«Il ne conseille pas Donald Trump. Il le manipule». Lui, c’est Stephen Miller, 34 ans, conseiller du Président des Etats-Unis en charge de l’immigration. Et la citation, elle, vient d’un long papier, signé Jonathan Blitzer, paru la semaine dernière dans le New Yorker. L’article, en accès libre, est un monument d’enquête fouillée, loyale mais intraitable, remplie d’anecdotes hallucinantes. Le papier de Blitzer permet, mieux qu’un autre, de comprendre l’administration Trump. Mais surtout, il dit quelque chose de terriblement puissant sur l’état de nos démocraties occidentales. Alors, de quoi Stephen Miller est-il le nom ?
Au départ, Miller est un jeune et obscur assistant parlementaire. Il a fait de bonnes études en Californie, vient d’une famille démocrate, mais lui est du genre sournois, solitaire, monomane, et surtout, très à droite. Il débarque comme un collaborateur de seconde zone dans les allées du Congrès et croise alors la route d’un vieil alligator de la droite réactionnaire américaine, Jeff Sessions, futur ministre de la justice de Trump, et présentement sénateur de l’Alabama. A l’époque, nous sommes pendant le deuxième mandat d’Obama, les Républicains ont essayé d’analyser pourquoi ils avaient perdu, pour la deuxième fois d’affilé, une élection présidentielle. Le Parti républicain a alors publié un «rapport d’autopsie» qui émet la thèse d’un virage trop à droite sur l’immigration, ce qui effraierait les Latinos et les modérés, et priverait le parti de Reagan et Bush de précieuses voix. De grands élus républicains rassemblés en escouade, surnommés le gang des huit (dont le sémillant sénateur de Floride, Marco Rubio, et le vétéran John McCain) proposent un deal à Obama sur l’immigration, qui voudrait régulariser, sous conditions, des milliers d’immigrés illégaux. Régularisation ou «chemin vers la citoyenneté» pour ceux qui en sont privés, contre renforcement de la frontière : voilà le deal, transpartisan et équilibré, sur lequel s’apprêtent à toper démocrates et républicains en 2013. Mais, un seul homme ou presque, Jeff Sessions, avec à la manœuvre son très jeune Raspoutine, Stephen Miller, qui, eux, pensent au contraire que les Républicains sont trop «mous» sur l’immigration, parviennent à réduire à néant le projet, et s’emploient à déchaîner des forces xénophobes, qui, peu à peu, emportent le Parti républicain.
Sept ans plus tard, raconte Blitzer, Stephen Miller est conseiller à l’immigration du Président Trump. Il est aussi écouté, indéboulonnable et craint que ne l’est par exemple le gendre de Trump, Jared Kushner. Dans les médias, Miller apparaît comme le symbole honni d’une administration détestée – un psychopathe sans limites morale, et un xénophobe à peine dissimulé. Dans le pandémonium grotesque du gouvernement Trump, si le sénateur Lindsey Graham est le courtisan mielleux, si le chef des Républicains au Sénat, Mitch McConell est le cynique brutal, et le vice-Président Pence, l’hypocrite réactionnaire, Miller est l’idéologue sans pitié. Un homme – ses mails, qui ont en partie été hackés l’année dernière le démontrent – obsédé par l’«invasion migratoire», adepte de la théorie du «Grand Remplacement», fan du «Camp des Saints», le roman raciste de Jean Raspail. Un moine soldat de la lutte contre l’immigration. Manières brutales, mine antipathique, paranoïaque jusqu’à la folie, méticuleux et obsessionnel. Même les gens de droite ont peur de lui. Ses grandes idées ? La séparation des enfants immigrés d’avec leurs parents, quand une famille illégalement rentrée sur le territoire est arrêtée. Trump, raconte le New Yorker, adore, dans les réunions, le placer à côté de lui, et jouer au «gentil flic», «méchant flic», avec des interventions du genre, «Moi qui suis contre l’immigration, telle mesure m’irait, mais, hélas, elle n’est pas encore assez dure pour Stephen». Miller a la charge du sujet qui a fait élire Trump (la candidature de Trump, en janvier 2015, a lieu en effet en bas des marches de l’escalier de la Trump Tower, et a été lancée par un discours sur les Mexicains «violeurs» et la promesse du Grand Mur contre le Mexique). L’administration Trump n’a qu’un seul sujet sur lequel elle a une ligne fixe, l’immigration – du Muslim Ban (cette interdiction d’entrée pour les pays majoritairement musulmans mise en œuvre le lendemain de son élection), à ces images d’internement, au Texas, de 25 000 enfants mexicains et sud-américains (dont une centaine de moins de cinq ans), privés de leurs parents expulsés, qui firent frémir jusqu’à Ivanka et Melania Trump, et qui sont deux idées de Miller. Jamais, à part peut-être Kissinger sous Nixon, un simple conseiller n’avait à ce point façonné une présidence toute entière. C’est l’homme d’un mantra – arrêter l’immigration, l’homme d’une peur, celle de l’homme blanc envahi, l’homme d’un Président, qui sait qu’il lui doit presque son mandat. Miller est à ce point obsédé par son sujet, qu’il en vient à se confesser d’une manière insensée. Le New Yorker raconte comment, alors que Miller, qui a à la haute-main sur l’administration et fait trembler de peur les technocrates du sujet, qu’il vire régulièrement, morigène tous les participants d’une réunion capitale. Il éructe, exige des mesures encore plus drastiques, puis s’effondre devant une dizaine de hauts-fonctionnaires incrédules : «Pardon, je ne voulais pas être brutal. C’est juste que la lutte contre l’immigration est la seule chose qui compte pour moi. Je n’ai pas de famille. Je n’ai rien d’autre. C’est toute ma vie».
Il faut lire l’article, pour voir l’emprise de Miller, qui «manipule» en effet plus qu’il ne conseille un Président qui lui doit deux campagnes victorieuses, au moins : l’élection de 2016, donc, et les mid-terms de 2018, où Trump (ce que ne dit pas le New Yorker) a sauvé les meubles en insistant, non pas sur ses bons résultats économiques, mais sur la menace d’une prétendue «caravane» migratoire en provenance du Guatemala et s’apprêtant à déferler sur l’Amérique. Lorsque, par exemple, Trump est prêt, en janvier 2018, à un «deal» donnant-donnant avec l’opposition démocrate, de type régularisation contre durcissement des conditions d’entrée et de séjour ou construction du Mur, c’est Miller qui le retient. Et quand Trump finit par se résoudre à cesser l’internement des enfants des immigrés illégaux, il n’en veut pas à Miller, dont c’était l’idée, et qui est devenu presque intouchable. Alors que Trump limoge régulièrement tous ses conseillers (comme le sulfureux Steve Bannon) et ministres (à commencer par Sessions, l’ancien mentor de Miller), deux n’ont pas bougé de poste et même gagné en influence depuis le début de la présidence : Kushner, le gendre, et Miller, l’idéologue.
Mais, surtout, l’article donne à réfléchir sur deux points.
D’abord, dans l’histoire politique du monde, il dessine un vrai moment de bascule. Le consensus de la droite moderne, c’était ce que disait le Parti républicain dans son rapport d’autopsie de 2012 : la droite doit être progressiste, jusqu’à un certain point, sur l’immigration. C’était la ligne de Reagan (et son discours d’adieu, citant «la cité sur la colline» qui doit attirer tous les immigrés du monde entier). Or, en réaction à ce document, trop libéral à leur goût, Sessions et son assistant Miller ont publié un «Guide des Républicains sur l’immigration», où Miller écrit, prémonitoire : «Sur aucun autre sujet n’existe un tel fossé entre l’homme de la rue et l’élite». Six mois plus tard, Trump se déclarait candidat. Et, au moment de la publication, en 2015, du manifeste de Miller, Cantor, un hiérarque républicain réélu depuis des lustres, perdait sa primaire face à un parfait inconnu, qui n’avait fait campagne que sur un seul thème : l’immigration. Ainsi, la colère, le racisme et la xénophobie renversent tout ; et, pour un Parti républicain en mal de victoires, ce carburant électoral était trop tentant. Miller ne fait que donner un visage à cette grande bascule des démocraties occidentales.
Et puis, enfin, s’exhale de tout le portrait – génial moment de journalisme par ailleurs – un air de dystopie, de cauchemar au ralenti, d’une Amérique qu’on ne reconnaît plus. Car si les idées de Miller – le «muslim ban» et l’internement des enfants – ont été annulées par la justice, ou retirées devant le tollé, bon nombre de ses thèmes, de ses projets, de ses réalisations s’installent peu à peu. Sa «citoyenneté au mérite», qui, il y a dix ans encore, aurait suscité l’indignation nationale, est une loi, en passe d’être votée. Miller (qui voulait aussi interner tous les immigrés illégaux à Guantanamo ou expulser, symboliquement, les immigrés «par train») a réussi à infuser tout le débat politique. Les juges des cours suprêmes, locales et nationale, sont peu à peu nommés par Trump, et entérinent sans broncher les législations les plus xénophobes. Trump a forcé les pays d’Amérique du sud à signer des accords léonins, pour une solution «à l’australienne», c’est-à-dire une demande d’asile examinée depuis un pays tiers sûr. Et à présent, Miller veut s’attaquer à la menace intérieure, en formant le projet de pouvoir autoriser la police à arrêter les enfants en situation irrégulière jusque dans les écoles. Voilà où en est le pays de la Statue de la Liberté («Donne-moi tes pauvres, tes exténués, / Qui en rangs pressés aspirent à vivre libres, / Le rebut de tes rivages surpeuplés, / Envoie-les moi, les déshérités, que la tempête m’apporte»), qui est devenu celui de Stephen Miller. Comme un 1984 sur fond de bruit et de fureur. Comme un raidissement insidieux et brutal digne du «Complot contre l’Amérique». Et si Trump est réélu, nul doute que Miller et lui se sentiront les mains libres pour aller, encore plus loin, dans la xénophobie.
Absolument TOUT est faux dans ce texte pitoyable.
Il n’y a jamais eu de « muslim ban ».
Les restrictions sur QUELQUES pays à majorité musulmane étaient tout à fait légales et ont été validées.
Le reste est aussi faux et débile.