Doit-on commencer par s’interroger sur l’origine du mal ? Pourquoi une épidémie touche-t-elle les hommes ? Doit-on s’appesantir sur la cause ou sur la finalité du mal ou tenter de voir comment à partir d’une restriction de la vie se génère une nouvelle existence ? Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la plupart des nouvelles maladies infectieuses humaines de ces vingt dernières années sont zoonotiques, c’est-à-dire qu’elles se transmettent de l’animal vers l’homme. Ces risques infectieux se sont accentués avec la mondialisation, le changement climatique mais aussi à cause de l’évolution de nos modes de consommation et de nos systèmes de production. La majorité de la surface terrestre ne se trouve plus dans son état naturel. Cette situation offre de nombreuses opportunités aux agents pathogènes de coloniser des territoires inhabituels et d’évoluer sous de nouvelles formes par le biais de l’espèce humaine qui se trouve présente dans la majorité des territoires. L’épidémie actuelle de Covid-19 trouve son origine au niveau de deux souches virales animales. Le SARS-CoV-2 proviendrait de la fusion entre un coronavirus de la chauve-souris et celui du pangolin. Cette double origine animale amène à toutes formes de théories plus ou moins extravagantes. S’agit-il d’une revanche de la nature ? D’un châtiment divin ? Autant d’interrogations que l’on entend ici ou là. L’angoisse est palpable, les messages urgents et les appels téléphoniques se multiplient dans nos cabinets médicaux tant le retentissement est important dans le quotidien de nombreuses personnes. Les patients qui consultent sont manifestement désemparés. Les mesures successives gouvernementales amenant à restreindre nos libertés les plus élémentaires leur font prendre conscience de la gravité d’une situation qu’ils n’avaient peut être pas suffisamment perçue jusqu’alors. Dans les rues ensoleillées de Paris, il règne un silence quasi religieux régulièrement interrompu par le bruit des sirènes d’ambulances qui rappellent, s’il le fallait, que la maladie se trouve bien à nos portes. Les hôpitaux sont en première ligne face à l’épidémie, les autorités publiques craignent d’ailleurs qu’il n’y ait plus assez de lits de réanimation pour prendre en charge tous les malades qui en auraient besoin. Ralentir la progression de l’épidémie pour ne pas dépasser les capacités hospitalières, c’est l’objectif du confinement. Pourquoi une telle épreuve ? Maïmonide dans son Guide des égarés s’interroge sur l’origine du mal. Il entend expliquer le sens des paroles du prophète Isaïe (45-7) qui affirme que Dieu « forme la lumière et crée les ténèbres, qui fait la paix et crée le mal ». Dieu est-il à l’origine du mal comme le sous-entend cette affirmation ? Pour tenter de comprendre ce passage du livre d’Isaïe, il convient de rappeler que l’hébreu attribue à la création deux termes distincts, bara et yatsar, le premier que l’on traduit par créer et le second par former. L’acte créatif par excellence selon la Kabbale est la formation sous le vocable de yatsar, qui implique l’idée d’une existence propre. La lumière est donc formée, et l’obscurité, créée car elle n’a pas d’existence propre. Elle représente la partie invisible de la lumière. Maïmonide explique que le mot bara qui exprime l’idée de création est synonyme de privation. C’est à travers cette notion qu’il faut comprendre le sens du verbe créer dans le premier verset de la Genèse. « Au commencement, Dieu créa (bara) le ciel et la terre ». Dieu fit sortir la terre du néant. La création à travers la formulation hébraïque de bara correspond à une action indirecte, ce qui amène Maïmonide à expliquer qu’il est impossible « d’affirmer de Dieu qu’il fasse le mal directement, je veux dire que Dieu ait primitivement l’intention de faire le mal. Cela ne saurait être ; toutes ses actions, au contraire, sont le pur bien ». Il poursuit son raisonnement en expliquant que la cause de tout mal est la création en elle-même qui implique le passage du néant à l’être, à l’élaboration de matière qui, par nature, est associée à sa privation. C’est ce passage qui la rend cause de tout mal et qui amène Maïmonide à considérer que la plupart des maux qui frappent les individus n’ont pour origine que l’œuvre des hommes eux-mêmes. Il l’exprime ainsi : « La plupart des maux qui frappent les individus viennent d’eux-mêmes, je veux dire des individus humains qui sont imparfaits. Ce sont nos propres vices qui donnent lieu de nous lamenter et d’appeler au secours. Si nous souffrons, c’est par des maux que nous infligeons à nous-mêmes de notre plein gré, mais que nous attribuons à Dieu ». Les kabbalistes ne partagent pas la vision maïmonidienne ; ils attribuent l’origine du mal au concept de la brisure des vases. Leurs théories partent du principe que la lumière divine originelle se déploie vers le bas par des cercles concentriques qui épousent la forme sphérique de l’espace primordiale formant des vases qui la recueillent et la renvoient vers le haut. Mais cet afflux de lumière entraîne la brisure des vases dont les débris se dispersent dans l’espace avec des étincelles indispensables à l’accomplissement de la création jusqu’à sa perfection. La brisure des vases entraîne les imperfections de la nature, laissant à l’homme le soin de les réparer.  Maïmonide classe les maux en trois catégories, centrées autour de l’homme. La première catégorie est en lien avec le fait que l’homme est un être matériel et, qu’à ce titre, il peut être affligé d’une infirmité, d’une paralysie ou d’une quelconque affection organique innée ou acquise. La seconde catégorie est en lien avec les maux que les hommes s’infligent mutuellement. Enfin, la troisième catégorie est en lien avec les maux que l’homme s’inflige à lui-même à travers les excès en tout genre, l’encourageant à prendre goût aux choses accessoires. N’est-ce pas cette troisième catégorie de maux qui demeure la plus fréquente dans nos sociétés contemporaines ? Ne pourrait-on pas réfléchir à ce qui est nécessaire dans nos vies et à ce qui est de l’ordre de l’accessoire ? Retrouver le sens des choses, c’est peut être l’une des leçons qu’il faudra intégrer à l’issue de cette pandémie.