L’histoire ne se répète jamais, mais parfois, elle bégaie. Cette semaine, aux Etats-Unis, l’Histoire paraissait bien être bègue : le mandat de Trump avait des airs de celui de Richard Nixon. D’abord, il y a l’impeachment : Trump, comme Nixon, est face à la menace d’une destitution. Et puis, le débat démocrate : comme l’ancien président, et comme en 1972, les démocrates sont tentés de choisir un idéaliste qui fait chaud au cœur à l’aile gauche mais dispose d’un moindre potentiel électoral (McGovern en 1972, Sanders, qui a, de l’avis général, un moment favorable actuellement dans la campagne). Troisièmement, la Chine : hier, Trump a signé le premier volet de son «deal» commercial du siècle avec Pékin. La Chine s’engage à acheter davantage de produits agricoles américains. Le rapprochement avec Pékin fut l’acte fort de la diplomatie nixonienne, et Trump a fait du combat avec la Chine la clé de sa politique étrangère. Justement, c’est le quatrième point, quand on prend la politique étrangère de Trump dans son ensemble, il est difficile de la qualifier, si ce n’est en la rapprochant de celle de Nixon. Ce dernier voulait se désengager du Vietnam, tout comme Trump veut retirer les troupes du Moyen-Orient. Les deux présidents partagent une vision unilatérale, assez isolationniste, en réalité assez pragmatique, traversée de bonnes intuitions, mais délicate à analyser si ce n’est en se concentrant sur la méthode : le cynisme, et l’absence de tout frein moral. C’est ce que Nixon avait appelé la stratégie du fou : faire croire à l’adversaire que l’on est prêt à tout, et l’amener à négocier, craintif et soumis.

Bien sûr, les analogies ne sont jamais satisfaisantes. Prenons l’impeachment : les démocrates se devaient, sauf à abandonner tout respect de la légalité constitutionnelle, d’enclencher le processus. Nancy Pelosi, la cheffe des démocrates à la Chambre, et présidente de cette dernière, ne s’y est résolue qu’ultimement, devant l’énormité du scandale ukrainien. Mais, non seulement Trump ne risque rien (le Sénat, où les Républicains disposent d’une courte majorité, ne le destituera jamais) mais encore les démocrates ne tireront aucun gain politique. La situation de l’opinion est si polarisée que les convaincus, pro ou anti Trump, seront renforcés dans leurs convictions, et c’est tout. C’est la grande différence avec l’ère Nixon, où le Parti Républicain avait lâché son Président devant les abysses de popularité où il s’abîmait. Trump est toujours populaire, et il est devenu le talisman électoral du Parti Républicain : seul lui sait parler à une Amérique populaire, et faire advenir une majorité républicaine dans les urnes. A la façon de Nixon d’ailleurs, Trump a opéré une révolution idéologique : Nixon parlait fameusement de «Law and Order», se sculptant en champion de l’ordre, mais ouvrait aussi le Parti Républicain vers des thèmes nouveaux (l’écologie, le progrès social), à la façon dont le fait Trump (en faisant du Parti Républicain un parti en faveur du protectionnisme et de l’isolationnisme).

Deuxièmement, les démocrates : ils peinent à trouver un candidat, mais rien n’est perdu pour eux. Trump a d’excellents résultats économiques – un taux de chômage historiquement bas. N’importe quel autre Président serait favori dans ces conditions, toutes choses égales par ailleurs. Or, il est impopulaire (à 40% de l’opinion), et les sondages montrent que Sanders ou Warren pourraient gagner. Et puis, Biden est l’anti-Trump parfait, populaire chez les minorités comme chez les cols bleus du Midwest.

Troisièmement, la Chine. Là, l’effet miroir avec Nixon est étonnant. Nixon s’était rapproché de Mao pour prendre l’URSS à revers. Dans son sillage, les Etats-Unis et l’Occident ont intégré la Chine dans l’ordre international dans l’espoir qu’elle devienne progressivement une démocratie libérale. Mais la Chine a, grosso modo, bafoué les règles commerciales, n’est pas devenue une démocratie paisible, et s’est hissée à la première place des puissances mondiales. Face à cette situation, Trump a rompu avec la naïveté et la mansuétude de l’Occident face à la Chine. On peut lui reconnaître cette bonne intuition. L’accord signé cette semaine est intéressant, et Trump peut s’enorgueillir d’avoir montré les muscles avec la Chine. Mais, bien sûr, que la Chine achète quelques milliards de plus de produits agricoles supplémentaires ne résout rien. Trump voulait cet accord pour fanfaronner, au début d’une année électorale. Pour autant, les sujets qui comptent vraiment (les transferts forcés de technologies en Chine, les subventions massives du gouvernement chinois vers ses entreprises, la réforme des règles du commerce mondial) sont renvoyés aux calendes grecques.

Enfin, la stratégie du fou : passer pour être insensé et être résolu au pire, pour effrayer. En gros : faire du bluff. Trump exploite au maximum cette stratégie. Parfois c’est un désastre : ainsi avec la Corée du Nord. Trump commence par promettre «le feu et la fureur» à Pyongyang ce qui amène le dictateur nord-coréen à la table des négociations – d’où la rencontre historique avec Kim Jong-Un. Mais ensuite, Trump n’a pas de stratégie, pas de diplomates chevronnés pour mettre en œuvre des négociations suivies et solides. D’où, une défaite stratégique en rase campagne : la Corée du Nord a gagné le statut d’un Etat respectable, mais continue à tirer des missiles pour autant. Parfois, la stratégie du fou est un succès : ainsi, contre toutes attentes, l’assassinat de Soleimani, à cause de l’erreur du régime iranien qui a abattu par erreur un Boeing ukrainien, met en péril le régime de Téhéran.

La seule différence entre Trump et Nixon, c’est que Nixon, un monstre d’intelligence au cerveau froid, jouait au fou, même authentiquement guetté par la paranoïa. Trump, lui, traversé de bonnes intuitions, est sans doute vraiment insensé. Auront-ils un destin semblable ? Après tout, on l’oublie souvent, mais, même après le déclenchement du Watergate, Nixon a été réélu…

Thèmes

Un commentaire

  1. Le vieux rockabilly qui voulut être George Washington nous met en difficulté.
    Il rappela au Boucher de Damas où se situait une ligne rouge dont la star Michelle Obama avait obtenu de son époux un balayage du revers de la main de justice.
    Il n’a pas attendu pour le tailler que son Buisson, digne héritier d’un Benjamin Franklin qui prêtait aux Français un chromosome basanificateur abîmant la pureté de l’arc racial aryen, ait programmé sa non-réélection.
    Sa rhétorique de vilain nous hérissait, mais il a changé de plumes, et le discernement momentané de l’administration à laquelle colle son personnage de tête de Turc du SNL — quoi de mieux pour s’attirer la sympathie compassionnelle des opposants les plus acharnés ? — s’ébroue sur les suprémacistes blancs qu’elle invite à le suivre dans son soutien à des peuples sur les droits fondamentaux desquels le rouleau compresseur des dictatures souveraines continue de passer, en vertu du droit onusien.
    De là à en conclure que Trump ne s’empara du créneau populiste que pour mieux conquérir le pouvoir dans une époque dont il maîtrisait mieux les codes que sa principale adversaire, ex-dégagiste de Richard Nixon coincée dans un siècle des totalitarismes au crépuscule duquel le grossmuftiste Arafat avait raflé son titre de prix Nobel du jihâd sans qu’aucun des acteurs de la paix internationale qu’il avait odieusement trahis ne lui en tînt grief…
    Je dirais plutôt que notre punching-ball à tête vissée sur une absence de corps intermédiaires profite avant tout du gigantesque espace politique que lui ont libéré des conspirationnistes rampants et galopants, que nous vîmes déserter, les uns après les autres, les infaillibles évidences du réel.
    Jusqu’où l’imMONDE tirera-t-il profit du cuistre échec incombant à sa propre BÊTisE ?
    Avant de songer à restituer leur boussole aux États oscillant entre droit et non-droit, les artisans de la refonte du projet européen feraient bien de ne plus céder aux moralinantes intimidations des passionarias tristes qui ne changeront jamais de braquet avant qu’elles n’aient achevé de goudronner le premier poumon de la Liberté.