Depuis son avènement en 1776, l’Amérique charrie dans son ADN, l’héritage du sang, des armes, des conquêtes, des exécutions, des sociétés secrètes, s’infusant d’une paranoïa illimitée lorsqu’il s’agit de remettre en cause la légitimité de sa violence. En 1876, face aux guerriers de Sitting bull et de Crazy Horse, les seigneurs des nations indiennes, on érigea en héros le colonel Georges Armstrong Custer massacré à la tête du 7ième régiment de cavalerie lors de la bataille de Little Big Horn… Mais qui étaient les vraies victimes sinon ces pauvres peaux rouges, ces 500 tribus décimées au fil des siècles ? Et comment réparer les souffrances des esclaves africains, asservis d’abord aux colonies britanniques puis embrigadés de plus belle, à la création des États de l’union, soit, en deux siècles, quatre millions de familles soumises aux ségrégations raciales et à son implacable maintenance, malgré les lois du Civil Rights Act votées en 1964 ?
Est-ce le lot des peuples vainqueurs d’aligner sur le fil de l’Histoire, les grands batailleurs comme les grands esprits, et d’estimer que leur cohabitation, même agressive, contribue autant à la légende turbulente qu’aux aléas d’une humanité en constante ébullition ?
Depuis février, la plateforme Nexflix a ajouté à son programme de vidéo diffusion, une série documentaire sur l’assassinat du prêcheur controversé, Malcom X, le 21 février 1965, à Harlem, NYC. Une enquête faramineuse développée en six épisodes de 43 minutes qui remet en cause les circonstances de sa mort, la véracité des témoignages et l’implication des vrais coupables. A tel point que la justice américaine, cinquante-cinq années après la disparition du messie noir, est désormais enclin à rouvrir le dossier judiciaire.
Avant d’être un militant politique, un orateur hors-pair du nationalisme afro-américain, il était né Malcom «Little», en 1925, au cœur du Midwest, dans une petite ville de l’état du Nebraska. Ce nom «Petit», il finira par le haïr car il raconte le destin de son ancêtre : celui d’un esclave arrivé d’Afrique, chaînes aux pieds, pour le nouveau monde, afin de servir un maître blanc. Ce dernier lui donnera ce nom de «Little» exterminant à la fois son statut d’homme libre autant que ses racines originelles. L’esclave est un homme qui n’existe pas.
Plus tard, Malcom précisera dans ses mémoires : «Aujourd’hui, je me prénomme X soit Malcom X, et je défends la mémoire de ma famille, opprimée, assassinée et celle de mon peuple. Quatre de mes oncles ont été lynchés par le Klu Klux Klan… Ma grand-mère maternelle a été violée par un propriétaire blanc et fût enceinte de ma mère… Notre maison d’Omaha fût incendiée, mon père, tabassé et jeté sous les roues d’un train». Malcom est maudit : il a du sang blanc dans les veines et un teint clair qui illumine son beau visage d’enfant. Il porte des cheveux roux qu’il fera teindre plus tard.
– «Le sang d’un blanc est rentré en toi par le crime, accusera Louise, sa mère». Elle finira, à moitié folle dans un sanatorium.
Lorsque son père meurt, ses six frères et sœurs sont placés en famille d’accueil. Malcom s’en tire bien, il vit chez les blancs à Roxburry et se montre brillant à l’école. Mais la soumission, l’obéissance qu’il refuse et l’injustice qui le frappe lui ordonne de prendre le premier train pour New York. À Harlem, sa prestance et son bagout en font un Pimp’, un maquereau notoire, dealer et consommateur. Il fournit les drogues, l’alcool et les putes noires pour des clients qui viennent s’encanailler. Malcom s’immerge dans le racket, la dope dont il devient accro, et également le sexe, de préférence avec les femmes blanches. Lorsque la police l’arrête, à Detroit, en 1946, il est condamné à dix ans de prison, pour un viol dont il est innocent. Il devient le matricule 22843. Malcom Little vient d’avoir 21 ans. Il profite de son incarcération pour lire, étudier et écrire, tout en refusant la moindre appartenance religieuse. Athée, agnostique, ses gardiens le prénomment Satan car pour Malcom, Jésus, c’est un concept blanc et la bible, du papier Q.
– Tu iras en enfer, clament des codétenus.
Malcom se gausse : – L’enfer ? J’y suis déjà !
À sa libération anticipée, en 1952, il revient à Detroit et se lie avec NOI, la Nation Of Islam, une organisation religieuse en pleine expansion fondée par le grand Elijah Muhammad. La société de l’islam a une idéologie fondée par trois thématiques fondamentales : Primo, une forme très hétérodoxe de l’islam ; secundo, un vigoureux nationalisme noir (revendication d’un État pour les Noirs dans le Sud des États-Unis) ; et tertio, un total rejet des Blancs considérés comme l’incarnation du démon sur la Terre.
D’ailleurs, une citation de son dirigeant, Elijah Muhammad, illustre cette pensée :
«Nous avons vu la race blanche des démons dans le ciel, parmi les justes, causant des troubles […], jusqu’à ce qu’ils aient été découverts. […] Ils ont été punis en étant privés des conseils divins […], presque ravalés au rang des bêtes sauvages. […] Sautant d’arbre en arbre. Les singes en procèdent. […] Avant eux, il n’y avait ni singes ni porcs…».
Dès lors, le grand Elijah, Malcom, et le premier cercle des disciples de NOI, sont désormais dans le collimateur du FBI. Et la guerre va être sans merci. Malcom rebaptisé X, monte rapidement dans la hiérarchie du groupe, à la fois bras droit et fils spirituel d’Elijah Muhammad. Ce père qui lui a tant manqué. Orateur remarquable, tribun inspiré et convaincant, Malcom parcourt les États-Unis porter la bonne parole et rapporter à son mentor de nouvelles adhésions et de l’argent pour construire de nouvelles mosquées. Son ascension est phénoménale, au point de provoquer des jalousies au sein de l’organigramme.
Lorsqu’il est mandaté à NYC, Malcom ouvre la 7ième mosquée de Harlem, mais il n’est pas du genre à tendre une main fraternelle vers l’homme blanc. Il est l’opposite du révérend Martin Luther King partisan de la non-violence et du dialogue entre les communautés. D’autant qu’en 1957, à Boston, comme partout aux USA, les noirs se font tabasser par les flics. Le vieux Sud lui, est toujours emmitouflé dans son racisme viscéral et sanglant, hérité de la guerre de sécession. Malcom le nouveau pasteur, organise ses troupes telle une armée combattante face à la ségrégation et aux pouvoirs en place. Ce sont 100.000 afro-américains qui rejoignent les rangs de la NOI. Le mouvement et les congrégations sont espionnées par une officine secrète, le Boss (bureau des opérations spéciales), antichambre de la NSA (national security agency) qui organise avec le Cointel Pro (counter intelligence program) la surveillance assidue de tous ces activistes et de leurs cousins indésirables : il y a, outre le NOI, les opposants à la guerre du Viêt-Nam, les communistes, les congrégations noires telles les pacifistes qui soutiennent Martin Luther King et les futurs Black Panthers. Ambitieux, Malcom continue son ascension au sein de la Nation Of Islam. Il attire dans ses filets, le redoutable et excentrique boxeur Cassius Clay, qui devient champion du monde des poids lourds contre Sonny Liston. Mais ce dernier, rebaptisé Muhammad Ali, refuse les actions radicales de Malcom car il a une carrière à bâtir : les blancs, Cassius préfère surtout les assaisonner entre les cordes d’un ring.
En même temps, Malcom X multiplie les provocations. Il ne compatit pas à la mort violente du président John Fitzgerald Kennedy en novembre 1963, il cite en signe d’épitaphe à son égard, une phrase de la bible : «Qui sème la discorde, récolte la tempête !».
Malcom refuse d’assister à la grande marche pacifique du révérend Martin Luther King pour la défense des droits civiques, organisée à Washington. Intransigeant, il veut imposer une séparation au sein de l’Amérique (un État noir), puis, il désire rétablir les connexions afro-américaines avec les nations arabo-musulmanes et les dirigeants africains, appuyant son idéologie sur l’exemple des modèles factieux révolutionnaires en guerre contre les impérialistes.
Malcom X, se rend à la Mecque. Ce pèlerinage dans la ville sainte, terre originelle de l’islam et de Mahomet, le prophète, constitue son dernier oasis intellectuel et humaniste. Et davantage, il se produit comme une révélation : lui qui, à l’exemple du musicien Miles Davis dégueulait sur l’homme blanc, raillant ses frères noirs qui – tel Louis Armstrong – pactisaient avec les ennemis à la peau claire, fût subjugué par la fraternité universelle interraciale qui régnait à La Mecque. Eh oui, il y avait des musulmans blancs tout à fait fréquentables, et de bonne volonté. À la Mecque, dans cette bulle protectrice et bienveillante, immergé dans cette culture orientale et dans cette pratique théologique musulmane pure et «révélée», loin du décorum factice des États-Unis, Malcom réapprend le sens du Coran, les sourates comme les messages du prophète. C’est un choc spirituel immense.
Malcom se rend ensuite en Égypte, au Caire, puis, invite le leader cubain, Fidel Castro, à Harlem. Pendant ce temps, dans son quartier général, le patron du FBI, J. Edgar Hoover s’étrangle, en relisant les compte-rendus des filatures opérées par ses G-Men – «Mais, de qui se moque-t-on ? Et jusqu’où va aller ce négro communiste, révolutionnaire et alter mondialiste ?».
Les absents ont toujours tort. Au retour de ses voyages, et au sein de la NOI, Malcom est tombé en disgrâce. Les histoires d’argent, convoitées par les fils du grand Elijah, les frasques sexuelles des disciples, les abus de pouvoir, tous ces mini scandales hérissent le pur et dur, Malcom. Acculé, il quitte le mouvement avant d’être radié des troupes, pour fonder The Muslim Mosquee Corporation, une organisation dissidente de Nation Of Islam. Et pour discréditer et se venger de son ancien mentor, Elijah Muhammad, Malcom révèle devant la presse, que son ex-vénérable prophète sexagénaire, a eu huit enfants avec ses huit secrétaires. Il s’attire les foudres de milliers de disciples de la Nation Of Islam. Comme si, déjà, il n’avait pas assez d’ennemis. Toutes ces armées invisibles qui guettent le faux pas ou le guet-apens idéal, préparent en fait leurs arsenaux.
Il devrait se méfier le Malcom. Toutes ces têtes qui tombent autour de lui, foudroyées par des tueurs insaisissables : les frères Kennedy, John et Bobby, Martin Luther King, Marilyn Monroe, Lenny Bruce …
Et Malcom n’est pas le seul à craindre pour sa vie : avec sa femme Betty et ses six filles, l’air devient irrespirable et menaçant. On dynamite sa maison et lorsque deux semaines plus tard, il doit prononcer un discours devant un auditoire de cinq cent personnes, le piège se resserre. Malcom l’ignore mais il est surveillé jusqu’au cœur de son intimité : son garde du corps le plus proche, Gene Roberts, est un policier infiltré en lien avec le FBI et le Boss. La mort le suit partout. Ses proches le savent. Son exécution est une question d’heures, voire de secondes. Un flingue va jaillir et l’enverra à trépas. Pourtant, la police de New York, retire ses protections et annule les surveillances. Sous l’ordre de qui ?
Lorsque Malcom monte sur la scène de l’Audubon Ballroom d’Harlem, on est le 25 février 1965. Est-ce un beau jour pour mourir ? Pas vraiment. Alors que la salle est bondée, un gars des Blacks Muslims se lève de sa chaise, armé d’un fusil à canon scié, et lui tire une décharge dans le ventre, aidé de deux comparses qui vident à leur tour leurs revolvers, à bout portant. 21 balles, c’est trop pour un seul homme. Les gardes du corps courent dans tous les sens, aveuglés par des fumigènes. Allongé derrière son prétoire, Malcom X s’étouffe puis rend l’âme quelques minutes après. Il a accompli son destin. Il avait 39 ans. Et ses meurtriers courent toujours.