Pourquoi cette affaire d’investissement du Qatar dans les banlieues françaises est-elle, en l’état actuel des choses, si problématique ?

Pas parce que c’est le Qatar, bien sûr.

Ni, encore moins, un pays arabe dont les fonds seraient, par nature, moins bienvenus que d’autres.

Et d’ailleurs, que ce pays arabe décide aujourd’hui d’investir dans les quartiers en difficulté et non plus seulement dans l’achat de palaces, d’hôtels particuliers, de joueurs de foot ou de chevaux de course est même, en soi, une bonne nouvelle.

Non.

Ce qui est choquant, c’est la somme, d’abord. Car, si les chiffres annoncés sont exacts, l’émirat destine à l’ensemble des banlieues françaises une dotation (100 millions d’euros) qui doit approximativement correspondre au prix d’un ou deux des hôtels particuliers qu’il a acquis depuis dix ans, ou d’un demi-immeuble Virgin des Champs-Elysées, ou de quelques pour-cent de sa participation au capital du seul pétrolier Total. C’est une aumône pour les intéressés. C’est une humiliation pour le pays récipiendaire, qui apparaît comme sans le sou, réduit à faire la manche. Et c’est une goutte d’eau, surtout, dans l’océan des besoins de « territoires perdus » dont la reconquête suppose, non pas 100, ni 200, ni 1 000, mais bien des milliers de millions d’euros, une manne, un plan Marshall, l’équivalent de ce qui a permis à l’Amérique de Truman, dans l’après-guerre, d’aider à la reconstruction de la France. Les 100 millions annoncés, autrement dit, ne sont pas un investissement. C’est un coup de bluff. Ou de pub. C’est l’achat comptant, et pour pas cher, d’un brevet de moralité par un pays, certes allié, mais dont l’attachement aux valeurs de la démocratie reste encore à démontrer.

Car ce qui est choquant c’est aussi la connotation politique de cet argent. On dit toujours que l’argent « n’a pas d’odeur ». C’est faux. Car l’argent qatarien a la couleur, qu’on le veuille ou non, d’un Etat qui prive ses citoyens de libertés publiques. Il a la couleur d’un pays où l’on traite les immigrés (indiens, pakistanais, philippins) comme des sous-citoyens, quand ce n’est pas comme des sous-hommes ou des esclaves. Ce n’est pas, comme ont dit certains, un argent « sale ». Mais c’est un argent (et c’est presque pire) gagné par des autocrates dans un pays non démocratique dont les banlieues sont des Villiers-le-Bel ou des Trappes à la puissance 10. Serait-il outrecuidant, alors, de poser quelques conditions politiques à la validation de cet investissement ? Non pas, naturellement, la transformation miracle du pays en une démocratie dont chacun sait qu’elle ne se construit jamais en un jour. Mais l’envoi de signes, au moins, indiquant que tant de sollicitude pour les territoires délaissés de notre République s’accompagne bien de la claire conscience de la qualité, de la rareté et même de l’éminente désirabilité du modèle dont ladite République procède. Et, pour prouver cette claire conscience, la soumission à une épreuve politique simple qui vaudrait test de bonne foi et de saine réciprocité : la France accepte l’argent du Qatar ; le Qatar accepte, en retour, la mise en place par la France d’un programme de coopération culturelle et politique autour des valeurs de civisme et de citoyenneté. Tu finances mes quartiers. J’ouvre, dans tes universités, des chaires d’enseignement de cette histoire et pratique de la démocratie qui est ma richesse à moi. Le pacte, si chacun y consent, sera vraiment gagnant pour tout le monde – et d’abord pour le bel et bon dialogue des civilisations et des cultures.

Et puis le problème c’est, évidemment, le soupçon de prosélytisme politico-religieux qu’il est impossible de ne pas nourrir concernant un régime qui ne fait pas mystère, ailleurs, de son soutien aux courants les plus rigoristes de l’islam. Là aussi, il y a une solution. Probablement pas, hélas, de voir tester à Doha les principes de laïcité qu’on s’engage à respecter à Saint-Denis. Pas davantage – encore que… – de suggérer à nos amis de commencer par balayer devant leur porte et de pratiquer à domicile ce principe de non-discrimination par rapport aux origines religieuses, ethniques, géographiques, qu’ils prétendent défendre en France. Mais inscrire au moins leur initiative dans un double cadre qui devra être, lui, contraignant. Le cadre juridique, d’abord, d’un organisme d’Etat, ou mixte, ou parapublic, qui sera seul juge des opportunités d’investissement. Et puis le cadre moral d’une charte républicaine qui codifiera l’esprit dans lequel seront faits les arbitrages. Soutenir une PME dont l’activité pourrait, de près ou de loin, contribuer un jour à l’essor du salafisme en France, voilà qui doit être rendu impossible. Que les fonds qatariens s’impliquent massivement dans la construction d’écoles républicaines, ou de piscines mixtes, ou de médias de quartier prônant les valeurs d’égalité, de liberté et de fraternité, voilà qui, en revanche, n’a pas de raison de susciter la méfiance.

Je sais que la mise en œuvre d’une pareille charte sera dérogatoire aux principes du libre commerce. Mais à situation nouvelle règles nouvelles. Aujourd’hui, le Qatar. Hier, l’Azerbaïdjan pétro-dictatorial finançant, plus ou moins discrètement, une partie du nouveau pavillon des arts islamiques au Louvre. Demain, la Chine impérialiste, la Russie de Poutine et ses oligarques, venant au secours de tel secteur sensible des économies en crise de la vieille Europe et obtenant, en échange, que l’on s’abstienne de venir les embêter avec cette vieille lune qu’est la question des droits de l’homme. Nous en sommes là. Et il y a là, si nous n’y prenons garde, un vrai risque de corruption et de prostitution de l’esprit public.

Un commentaire

  1. L’art politique exige de son artiste comme de celui de tout art qu’il ait gravi la montagne de connaissances emmagasinées avant que d’être emportées dans la tombe par la succession des maîtres, et une fois arrivé au sommet, qu’il y prenne son ultime leçon, la leçon de l’ange accoucheur, ce passionné du secret qui balaie de l’index les lèvres et la mémoire immanente du nouveau-né en sorte que ce dernier à être né soit obligé de réapprendre tout ce qu’il sait, jour après jour, au contact des événements imprévisibles d’après lesquels se construit une perception de la vérité.
    La gauche n’est pas censée savoir de quel côté de l’amphithéâtre elle se trouve pour se positionner en regard d’un adversaire auquel elle doit faire face, et dont la logique veut qu’il ne soit pas situé à sa droite. Car vous l’aurez compris, le bazooka orienté de façon à pulvériser la gauche est le même qui doit servir à dégommer la droite depuis le croisement de leurs lignes de fuite. Je ne parle pas du président de l’Assemblée nationale, essayons un peu de dépasser les apparences! Non, le point de fuite auquel je fais allusion se situe bien au-delà, d’autant plus difficile à saisir qu’il se déplace à la vitesse de la ténèbre, chose redoutable, chose irrésistible, tentatrice au trou noir.
    Tout socialiste est un communiste qui se soigne. Le tout est d’en être conscient. À ce jour, je n’en vois qu’un qui ait eu l’audace de l’honnêteté. Un petit matin de mai sarkozyen, il avait enfilé sa casquette libérale avant de sortir à la une, l’index humecté brandi dans le vent d’Est sans cesser un instant d’y penser sa Ville-Lumière(s) sous une visière socialiste. Oui, vous avez bien entendu «socialiste», si j’avais voulu dire «communiste», comme vous venez de vous en apercevoir, cela n’aurait pas été trop compliqué à faire. Mais les communistes qui se soignent en loosedé, qui boivent du sirop pour la toux maquillé en bibine afin d’atténuer une quinte aussi interminable qu’un rêve est irréalisable, ces socialistes honteux de l’amour qu’ils vouent à leurs libertés chéries, qui regardent leurs quatre vérités dans le dos et les entendent d’une toute autre oreille, ces lieux communs délavant la Commune qu’ils dévalent seront à jamais ces gagne-petit qui passent le restant de leur fin de Journée autour d’une table de cuisine IKEA, encore trop jeunes pour le Viagra, déjà trop vieux pour le viaduc, à se rejouer entre eux la scène aphrodisiaque où au beau milieu du dîner en ville, on a fait l’éloge de Baader juste pour faire chier papa.
    Les lecteurs de Marx doivent choisir entre, d’une part, assumer ce qu’ils sont et d’autre part, assumer ce qu’ils sont. On ne renonce jamais. Mais l’on doit mettre sinon un terme, des parenthèses à une guerre dont les préparatifs bâclés enverraient la jeunesse de l’Homme au casse-pipe contre les inégalités naturelles. On ne vainc pas la nature si facilement. Et s’il est si douloureux, – j’ai failli intercaler un x entre l’u et l’l, – d’enfermer dans sa boîte un idéal aussi idéal que l’a été l’idéal communiste, il y a toujours une solution pour notre triste entriste, le retour au bercail. Bon, il faut juste savoir qu’on y caille, ce froid kolyméen procédant de l’inaction découlant elle-même de la nature irréalisable d’une action aporétique. Mais cela on le sait, quand même on ne s’en console pas.
    Que les communistes s’assument! Qu’ils attaquent le socialisme de l’extérieur! Qu’un socialiste sache à quoi s’en tenir si un coup de feu rouge va se crasher sous sa semelle après avoir percé son pied! Que les communistes passés à l’ennemi socialiste assument leur choix existentiel! Que les communistes qui se considéreraient comme les objets d’un vicieux détournement sectaire partent en claquant la porte et aillent régler leurs comptes comme il leur semble qu’il se doit! Qu’ils se mélenchonisent, et là, alors, respect! Qu’ils renoncent à l’entrisme, une impasse! On ne passe pas sa vie dans un sas.
    La matérialisme marxien est une transposition dans un tableau déthéisé du plan économique de Dieu. On y retrouve le principe historique, avec un commencement, une suite d’événements distribués en une série de périodes plus ou moins longues et grandes, le tout se ruant au ralenti vers une Apocalypse, avec à la tête de son armée rouge sang, un Messie vrai ou faux, celui du deuxième type ne faisant que renforcer la certitude sur la véracité du premier, annonciateur d’une apocatastase ou fin de l’Histoire plaçant les nations unies, pour de bon cette fois, sous la forme d’une seule et unique nation adamique et sous la protection d’un trône interdit aux culs de terrestre extraction, un trône qui en paraît désintégré tant son État demeure irreprésentable. En toute constance, les athées qui souhaiteraient le rester devraient prendre leurs distances avec le monothéisme refoulé du grand Karl. En toute conscience, les athées qui souhaiteraient bouger à la lueur de la Révélation devraient prendre leurs distances avec le matérialisme dévoyé du grand Karl.
    Le communisme est un horizon ou non. Si oui, nous avons pas mal de temps devant nous avant que son point et les nôtres ne se rejoignent. Un temps, que nous pouvons employer fructueusement ou non. Sinon, il y a toujours la solution de la triche. Le Noli me tangere à la sauce Origène : l’émasculation, à la sauce Antoine du désert : désertion. Or c’est bien au contact de la chair que l’on se saura résistant ou non à la tentation de la chair. Ainsi de l’argent qui se montre, il serait possible de tirer toutes sortes d’exercices d’autodéfense contre son démon propre. La sagesse venant de l’impassibilité acquise dans sa proximité. L’essentiel ne pouvant ressortir que de ce qu’il n’est pas. L’argent n’est pas une faim en soi. Qu’on se le prouve!
    L’argent est un sexe pris au piège d’une économie monstre. Cette nympho est une garce. Êtes-vous parvenu au terme d’un calvaire judiciaire à établir votre innocence à son endroit, et elle dira de vous : «C’est un monstre parfait». Le sexe n’est pas un esclave, et l’esclavage a été aboli. Si d’aucuns le rétablissaient, il serait de son devoir de s’émanciper de ces esprits brutaux qui chercheraient à réduire ses semblables avec lui. Car le sexe libéré de ses chaînes n’est pas nécessairement un criminel doué d’une gestuelle adroite ou maladroite. Après, c’est une question de caractère. Il y a ceux qui portent à droite, et ceux qui portent à gauche. Mais un sexe est un sexe. On naît avec. On fait avec.
    Il a été dit, depuis le début de la Crise, très haut, très fort, jusqu’à la tribune de la Désorganisation des nations unies de force, que le système capitaliste demandait à être régulé. Ce n’était pas n’importe quel président qui le disait, ce n’était pas un président de n’importe où qui le disait, c’était un président de la République française qui le disait, ce n’était pas un président de n’importe où qui le disait, c’était un président issu de la droite républicaine qui le disait. Le système libéral demande à être régulé. C’est lui qui le demande. Pour ce faire, Hollande, président issu de la gauche républicaine, ne doit pas le traiter comme un bâton merdeux. Il doit pouvoir le prendre par n’importe quel bout, et ne plus le lâcher.