Je ne croyais pas si bien dire quand, il y a trois semaines, j’expliquais que les juifs des Etats-Unis avaient tout à craindre de leur nouveau président – y compris le pire.

Il y a eu, depuis cette date, l’incroyable lapsus du 27 janvier, jour du «souvenir de l’Holocauste». D’ailleurs non. Lapsus n’est pas le mot. Car on a appris, entre-temps (Politico, 2 février), qu’un brouillon de ce discours avait été préparé par le Département d’Etat; que, dans ce brouillon, figurait, comme chaque année, et comme pour chaque président, la mention des «6millions de juifs» exterminés par les nazis; et que c’est donc intentionnellement, en sachant ce qu’ils faisaient et pourquoi, que les hommes de la Maison-Blanche ont choisi de biffer la chose. On était bien en présence, autrement dit, d’une volonté délibérée de noyer les juifs génocidés dans la zone grise des «massacres» en général et des «crimes» sans nom ni visage. Ce fut bien l’un de ces passages à l’acte négationnistes dont nul n’ignore qu’ils sont, aux Etats-Unis comme ailleurs, l’un des gestes constitutifs du nouvel antisémitisme. C’est terrible, mais c’est ainsi.

Il y a eu, quelques jours plus tard, l’étrange conférence de presse tenue, au début de sa visite à Washington, avec Benyamin Netanyahou. Un journaliste israélien se lève. Il interroge le président sur l’augmentation préoccupante des actes antisémites aux Etats-Unis. Et, au lieu de lui répondre, au lieu de se saisir de la circonstance pour prononcer la phrase claire et sans appel que l’on attend de tout président américain digne de ce nom, au lieu de condamner avec vigueur le retour de la plus vieille des haines sur l’une des rares terres au monde où elle paraissait contenue, Donald Trump parle, comme d’habitude, de lui; avec la même compulsion obsessionnelle et puérile dont il avait fait preuve le jour de sa visite, le lendemain de son investiture, au siège de la CIA, il revient sur sa victoire du 8 novembre et son ampleur; et, quand il se souvient enfin de la question posée, c’est pour observer, l’œil vague et le ton mécanique, que, oui, beaucoup de «mauvaises choses» se passent dans son pays, que beaucoup de «crimes» sont commis qu’il faut absolument «stopper» et qu’il sera un président soucieux de «paix»… Pas un mot sur la situation des enfants juifs qui vont à l’école la peur au ventre. Pas l’ombre d’une idée sur la façon de traiter les milliards de tweets et de retweets qui, selon l’Anti-Defamation League, popularisent, depuis son élection, les blagues sur les chambres à gaz, les appels à rouvrir «les fours» pour les juifs de New York et Los Angeles ou les théories complotistes les plus nauséabondes.

Et puis il y a eu, vingt-quatre heures plus tard, cette deuxième conférence de presse où un deuxième journaliste représentant, cette fois, un hebdomadaire juif américain, se lève, lui pose à peu près la même question et lui demande respectueusement ce que l’administration compte faire face à la multiplication des synagogues attaquées, des écoles juives menacées et évacuées dans l’urgence ou des centres communautaires terrorisés par des alertes à la bombe jusqu’à présent déjouées. «Taisez-vous, le coupe le président avec une violence bizarre et qui laisse les journalistes présents pantois. Taisez-vous et rasseyez-vous. Vous n’avez jamais connu, de votre vie, un homme moins antisémite que moi.» Moyennant quoi le-moins-antisémite-des-hommes-et-donc-des-présidents ne trouve, de nouveau, pas un mot pour expliquer comment l’Amérique de Martin Luther King, Elie Wiesel et Bill Clinton endiguera la vague d’antisémitisme sans précédent depuis les années 1930 qui est en train, après l’Europe, de déferler sur son pays.

On complétera le tableau avec l’image des vingt et quelques rabbins arrêtés et menottés parce qu’ils avaient l’outrecuidance de manifester leur réprobation du «Muslim Ban» aux abords de la Trump Tower.

On y ajoutera la petite vulgarité qui lui fait, chaque fois que ces questions sont abordées, sortir l’argument massue que semble être, à ses yeux, l’existence de sa fille, de son gendre, de ses «merveilleux» petits-enfants et, comme il se doit, de ses «amis juifs».

Ou encore, dans l’affaire de l’effacement des noms juifs lors de la commémoration de la Shoah, l’infamie supplémentaire qui vit les préposés à la «vérité alternative» du moment tenter de mettre l’erreur sur le dos d’un «survivant de l’Holocauste».

Que le Premier ministre d’Israël ne trouve rien à redire à tout cela, qu’il croie habile ou juste de décerner à cet homme des brevets de vertu en le sacrant «grand supporteur du peuple et de l’Etat juifs» et qu’il le fasse en s’affichant avec lui dans des mises en scène où l’on surjoue la complicité et l’amitié, ne change rien à l’affaire.

Il sera, dans le meilleur des cas, le très lointain héritier de Joseph s’alliant à Pharaon pour protéger les siens.

Mais l’on sait comment finit l’histoire : de même qu’un nouveau pharaon «se lève sur l’Egypte» qui ne «connaîtra pas Joseph» et réduira ses descendants en esclavage, de même un nouveau président finira, tôt ou tard, par se lever sur l’Amérique.

Avec, dit le Talmud, deux cas de figure possibles – également tragiques.

Soit ce nouveau venu est, vraiment, un nouveau pharaon et il associera les juifs au prédécesseur dont ils auront si imprudemment embrassé la cause et le destin.

Soit c’est le même – c’est, disent exactement les Sages, le même qui «tourne mal» et qui, en d’autres termes, tourne casaque : auquel cas c’est l’imprévisible M. Trump qui deviendra un autre M. Trump et se retournera contre cet Israël dont, au fond, il se moque et qui a tout à redouter, ici et maintenant, de son pragmatisme et de son cynisme.

11 Commentaires

  1. Je vous ai vu à New York récemment (92Y), et je suis loin de partager votre vision apocalyptique de la vie des juifs américains (New-Yorkais pour notre part). Non, mes enfants ne vont pas à l’école la peur au ventre, oui vous pouvez prendre le métro avec une kippa sur la tête sans vous faire agresser, vivre et annoncer sa judaite sans peur (et sans reproche). Nous avons quitté Paris il y a plus de 12 ans parce l’air y devenait nauséabond. Nous ne sommes pas religieux, et nous sentons pleinement heureux ici.
    J’ose espérer que D. Trump est plus bête que méchant et qu’une probable procédure d’impeachment mettra fin à son mandat. Vous savez que son pouvoir est bien moindre que celui d’un président français (je ne parle pas de l’actuel qui déshonore chaque jour un peu plus la fonction présidentielle..).
    Mes amis à Paris ont la peur au ventre quand leurs enfants vont à l’école et certainement pas avec une kippa sur la tête. Vous, que je respecte infiniment, devriez en cette période d’élection affûter vos commentaires vers l’Europe, et la France en particulier.
    Bien Cordialement

  2. Aaaaah! Lorsque BHL déclare une personne antisémite, j’ y vois une personne qui dérange le ou les programmes de marche du monde établis par une caste privilégiée…

  3. Moi qui lis tous les journaux tous les jours, je n’avais rien entendu des faits contés dans cet articles. Est-ce à dire qu’ils sont montés en épingle?

  4. Bernie Sanders vient de réaliser qu’il est temps pour nous autres, américano-sionistes, de mettre fin à cinquante ans d’occupation israélienne. Il nous faudra donc rompre a priori avec quatre-vingts ans de tolérance pour le nazisme exopalestinien. Je m’accorde avec lui sur ce point d’orgue exaspérant. L’occupation de l’Allemagne par les Alliés n’aurait eu aucun sens si elle ne s’était appuyée sur un programme de dénazification personnalisé, programme auquel des personnalités d’une renommée internationale comme Wilhelm Furtwängler furent, comment dirais-je… contraintes? oui, je crois que c’est le mot… contraintes de se soumettre. Et pourtant, rien de tout cela ne nous permet de lâcher un chien de paille s’avérant incapable de dompter sa propre bestialité sur une bande de mondiovillageois munis de kalach et de lâcheté sans nom. C’est ainsi que certains hommes visent haut quand d’autres prennent Céline pour juste. Hâtez-vous, camarades socialistes! Les Palestiniens méritent qu’on les délivre de ce qui les préoccupe.

    • P(oste de)-C(ommandement) : Les Palestiniens méritent surtout qu’on les traite comme nous nous traitons nous-mêmes. Chérissons le principe d’égalité jusque là où ça fait le plus mal.

    • P(romenade de)-S(anté) : début de l’ère Clinton : un dîner de reprise d’appart’ : une connaissance française : débouchage de conversation : la future locataire des lieux sabre son champion : Arafat à Paris : crachat de purée : « Si Moïse revenait sur terre, il égorgerait tous les juifs. » : on se gardera de généraliser : pour autant : nous ne ferons pas injure à la demoiselle en dissimulant des origines arabes qui faisaient sa fierté : sa décomplexion s’explique : par le fait qu’elle n’imaginait pas que des Français acceptant la présence d’une Arabe à leur table ne partageassent pas son point de vue sur les Juifs : il y a fort à parier que si : vingt ans après : la faux-jeton venait à découvrir que son rejeton avait convolé en noces barbares : elle réagirait de la même façon que le soir suivant : devant une étoile de David qu’elle ne s’attendait pas à voir si tôt dégainée : et par la chemise déboutonnée d’une connaissance : !

    • R(éception en)-P(oste)-R(estante) : Entre la normalisation de l’organisation terroriste OLP et l’élection de JFK II, les Berlinois ont accompli leur Renaissance par éventration, l’ami antikurde a déboulé pleins gaz sur l’avant-poste d’Israël, un nouveau désordre mondial s’est imposé. Un ordre des Nations désunies sous lequel les non-hyperpuissances se perçoivent telles des victimes du Reich ultime. Les garants de moralité du monde libre n’auront pas fait long feu. Leur idéologie libérale et leur fâcheuse tendance à rendre le travail flexible fera désormais figure de portail de Dachau. L’Histoire anaverselle apprendra à marcher sur la tête. Malheureusement pour nous, elle aimera ça.

    • Très cher Asermourt,allez faire un séjour de quelques jours à Hébron ou Gaza dans les conditions de vie de ces etres vivants, ou survivants,voyez les enfants qui génération après génération subissent l’humiliation,les bombardements,la restriction,le « rien a perdre »…etc Ensuite,vous pourrez Philosopher depuis votre fauteuil confortable,sur ce qu’il est bon ou non de penser et faire.Le Monde saigne là-bas et ailleurs,on visionne tout cela sur le net ou la TV depuis parfois des années et vous vous habituez en trouvant des excuses dans des écrits religieux ou philosophiques qui ne rendront jamais la Dignité volée.Heureusement,à d’autres heures de l’histoire,certains se sont élevés dans le silence,la discrétion et l’humilité pour sauver l’honneur du plus grand nombre qui ne savait faire que des belles phrases ou s’en remettre au plus fort.Cordialement Rey cathy une femme déçue voire écoeurée par tous vos articles ou commentaires « intellectuels »sans effets a suivre.

  5. « L’argument massue que semble être, à ses yeux, l’existence de sa fille, de son gendre, … » a une étrange résonance avec l’œil ophitique qui perse Adam et Eve dans leur intimité.
    C’est le désir du tiers, le tertium non datur, qui s’introduit entre eux pour en faire le comptage et tirer son profit.
    C’est bien le tiers ophtique du dernier étage de la Tour newyorkaise qui, déguisé en policier, sépare la relation de l’autrui à l’autrui, le regard de l’étranger à l’étranger, le moi du moi.
    Donald Trump, Drumpf de son vrai nom de famille, n’a aucune difficulté à différentier les Juifs de leur histoire, les compter et finir par les séparer. Il joue de la nécessité sa force tout en promettant aux uns ce qui enlève aux autres, c’est à dire leur être.
    Ses dérapages, ses dénégations, ses silences font partie du machiavélisme qui l’entoure : ne jamais trop froisser les extrémistes qui le soutiennent à dépit même de leurs actes antisémites. Sans surprise la communauté juive américaine a pris les distances de cette présidence.

  6. Le gendre et la fille de Trump sont-ils antisémites alors qu’ivanka s’est converti au judaisme pour son mari at qu’ils ont été tous les deux nommés conseiller spécial BHL tu déconnes