Les résultats du caucus démocrate de l’Iowa ne sont pas encore consolidés, mais un nom se trouve sur les lèvres de tous ceux qui arrivent à le prononcer : Pete Buttigieg. Qui est le nouveau prodige de la gauche américaine, qui a donc remporté l’Iowa, au nez et à la barbe de candidats bien plus expérimentés ?
Buttigieg, c’est un progressiste, il a des idées révolutionnaires, comme réformer le collège électoral (ce scrutin indirect qui permet à certains candidats, comme Trump, d’investir la Maison Blanche en ayant davantage de délégués que son adversaire, mais moins de voix) ou encore dépolitiser la Cour Suprême ? Voilà qui renvoie à Howard Dean, fringant candidat démocrate du début des années 2000, ou aux années 1960, une gauche américaine très intellectuelle et pleine d’idées généreuses, ou encore à Robert Kennedy, catholique comme Buttigieg, orateur superbe et héraut de la jeunesse des campus, comme Buttigieg. Mais bien sûr, on le compare plutôt à deux autres figures marquantes. Parce qu’il a 38 ans, qu’il est brillant (diplômé de Harvard, de la bourse Rhodes à oxford), et qu’il n’est pas du sérail, et qu’il est un libéral assumé, très «start-up nation» (Buttigieg fut un ancien du cabinet de consultant McKinsey), on pense à un autre jeune candidat, intellectuel, qui concourait à 39 ans : Emmanuel Macron, dont Buttigieg cite l’exemple, pour expliquer que sa génération peut et doit s’engager. Et puis, parce qu’il est éloquent, qu’il est passé par Harvard, qu’il a ce mélange de flegme et de virtuosité très articulée, très déterminée, le nom de Barack Obama revient inévitablement.
En réalité, Buttigieg est un cas à part. Obama, même s’il était relativement inconnu avant 2008, avait pris soin de cocher les cases du cursus honorum de la politique américaine : il avait été élu sénateur de l’Illinois, et avait déclamé son fameux discours de 2004, qui l’avait déjà rendu un peu célèbre, et lui avait valu beaucoup de connexions dans l’establishment du parti Démocrate. Buttigieg n’est maire que d’une ville de taille modeste, South Bend, ce qui lui vaut le surnom de «Mayor Pete», et n’a pas remporté d’autres élections. Macron était ministre – Buttigieg, réellement, sort du néant. Il est même, davantage peut-être que Macron, l’homme du «en même temps» : un alliage assez étourdissant de contradictions.
C’est en effet une figure très singulière. Par où commencer ? Voilà un intellectuel brillantissime, fils de professeur, parfaitement arabophone, polyglotte, qui a par exemple appris le norvégien en quelques semaines pour pouvoir lire son auteur préféré dans le texte, mais, aussi, un jeune Maire ayant redressé sa ville sur les décombres de son industrie déclinante, et qui surtout, appelé sous les drapeaux, sert en Afghanistan pendant sept mois. Il est un catholique, élu dans l’état le plus conservateur des Etats-Unis, l’Indiana, celui de l’ultra-religieux et ultra-réactionnaire vice-président Mike Pence, mais Buttigieg est aussi homosexuel, ce qu’il revendique. Il a commencé sa campagne en faisant venir sur l’estrade son compagnon, et évoque ouvertement le sujet, ce qui est à la fois terriblement inédit et terriblement courageux. Même Trump a reconnu qu’il fallait du cran, et que l’on devait se réjouir qu’un candidat à la Maison Blanche soit ouvertement gay (mais après tout ne sommes-nous pas en 2020 ?). Idéologiquement, Buttigieg est aussi contradictoire. D’un côté, il raconte sa volonté d’engagement en politique parce qu’il appartient à la génération de la tuerie de Colombine, et du réchauffement climatique : il est le candidat des jeunes progressistes, en pointe sur l’écologie et sur la lutte contre les armes à feu. Mais il flatte aussi l’électorat centriste, avec des positions très modérées sur la Sécurité sociale, et en affichant sa foi. Il parvient, génialement, à dire aux Américains : j’ai fondé une famille aimante parce que je crois en Dieu, et tant pis pour vous si cette famille est gay. A ce sujet, Buttigieg remarque justement que les gens de l’Indiana, réputés réactionnaires, n’en font pas tout un plat. Sur le plan international, Buttigieg veut que l’Amérique soit championne de l’écologie, mais, en tant que vétéran de l’armée, il souhaite aussi une diplomatie musclée : contre Sanders ou Warren, ses concurrents plus à gauche, il ne veut pas d’isolationnisme ou de pacifisme américains.
Toutes ces raisons font que Buttigieg a remporté un très bon score en Iowa, ce qui, partant de rien, est un exploit. Il a battu Sanders et Warren très expérimentés, et Biden, un ancien vice-Président. Sa stratégie était celle d’Obama en 2008 : tout miser sur le premier Etat des primaires, plutôt Blanc, pour démontrer qu’un outsider peut être validé. En effet, comme Obama en 2008, il lui faut convaincre les Démocrates l’aimant bien, mais peu convaincus qu’un Afro-Américain, ou un gay puisse êtré elu Président, et se retenant donc de voter pour lui, en leur administrant cette preuve d’un grand succès inattendu dans une terre défavorable a priori. C’est le test de ce que l’on appelle l’«électroaffinité», ou potentiel de victoire aux présidentielles, et il est réussi. Buttigieg y est parvenu, mais le désastre de l’organisation, qui dissimule ou obscurcit sa victoire, a masqué ce fait-là. A plus long terme, Buttigieg essaye d’être Biden en plus jeune : le candidat raisonnable, qui vient du pays profond, et qui saura parler aux électeurs de Trump, avec un programme pas trop à gauche.
Mais, et c’est la dernière chose à dire, Buttigieg a des défauts, surtout au miroir de Biden. L’ancien vice-président est très populaire chez les minorités (Latinos et Afro-Américains) pour des raisons qui tiennent à la carrière du parlementaire Biden, et parce ce qu’il est associé à Obama, le nom magique. Buttigieg, lui, est impopulaire chez les minorités, en partie à cause d’une vieille histoire d’un chef de la police Afro-Américain viré quand il était maire de South Bend. Eh oui, Buttigieg n’est pas Obama. Son story-telling est un peu robotique, loin du charisme cool d’Obama. Obama savait parler à tout le monde, à la fois les ouvriers et les minorités, dans cette «coalition magique» qui lui fit remporter deux élections d’affilé. Buttigieg ressemble à un nerd, comme s’en moque Trump, un «millenial» de la SIlicon Valley, abstrait, appliqué, et a des manières de «vieille politique» tant il est couvé par tous les caciques de l’aile progressiste américaine. Il lui manque – pour l’instant – quelque chose de plus virtuose, malgré sa détermination et son immense intelligence. Sur le créneau du «centriste», il est meilleur que Biden – mais ce n’est pas très dur. S’il veut rééditer l’exploit d’Obama, et se glisser dans les pas de ses légendes, Robert Kennedy et Howard Dean, il lui faudra être bien meilleur, et même meilleur que ce génie néfaste de la politique qu’est Trump. L’homme en est capable, les électeurs lui en laisseront-ils le temps ?
Je n’y crois pas. Buttigieg s’est planté aux primaires de l’Iowa en criant victoire avant de connaître le décompte final des voix. Puis patatras, on s’est aperçu que c’est le vieux rouge Bernie Sanders qui avait gagné. Ca le carbonise, car il en sort couvert de ridicule. Comment le petit gay a-t-il pu être aussi faraud? Sans doute parce qu’il pensait pouvoir compter sur un vote truqué selon les désidératas de l’establishment democrate qui a peur de Sanders. Mais ça a foiré.
Je parierais plutôt sur Trump, dont vous avez su montrer le génie de la manoeuvre, et de la mise en scène.
Qu’un candidat homosexuel remporte le caucus de l’Iowa nous réjouit doublement, d’abord parce que cet événement laisse présager une arrivée en fanfare à la Maison-Blanche de Pete Buttigieg qui, contrairement à son rival Bernie Sanders, ne se sentira pas obligé de marcher la tête baissée tout en fermant les yeux sur les complicités des hamassistes du Parti démocrate de crainte qu’on ne l’accuse d’entrisme judéo-nazi, ensuite pour la détermination et l’énergie avec laquelle on peut supposer qu’il saura distinguer entre la Tel Aviv Gay Pride et la Ballade des pendus qui osèrent contester la charî’a.
Nous ne pouvons plus nous contenter de déplorer sarcastiquement que les preuves accablantes contre Trump ne l’incriminent pas auprès de son électorat sans éprouver le moindre embarras envers la tolérance qu’affiche le camp du Bien à l’endroit d’une ligne idéologique attentatoire aux droits de l’homme dès lors que ces mêmes droits enfreignent des principes auxquels sont forcés d’obéir aveuglément les otages résignés ou consentants d’une horde d’intégristes non-juifs, non-chrétiens et non-blancs qui se croient protégés derrière le masque de l’indigénisme.
Nous attendons Buttigieg au tournant amorcé par le dernier leader démocrate d’une hyperpuissance dont le rayonnement a commencé de se fossiliser dans le vent de sa victoire contre l’Axe fasciste, quand ce dernier octroya son nouveau paradigme à l’Acommunauté tandis que le trauma consécutif au 9/11 achevait de persuader son successeur que, sa civilisation étant, comme toutes les autres, indubitablement mortelle, il serait peut-être plus judicieux de laisser ses alliés régler seuls leurs problèmes de pension alimentaire avec les ex-empires que les héros du siècle passé avaient soit cordialement trucidés, soit froidement suicidés, quitte à ce que la Petite Mère européenne ploie un jour sous le joug d’un crypto-islamisme panarabe ou d’un tsarisme stalino-poutinien.
Nous l’attendons, cette surprise du chef en qui la gauche voit déjà son nouvel Obama, tout particulièrement sur la question kurde, laquelle s’avère incompatible avec le commerce des indulgences que les papesses indigénistes sont prêtes à rétablir avec les saints souteneurs du jihâd par l’épée du moment qu’ils les débarrassent de la Main crochue invisible ; le féminisme n’acceptera pas encore longtemps qu’on le retourne et le prenne par derrière ; il ne se paiera plus le luxe d’accorder à nos concitoyennes (musulmanes) du monde (libre) la possibilité de digérer La Boétie à un rythme de croisière pouvant coûter beaucoup trop cher aux nobles éclaireuses qui elles n’hésitèrent pas à aller au contact, quand les armées occidentales ne faisaient que survoler le problème Daech.
Nous souhaiterions aussi que notre hyperprésident potentiel surmonte sa culpabilité de petit fillot d’esclavagiste et s’implique davantage dans le soutien que son État se doit d’apporter à tout importateur des droits fondamentaux issu d’un continent fondamental qui, en raison de l’amnésie post-traumatique dont il est victime, paraît mieux disposé envers les invasions barbares que planifient à son encontre un Coranisateur dont les ancêtres avaient pourtant organisé les premières traites négrières de l’Histoire, qu’à l’égard d’un Libérateur ayant le malheur d’avoir été livré à la naissance, vêtu d’une tunique de peau claire.
Parions sur Buttigieg, mais faisons-le en conscience qu’il s’agit bien ici du pari de la dernière chance.
Ne nous loupons pas.
Et pour ce faire, évitons de nous perdre.