Bien sûr, «notre jeune homme» (Barrès à propos de Proust) avec son goût de la fête, ses danses jusqu’à l’aube façon Philippe Clay dans French Cancan, sa gaîté du diable au sens où on le dit de la beauté.

Bien sûr le «prince de la jeunesse» (Barrès encore, ou Cocteau, ou la nostalgie de Radiguet) avec son côté enfant terrible, poète sauvage et à ciel ouvert, dandy dada, et les cohortes de jeunes gens que, de Paris à Istanbul et à tous les «Bœufs sur le toit» du monde, il attire comme un aimant.

Et, bien entendu aussi, ce créateur hors pair, hors normes, hors des modes (sauf, naturellement, celles qu’il fait et défait, qu’il inspire comme il respire et qui l’aident, depuis tant d’années, à demeurer ce franc-tireur doublé de cet homme-tendance) : un jour, un dessin ; un autre, un collage ; un autre, l’ultime métamorphose du homard ou du capricorne à tête de cristal ; un autre encore, une table d’écrivain, ou une chaise vertébrée, délicieusement ironiques et baroques ; ou un objet-fantôme, énigmatique et instable, aussi radicalement inutile que la table-paravent, le porte-plume longue vue ou le veston aphrodisiaque de ses maîtres surréalistes ; ou bien l’un de ces costumes de scène que je l’ai vu dessiner, à Tanger, d’un coup de crayon rêveur, sans lever le coude ou à peine – et puis une vague étoffe, un bout de ficelle, un morceau de carton comme un patron, une paire de ciseaux baladeurs, et surgit une silhouette, un profil perdu, un masque, un rêve de femme…

Mais il y autre chose chez Vincent Darré.

Il y a, courant à travers ce fatras, ce désordre de matière et de mémoire, ces frémissements d’un désir qui semble toujours courir plus loin que soi et ne pas tenir à se fixer, une sorte de fil d’or, habilement dissimulé, invisible.

Ou, mieux, un fil à plomb, bien solide, bien vertical, qui ordonne en secret ce talent à volonté, ce cabinet de curiosités sans limites que sont sa vie et son œuvre mêlées – et dont ne sont pas toujours conscients, il me semble, ses admirateurs et frères en esprit.

Comment le dire sans contrevenir aux règles d’une pudeur qui est devenue, depuis le temps, la politesse de sa mélancolie et de sa gaieté ?

Il faut imaginer un père discret mais savant, un peu philosophe, un peu sociologue, expert en agronomie, militant communiste à l’époque où cela se pouvait encore et où il restait, chez les communistes, un peu de la noble volonté de hisser les hommes au-dessus d’eux-mêmes et de faire que leur aventure ne soit pas seulement une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et fureur, et qui ne signifie rien.

Il faut imaginer une mère charmante et féministe, proche de François Maspero et de son épouse, Fanchita Gonzalez-Battle, libraires et éditeurs légendaires de Mai 68, puis des extrême-gauches des années 1970, puis de tous ceux (inclus l’auteur de ces lignes) qui caressèrent l’idée de monter à l’assaut du ciel et de casser en deux l’histoire du monde – et il faut imaginer cette jolie maman, en tête des manifestations du MLF, escortée par un petit Vincent porteur d’une pancarte «je suis un enfant désiré».

Et il faut imaginer un oncle magnifique et glorieux, ancien communiste lui aussi, grand d’Espagne et d’Europe, qui n’était autre que l’écrivain Jorge Semprun et dont il ne parle presque jamais alors qu’il lui parlait, jusqu’à sa mort, tous les jours que Dieu faisait : la guerre d’Espagne ; la Résistance antinazie ; les camps, leurs tas d’ossements, leurs têtes de mort ; ne jamais céder sur le fascisme ; être prêt, en toutes circonstances, pour la clandestinité ; encore la mort ; toujours, les vierges fouettées ; et, en même temps, tout de suite, car le diable ne fait pas crédit, la Grande Vie.

Ce Vincent-là croyait qu’un séducteur devait ressembler à Yves Montand.

Il voyait un Casque d’Or derrière toutes les femmes qu’il rencontrait et qui commençaient de peupler ses songes.

Sa gare de Perpignan était à Saint-Paul de Vence, nichée entre les remparts de La Colombe d’Or, chez Picasso, Braque, Clouzot et son oncle.

Son côté de Guermantes n’était pas encore Le Palace, mais le «haut du pavé» de la Place Dauphine.

Et c’est Florence Malraux, son amie jusqu’aujourd’hui, qui lui faisait découvrir, avec Royaume Farfelude son génie de père, ce qu’extravagance, fantaisie, monde à l’envers et à l’endroit, dérision, anges du bizarre, peuvent aussi vouloir dire.

Si j’en parle ici, en préface à ce livre riche d’une existence qui doit tant à ses familles imaginaires ou choisies, c’est que, de tous les Vincent, c’est celui que je connais le mieux.

Mais c’est aussi parce que c’est de là que vient, j’en suis sûr, que ces abécédaires, ces scratch books, ces calligraphies insolites et malicieuses, ces aquarelles, ces jungles rouges, ces story-boards, ces vanités, ces appartements témoins d’un style et d’une esthétique inlassablement remis sur le métier, ces jeux du réel et de l’illusion, ces scintillements insaisissables, ces allures, ces figures, ne sont pas juste des formes mais, toujours, des formes justes.


 

4 Commentaires

  1. C’est toujours un plaisir de voir Joachim Javad von Ribbentrop ramener sa fraise sur la Riviera. Et puis, pour des enfants de salauds, ça fait espérer en une rédemption post mortem de ce supposé ADN, bien planqué au fond du panier à linge sale de la maison de famille, dont nous éprouvons de plus en plus de difficulté à nous convaincre que nous ne fûmes jamais en mesure d’en évaluer le degré de criminalité car, contrairement à lui, nous n’avions pas traversé une période terrible où le monde entier était sens dessus dessous, une époque si noire qu’elle ne laissait pas d’autre choix à ceux sur lesquels se refermait son bocal que de soutenir un futur vaincu dont, entre nous soit dit, l’on aurait une toute autre image s’il avait triomphé, — sans blague!

    Rappel de foi : Il y a bientôt quatre décades, le Quai d’Orsay était contaminé par le tordu. À cela, même le droit Le Drian ne pourrait rien changer.

    Rappel de loi : Lorsque l’on fait ce qu’il faut pour éviter le pire, il en profite toujours pour se refaire une santé.

    Rappel de droit : Le complice du Boucher de Damas est sorti de son cercle chamanique. Notre devoir, en tant que protecteurs de la Déclaration universelle, de conduire tout bourreau de renommée mondiale, s’il le faut par la peau du cou, devant la CPI ne pourrait-il être rempli sans que cela n’entraîne mécaniquement une violation de notre cher, peut-être un peu trop cher tout bien considéré, principe de souveraineté?

    Clause infectieuse : On n’implore pas le diable à genoux de bien vouloir nous accorder dix ans de privilège supplémentaires avant de partager avec lui l’accès au tout-puissant club des régimes invincibles que personne ne fera plus vaciller, hormis un éventuel soulèvement des élites soutenu par quelques improbables conspirateurs gradés.

  2. Ce n’est pas à moi de dire si l’adhésion de l’électorat judéo-américain à un Parti se revendiquant démocrate bien qu’il soit opposé à toute forme d’exclusion qui viserait celles et ceux de ses élus ayant fourni une caution morale ou un soutien financier au djihadisme panarabo-palestinien, lequel, comme chacun feint de l’ignorer, est seul et unique responsable des échecs répétés des premières aux dernières tentatives de résolution dudit conflit de tous les conflits, est la démonstration de leur déloyauté envers l’État des Juifs. Ce que je puis affirmer en revanche, c’est qu’une telle attitude dénote un mépris consommé pour ce vent libertaire et solaire qui fit rêver plusieurs générations d’amoureux de l’Amérique, ce moment de grâce chaotique et pourtant si éclairant que Peter Fonda aura, hélas, emporté avec lui dans la tombe.

  3. 1. Où en serions-nous si la France de Macron avait traité les couches les plus basses de la classe médiocre de son propre pays comme l’Europe de Merkel voulut se délester d’un berceau POPulistE asphyxié par une dette qui n’était pas la sienne ?
    0,1. Était-ce donner la main au pire que d’expliquer à Éric Trouillefou qu’appeler Maxi-Me à marcher sur l’Élysée le rendrait responsable du recours à une force létale que son acception tonitruante de la démocratie ne parviendrait pas à vider de son fondement juridique ?
    0,01. Mis à part des aveux d’impuissance, que pourrait bien nous épargner le fait de ne plus conditionner la résolution du conflit syrien à l’inculpation de Bachar el-Assad pour crimes de guerre, contre l’humanité, association de malfaiteurs à but terroriste et j’en passe ?
    0,001. Comment justifierais-je mon soutien à la victime d’un acharnement judiciaire dès lors que je ne prendrais pas soin de décoller a priori le crime imprescriptible à partir duquel on aurait pratiqué sur elle une greffe de visage ?
    0,0001. Est-il si incongru qu’un pilpouliste défende l’idée que la démocratie israélienne et la nation juive multiethnique et multiculturelle qui innerve celle-ci soient aussi consubstantielles l’une à l’autre que le sont la France et les individualités irréductibles qui en conçurent l’Union sacrée, en conséquence de quoi un État juif souverain, doté de tous les attributs qui en procèderait, devrait s’imposer comme la tonique d’un accord parfait renversé au concert des nations ?

  4. Lorsque l’intégrité est cadenassée, elle disparaît comme par magie.