Croix gammées sur un portrait de Simone Veil, quenelles devant le Sacré-Cœur, l’arbre planté à la mémoire d’Ilan Halimi retrouvé scié, profanation de tombes du cimetière juif de Quatzenheim, en Alsace, agression de Finkielkraut, insulté, qualifié de «sale sioniste !», prié de rentrer chez lui, à Tel-Aviv, par des nervis se réclamant du vrai peuple…

Et dans la foulée de cette agression subie par le philosophie, polémique lancée par quelques voix tenant à préciser calmement que Finkielkraut n’avait pas été traité de «sale juif» mais de «sale sioniste !».

Nous n’aurions donc pas compris en somme le sens et la portée implicite et explicite des injures proférées. Les deux insultes ne signifieraient pas la même chose, ne donneraient pas à voir la même haine en acte, seraient distinctes, n’auraient rien en commun. Entendez «sale sioniste» ne serait pas porteur du même poids d’ignominie que « sale juif» ; on aurait même le droit de pousser cette gueulante-là qui ne renverrait en aucun cas à l’assignation à un groupe essencialisé. Autrement dit «sale sioniste» serait neutre racialement, de l’ordre, non pas du délit, mais de l’opinion.

La vérité est toute autre : «sale sioniste» prolonge «sale Juif»

La vérité est toute autre : «sale sioniste» prolonge «sale Juif», appartient au même vocabulaire de traque, de stigmatisation, de salissure, charriant la même infamie, la même envie hygiéniste, les mêmes bruits familiers d’un autre temps : «Le juif, voilà le problème !». Et dans ce cas-ci, le problème étant appelé à être résolu, d’une manière ou d’une autre, Finkielkrault a beau être citoyen français, il demeure, au regard de ses agresseurs, un corps étranger, renvoyé à sa supposée généalogie et prié de rentrer «chez lui» en Israël. A Tel-Aviv. Le message est assez limpide.

Tout aussi indécente, la volonté, observée ici et là, de relativiser la gravité de l’agression subie par le philosophe au prétexte que ses positions politiques et sociétales seraient sujettes à controverses, discutables. L’infamie d’un crime serait donc ainsi désormais évaluée à l’aune non pas de la nature de l’acte commis mais en fonction du profil supposé de la victime. Inversion de l’accusation : la victime serait, à cause de ses prises de position, responsable de l’attaque infligée.

Cette honteuse tentative verbeuse de distinction d’injures appartenant à une même lignée idéologique doublée d’une tentative de relativisation, de lavement de la laideur des propos incriminés au nom du profil discuté de la personne agressée, sont à la fois abominables et inquiétantes, car assez révélatrices de la manière dont l’antisémitisme se déploie et se diffuse, la conscience tranquille, au-delà de ses noyaux structurels traditionnels.

La haine change de mesure lorsqu’elle commence à se répandre sans retenue

Car le portrait de l’antisémite de notre temps est tout aussi multicolore, pluriel et varié que les formules en circulation énonçant la haine contre les Juifs. Mais qu’il puise son lexique dans l’antijudaisme chrétien, le rejet populiste du capitalisme, le racialisme, l’idée de race fondée sur la nation ou l’islamisme, qu’il s’inspire des sciences religieuses ou des sciences de la vie, quelque soit son pôle doctrinal, ses justifications théocratiques, identitaires, génétiques ou politiques, ses motifs avoués ou inavouables, l’univers fantasmatique de l’antisémite prend racine dans une vison effroyable du monde désignant le Juif comme l’incarnation du Mal occupé à conspirer dans l’ombre et tirant les ficelles de la marche du monde à son profit.

Que cette monstrueuse croyance fasse son chemin par cercles de pensée et comités d’action, s’empare du pouvoir doctrinal de nommer les choses, fasse main basse sur les termes du débat public, parle, à haute et intelligible voix, le visage à découvert, gagne la bataille des mots et du verbe, impose de plus en plus son langage, contamine l’esprit du jour et il y a lieu de s’inquiéter : car la haine change de mesure, de fait, lorsqu’elle commence à se répandre ainsi sans retenue, menaçant, promettant de renverser la table et de renvoyer chacun chez lui…

La France et l’Europe de l’après-guerre s’étaient pourtant reconstruites pour que cela ne recommence plus.

Un commentaire

  1. Les Gilets Jaunes n’étaient pas antisémites au départ. Ils se contentaient d’exprimer leur colère sociale et leur volonté de ne pas mourir en tant que peuple français. Mais l’intelligentsia juive dominante a commis une erreur tragique. Elle a dénoncés les Gilets Jaunes dès le début, les a insultés, accusés de fascisme, poujadisme, haine, etc. Par conséquent cette intelligentsia a imprudemment mis les Juifs, qu’elle prétend représenter, en porte à faux avec le mouvement populaire. À cause de ça, ce qui est perçu comme le pouvoir juif est apparu comme hostile à une vague de fond venue des masses populaire, et s’opposant aux aspirations populaires. Donc les Gilets Jaunes, effectivement, sont devenus antisémites. Ils auraient pu ne pas le devenir. Cette évolution a été causée par la maladresse de ceux qui ne représentent pas vraiment les Juifs français, mais sont perçus comme tels à cause de leur excessive visibilité médiatique et de leur goût pour la provocation. Ceux-là devront s’interroger sur leur responsabilité dans le retour de l’antisémitisme.