, de la guerre comme la continuation de la politique par d’autres moyens, présentant au monde sa conception qui s’avère autrement que cynique criminelle : la guerre doit être l’outil de négociation diplomatique du statu quo acquis.
    L’analyse de l’auteur de ce texte a toute sa validité, hier comme aujourd’hui, pour comprendre la Russie postcommuniste. La psychopathologie qui l’accompagne est souvent le reflet des changements violents, de l’effondrement d’une société. Elle signe par son narcissisme la transition de cette société communiste, répressive, marquée par la terreur stalinienne et hypertrophiée par le totalitarisme, à une société qui n’est pas libre non plus, fortement intolérante à la frustration d’infériorité ressentie dans la confrontation avec ses ennemis de toujours. Ce n’est pas tant le sadisme qui la caractérise mais le narcissisme pervers (PN) poutinien qui s’empare du pouvoir.
    Un narcissisme pathologique est donc à la base des agissement criminels du tyran, seul clé qui ouvre la Porte de l’Enfer, comme un champs de gaz brûlant au Tukménistan.
    La démesure égotique pour théâtraliser son image de force, le culte de soi aux dépens des autres, le manque d’empathie, la mégalomanie et la toute-puissance, en sont les traits d’une illusion dangereuse qui met à ses bottes le monde et amène à la perte ceux qui la subissent.

    • La perversion agit en mode dissimulé, souvent en terme de séduction, et évite par retournement (lire répression, assassinat) toute forme de preuve, de témoignage ou de dénonciation publique qui démasquent et accusent le pouvoir.
      Le PN poutinien opère sur tous les plans, il est du degré totalitaire, capable de renverser la réalité et les principes humains s’ils s’opposent au « Je », n’étant les autres que le jeu d’objets.
      La vraie faute de l’Occident est d’avoir songé à établir une relation politique, et malgré les bombes et missiles interdits on continue à espérer à se faire entendre. Ils n’ont pas compris que le pervers narcissique ne fonctionne en mode « relation » car il ne produits que des rapports de force et n’agit qu’au fait ou crime accompli.
      Alors pour se faire entendre ne reste que la fermeté et la force.

  3. Quand Volodymyr convoque Naftali devant la Grande Histoire, au côté des Prophètes, Juges et Rois d’Israël, et l’exhorte à choisir ses alliés, son camp et son destin, l’heure n’étant plus à ménager le Caïn russe et l’Abel ukrainien, c’est un choix cornélien auquel son antique peuple se voit soumis car, soyons honnête, et Dieu sait qu’il est difficile de le rester dans un contexte aussi pervers que celui où Poutine s’est enfermé avec le reste du monde : choisir entre l’Ukraine et la Russie équivaudrait, pour Israël, à choisir entre perdurer ou disparaître. Or il ne serait pas raisonnable de culpabiliser un peuple qui hésiterait à parachever à son propre endroit l’entreprise d’extermination dont il a fait l’objet. Nous en concluons donc que le sermon de Zelensky n’est pas destiné aux députés israéliens, mais au géostratège hyperpuissant qui réassure une supériorité militaire en termes de défense et d’attaque, en l’espèce une survie in(conditionnelle) au peuple rescapé, dans une région particulièrement hostile.

  4. Question brûlante : que se passe-t-il si demain Poutine manque sa cible et atteint par mégarde un État-membre de l’OTAN ? Réponse froide : une guerre mondiale nucléaire.
    Ne laissons pas penser que l’OTAN, ce coup-ci, irait demander conseil à Michelle Obama pour savoir si les mères des soldats américains encaisseraient le choc d’un franchissement de ligne rouge. Il en va aujourd’hui non plus de la capacité de l’Occident à exporter les droits de l’homme en Syrie, ou partout ailleurs où sont foulés au pied les droits fondamentaux, mais, ce qui est autrement plus grave, de la volonté des régimes autoritaires et/ou totalitaires d’imposer leur(s) modèle(s) par la force de ce qui pourrait s’avérer être un « Axe du bien » (terminologie adverse s’entend).
    Poutine ne frappera pas l’Union européenne, car Poutine veut rester dans l’Histoire comme le Sovietsarévitch qui aura rendu leur grandeur aux Russies, et non comme le débile profond responsable de la vitrification de sa propre nation.
    L’entrée prématurée de l’OTAN dans l’espace aérien ukrainien conduirait-elle le Nounours en doudoune à revoir sa stratégie de fond en comble et à rappeler ses troupes la queue entre les jambes, ayant compris que l’implication des USA venait de siffler la fin de la partie ? Possiblement, ou bien l’acculerait-elle à une montée de cran de manière à poursuivre sa guerre par d’autres moyens, autrement dit atteindre tous ses objectifs (sic), lesquels font fi de l’intégrité physique de ces millions de traîtres qu’il écraserait volontiers comme des mouches, à l’aide d’un désinsectiseur à neutrons de dernière génération.

    • Le coup de pression des châtreurs de l’UE — virilisme, quand tu nous tiens (par les…) — aurait pu fonctionner s’il ne s’appuyait pas sur plusieurs postulats erronés :
      1. Munich précède Hiroshima.
      1a. Contrairement à Hitler, les humains vivant après Hiroshima, fussent-ils russes, ne peuvent plus se projeter dans une réalité où l’on ignore les conséquences d’un conflit nucléaire.
      2. Nous n’abandonnons pas l’Ukraine à l’impérialisme suprémaciste panrusse contre un pacte de non-agression.
      2a. Nous n’avons nulle intention de lancer un processus de désarmement économique dont les tyrans tireraient avantage.
      2b. Nous sommes tenus de fournir un effort de guerre indirect accru à destination d’une démocratie atrocement agressée par un sadique de la pire espèce, laquelle enflure ne nous fait absolument pas peur — du moins au sens où l’entendent nos excitateurs — et si elle veut en avoir le cœur net, qu’elle vienne, allez ! nous l’attendons.
      Mais alors, je ne nous comprends pas… pourquoi attendre si nous sommes prêts à nous battre ? Pourquoi ? Pour cette simple et bonne raison que nous ne sommes pas aussi ravagés que ce banal petit kagébiste de la RDA dont la mort est très tôt devenue le métier.