Malgré un titre de champion de France qui tend les bras au Paris-Saint-Germain, les manœuvres qatariennes pour investir le football pâtissent toujours d’une sombre réputation. En cause, un étalage bling-bling de petrodollars en décalage avec l’air du temps (la normalité, l’austérité…) et une ambition footballistique à mille lieues des standards hexagonaux. Source constante  de fantasmes en tous genres, le Qatar inquiète. En librairies, les essais destinés à faire toute la lumière sur les ambitions cachées de l’émirat glouton fleurissent. Pour Gilles Verdez, journaliste sportif à RTL et auteur de « Le PSG, le Qatar et l’Argent », cela ne fait aucun doute : « Le Qatar est engagé dans une fuite par le haut, convaincu que seule l’apothéose footballistique permettra de remplir les objectifs que l’émirat s’est fixé de manière plus large. L’investissement n’offre cependant pas une garantie de succès et d’amour alors que l’échec serait terrible pour Doha et le PSG. Les enjeux sont donc colossaux ».

Mais au fait, comment le Qatar procède-t-il ? En deux étapes : d’abord il se fait connaître du grand public (via le rachat de clubs, les achats de stars et la publicité), puis il instaure, étape après étape, une diplomatie du sport faisant du pays un pôle attractif et décisionnel. L’objectif est simple : changer l’image d’une contrée méconnue et étouffer un contexte interne parfois peu reluisant[1]… Constamment épiés, les émiratis ne sont pourtant pas les seuls à se servir du football pour porter leurs intérêts politiques. Loin de Doha, d’autres stratégies, plus abouties et plus inquiétantes existent. Outre le grand Milan AC de Silvio Berlusconi, une méthode russe existe. Celle-ci s’appuie sur de puissantes entreprises (Gazprom) et de riches hommes d’affaires, transformant le football en gigantesque entertainment post-soviétique au service de Vladimir Poutine.

Une stratégie russe à la fois domestique et internationale

Véritable Etat dans l’Etat et fournisseur officieux des cadres du Kremlin, l’entreprise Gazprom consacre désormais une partie non négligeable de son énergie à sa communication. Avant chaque match de Ligue des Champions, ses spots publicitaires à l’esthétique surannée passent ainsi en boucle sur les écrans télé européens (http://www.youtube.com/watch?v=BnEJukCuzbM).  Une véritable curiosité. Car tandis que la société russe inonde le public européen de ses réclames, ce dernier se trouve dans l’impossibilité de faire de Gazprom son fournisseur d’énergie ! En France, seule une petite antenne parisienne existe mais elle ne dispose dans les faits que d’un rayon d’action limité. Dossiers volumineux et contrats d’envergure se traitent directement à Moscou, au numéro 16 de la rue Nametkina. Au delà d’un contrat de sponsoring récemment signé avec la Ligue des Champions[2], l’entreprise russe très proche du pouvoir[3] , s’est au fil des années constituée un empire dans le sport. Mais pas n’importe comment. Ses investissements sont toujours ciblés et coïncident étrangement avec les intérêts du pouvoir russe. Deux exemples. Lorsque la Russie et Gazprom travaillèrent au dossier prioritaire du gazoduc North Stream reliant l’Europe de l’Est à l’Allemagne, Gazprom devint outre-Rhin le généreux sponsor du très populaire club de Schalke 04. Même logique en Serbie, avec le gazoduc South Stream et le club de l’Etoile Rouge de Belgrade. Pour le journaliste sportif anglais James Appell, cela ne fait pas de doute : « Le pouvoir russe peut utiliser Gazprom pour peser sur la géopolitique régionale. Gazprom – et par extension le gouvernement russe – utilisent le football comme le ferait une soft-power ». Ainsi, en Russie comme ailleurs, le football est devenu une continuation de la politique par d’autres moyens. Mais quelles différences existe-t-il vraiment entre la stratégie russe et la stratégie qatarie ? Nous avons posé la question à Alexis Prokopiev, Président de l’association Russie-Libertés (http://russie-libertes.org) : « Il faut savoir que le football compte énormément en Russie. Le projet sportif de Gazprom comporte d’abord une phase domestique puis, dans un second temps seulement, un volet international. C’est un projet à deux dimensions, forcément plus abouti que le projet qatari qui n’utilise le football qu’à des fins extérieures. » Et notre homme de poursuivre sur la façon dont Gazprom a investi le football russe : « Cela s’est vérifié avec le rachat du Zenit Saint-Pétersbourg, club préféré du tandem Poutine-Medvedev, tous deux natifs de la seconde ville de Russie. Derrière l’objectif affiché de faire des ciels et blancs [couleurs du Zenit Saint-Petersbourg, ndlr] la nouvelle élite du football russe, il y a la volonté de prouver que la Russie ne s’arrête pas à Moscou, la capitale, et à ses clubs historiquement dominateurs : le Spartak (club populaire), le Dynamo (club de la police) et le CSKA (club de l’armée) ».

Le Zenit Saint-Petersbourg, ce club vitrine de la Russie de Vladimir Poutine

Le Zenit Saint-Petersbourg, sponsorisé par Gazprom.
Le Zenit Saint-Petersbourg, sponsorisé par Gazprom.

L’histoire ne s’arrête pas là. De l’Anzhi Makachakala, club du Daghestan détenu par le milliardaire Karimov au Terek Grozny du sulfureux Kadirov, le football russe est devenu la proie de nombreux hommes d’affaires soucieux d’affirmer leur pouvoir sur des régions isolées. La recette est vieille comme le monde : au lieu de régler les problèmes qui minent le quotidien, on offre aux administrés un peu de pain mais surtout des jeux. Le résultat ? Un championnat russe de football qui change de visage d’une année à l’autre, comme au Qatar. Comme le confirme Alexis Prokopiev, sous l’impulsion de Gazprom et en l’espace de dix ans, la Russie du football a ainsi vu se créer de toutes pièces une nouvelle rivalité, l’opposition Spartak Moscou – Zenit Saint-Pétersbourg. Historiquement club du peuple, des syndicats, des juifs et autres déportés, le Spartak pâtit aujourd’hui de la manne de Gazprom, une puissance financière qui offre au Zenit Saint-Pétersbourg, devenu le club de l’Etat, les moyens de ses nouvelles ambitions. Pensé comme un reflet de la Russie nouvelle, le Zenit est aujourd’hui un club riche, ambitieux mais aussi hyper nationaliste. Ex-entraineur du club de Saint-Pétersbourg, le hollandais Dick Advocaat confiait il y a plusieurs mois l’impossibilité de recruter des joueurs noirs du fait de la pression des supporters[4], une tendance lourde en Russie où le racisme anti-noir connaît régulièrement des dénouements tragiques[5]

Malgré les couacs et autres aléas sportifs, la mayonnaise Gazprom semble avoir pris à Saint-Pétersbourg. Bientôt propriétaire d’un stade flambant neuf, le Zenit Saint-Pétersbourg engrange les titres nationaux et internationaux (le club a remporté une Coupe d’Europe en 2008) et, à l’image du brésilien Hulk, des joueurs à fort potentiel débarquent chaque saison plus nombreux sur les bords de la Néva[6]. Comme au Qatar, le sport russe de haut niveau est aujourd’hui devenu le jouet des puissants. Vitrine de choix pour (re)conquérir le cœur des masses, le football est, plus particulièrement, la cible de toutes les convoitises. Pour le bon plaisir de son peuple mais surtout pour sécuriser son influence diplomatique, l’oligarchie russe injecte des centaines de millions dans le football. Et à grands coups de petro et de gazo-dollars, en ex-URSS comme au Qatar, tout s’achète et tout se vend. Même le cœur des supporters de football…


[1] http://www.lepoint.fr/monde/l-autre-visage-du-qatar-28-02-2013-1634242_24.php

[2] http://fr.uefa.com/uefa/mediaservices/mediareleases/newsid=1839781.html

[3] http://www.lesinrocks.com/2013/04/04/actualite/pourquoi-gazprom-investit-dans-le-football-11380744/

[4] http://www.telegraph.co.uk/sport/football/2299242/Zenit-fans-are-racist-admits-Dick-Advocaat.html

[5] http://tempsreel.nouvelobs.com/presidentielle-russe/20120221.OBS1919/russie-peur-noire-la-violence-raciste-a-moscou.html

[6] http://www.sport.fr/football/championnat-de-russie-de-football-hulk-et-witsel-le-gros-coup-du-zenith-279595.shtm