Primo, qu’il soit encore possible de faire des vœux : car ne voit-on pas une foule grandissante de nos contemporains en train de se liguer contre les fomenteurs de vœux, les comploteurs d’espoir, les expérimentateurs d’avenir ? ne sont-ils pas innombrables, soudain, à jouer avec le nihilisme et à sembler prendre en horreur tout futur, tout projet, toute temporalité, toute intensité ?

Secundo, que le XXIe siècle, qui va entrer dans sa 20e année, décide enfin de dire qui il est : le siècle précédent, au même âge, avait déjà traversé le symbolisme, Proust, Joyce, Stravinsky, D’Annunzio, l’aviation, les tranchées, la mort industrielle, la fin du miracle austro-hongrois, la mort-née de la SDN ; nous ? la clé USB ; la dataïsation galopante ; Poutine et les fantômes de l’islamisme radical ; la zone indifférenciée du tourisme mondial ; c’est peu ; c’est piteux.

Tertio, que des événements de sens et d’intelligence surgissent de l’enfer où le technicisme entend les reléguer et montent, comme disait Baudelaire, tels des «soleils rajeunis» ; que des poètes viennent et fassent, à nouveau, rugir les mots ; que des philosophes apparaissent et rouvrent aux aventures humaines des autoroutes et des grands canaux conceptuels ; que recommencent de voguer, sur les océans du possible, des galions chargés d’or philosophal ainsi que des flibustiers qui les attaqueront avec la férocité, la ruse et la secrète clémence propres à l’amour de la pensée.

Quarto, que l’économie, qui n’est rien d’autre, à la fin des fins, que l’organisation des échanges entre les corps, se rappelle qu’elle n’est ni une religion, ni une malédiction ; que les banquiers cessent de prétendre pénétrer le secret de nos désirs et de nos âmes ; que les gilets jaunes cessent de croire que les banquiers sont des diables et des vampires ; que les inventeurs, les vrais, ne reculent ni devant les banquiers ni devant les gilets jaunes ni, surtout, devant leur propre audace singulière.

Quinto, que l’amour revienne dans les rues, sur les places et dans les cafés comme autre chose qu’un contrat à clauses résolutoires et conditions suspensives ; qu’il soit innocent, enfantin, joueur, fou, dangereux, mousseux, rêveur, nuageux, sans limites, sans concession ; qu’il soit heureux de dire « femme » sans risquer la colère de Metoo ; qu’il soit heureux de dire «homme» sans s’entendre hurler Metootoo ; qu’il redevienne clair, au plus grand nombre possible, qu’il y a là une noble entreprise et non la trame d’une conspiration ou le germe d’une tyrannie.

Sexto, que nous regardions avec une circonspection grandissante ce que l’on tente de nous refiler comme des véhicules d’occasion de la vie (le nationalisme, le chauvinisme, le souverainisme) ; que l’on se rappelle qu’il n’y a rien de fait dans l’homme et que l’on n’appartient à un peuple que parce qu’on le veut bien (un peuple n’a-t-il jamais rien été d’autre qu’une fiction tenue ensemble par des locuteurs de même langue ?).

Settimo, que ceux qui aiment les biens et l’industrie parce qu’ils haïssent le reste des humains cèdent à ceux qui fabriquent des biens et fondent des industries parce qu’ils chérissent les humains ; que ceux qui aiment la Terre et sa couche d’ozone parce qu’ils se défient des autres humains soient vaincus par ceux qui défendent la Terre et combattent pour sa couche d’ozone – mais parce que rien, à leurs yeux, ne vaut une vie d’humain.

Ottavo, que devienne pensable un monde où chacun puisse rêver d’une vie à part entière ; que soient parlées des langues où chacun puisse se tenir afin d’y recevoir les signes de la vérité et les abîmes glorieux du doute ; que soit offert un pays natal ou de refuge à tous les offensés de la planète (n’est-ce pas à cela que servent, après tout, le monde, les langues, les nations ?).

Nono, que le Royaume-Uni redevienne la patrie de l’humour et du sang-froid, du chic et du dingue, de William Kent et des jardins à l’anglaise, du courage churchillien et de la modération russellienne : toutes choses qui n’ont jamais cessé d’être siennes – sinon quand il se laisse gagner par les humeurs tristes d’un Farage, les ébouriffages d’un Johnson, les tergiversations d’une May et, aussi, les manœuvres d’un Trump.

Decimo, que l’Italie redevienne la patrie de l’autre chic et de la canzone, de Dante et du Tasse, de Léonard et de Tiepolo, de l’humanisme et de la sublime ruine, du Palazzo branlant et des plus belles églises du monde : toutes choses qui constituent son essence même – sinon quand elle se laisse gagner par les criailleries d’un Salvini et les mauvais souvenirs de Mussolini.

Undecimo, que mon pays, la France, redevienne le pays de la clarté et de la distinction ; de Pascal, le fiévreux géomètre, et de Descartes, le rêveur de raison ; de Molière, l’immense malheureux, et de Baudelaire, le luxueux et pâle gnostique ; de Debussy et Monet crissant comme des poignées de neige ; toutes choses, tous noms, à quoi tient le «génie français» – sinon quand il se laisse rattraper par les vulgarités d’un Mélenchon, les criailleries d’une Le Pen ou, sur les «ronds-points», les concerts furieux du ressentiment, de la haine contre «les élites» et du mensonge conspirationniste.

Duodecimo, que 2019 soit une année de paix ou de bruit ; de réformes ou de révoltes ; d’événements à pas de loup ou de colombe ; de décisions historiques ou sans histoire, précipitées ou suspendues ; tout, vraiment tout, plutôt que ces limbes où, en longues files mornes, la sainte alliance des braillards populistes et des programmeurs silencieux de la Toile nous numérote et, un jour, nous tuera.

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10 Commentaires

  1. Crayonné au maquis : Devoir avoir recours à quelques avocats de l’ombre, fussent-ils incorruptibles, me plonge dans la consternation. Pouvoir m’appuyer sur des alliés indéfectibles qui me pratiquent depuis trop longtemps pour laisser quiconque me prêter des intentions discordant d’avec mon ADN, cela, je le considère comme un cadeau du ciel.

  2. Et parce qu’il faut appeler un chat qui retombe sur ses pattes un chat qui retombe sur ses pattes : « Le beau sourire Freedent dont s’est fendu l’empathe éthique des tapis rougissants au moment même où la yellow star Christophe Dettinger lui décrivait l’attaque au vaporisateur de Zyclon B qu’elle avait essuyée de la part des Einzatsgruppen du Reichführer-SS Kristof Castaner, ce genre d’indignation à géométrie variable contre les génocides qui profitera toujours aux lanceurs de cerfs-volants crématoires, me plonge, je vous l’avoue, dans une perplexité de surface. » À ceux pour qui ce que j’écris serait de l’hébreu, je répondrais qu’avant qu’un chat ne soit retombé sur ses pattes, on pourrait dire qu’il marche sur le dos. Concernant l’attentisme des alliés objectifs du Hamas qui n’ont pas jugé bon d’utiliser la tribune ô combien rayonnante de la 76e cérémonie des Golden Globes pour alerter le monde sur un crime contre l’humanité dont ils ne pouvaient ignorer l’existence puisqu’il leur avait été dénoncé, deux jours plus tôt, sur les réseaux sociaux par le trois fois gazé (sic) du pont Léopold-Sédar-Senghor, ce qui m’indigne, ce n’est évidemment pas l’idée qu’ils sous-estiment la réalité d’un génocide qui n’a jamais eu lieu, mais le fait pour le moins préoccupant qu’ils en attribuent un à un État juif que l’on sait confronté, non pas à une crise forcément surmontable en démocratie pluraliste, mais à une guerre de mille ans impliquant plusieurs empires en phase de restauration.

  3. PS (bis) : À ceux qui se seraient imaginés qu’écrire « Là, Valls éraflé » induit le fait que je cautionne l’établissement d’un parallèle que je dénonce entre Valls et Laval, je confirme que nous n’avons pas la même façon de penser. Si besoin est d’une justification de ma part, je n’en ai pas d’autre.

  4. Les héros potentiels des guerres désamorcées se virent voler leurs instants de gloire fondateurs. Victime d’un éboulement de la personnalité, rien d’étonnant à ce qu’un double champion de France des lourds-légers se rappelle au bon souvenir d’une Ex qui, quand elle l’aperçoit au bras de son champion du monde, change de trottoir. Il aura attendu dix ans qu’une manipulation événementielle consente à le faire tourner à plein régime et non plus en bourrique, dans un domaine où il avait atteint, de surcroît, l’excellence. Comme on pouvait s’y attendre, le mal fut fait en lieu et place du bien. Or ce n’est pas par un contorsionnisme pseudo-nietzschéen que l’on prévient les causes d’une lombalgie identitaire entraînant une permutation entre forces de l’ordre républicain et irrésistance nihiliste. La lutte des classes s’arrête aux portes des wagons à bestiaux en partance pour Auschwitz. Il n’y a pas de corrélation entre le statut de victime et l’état d’innocence. Et s’il est indéniable que les électeurs d’Adolf Hitler n’avaient pas été épargnés par le krach de leur humiliateur, leur choix mortifère ne les exonèrera pas a priori de la part de culpabilité qui leur échoira. Comme nous avons pu le toucher de la langue, le front caucasien du chêne de La Fontaine échoue à soulever le couvercle bas et lourd du poète. Est-ce une raison pour nous tordre de rire à son déracinement ? Aidons-le plutôt à se transplanter tel un cœur invincible répare un corps malade. Mes amis, je propose que nous suivions l’exemple de gaieté irénique et de persévérance contemplative de Johannes Brahms qui, entre autres hauts faits indiscutables, fut statufié en rival esthétique de Richard Wagner par les bouffons du génie antijuif. Que notre inspiration n’ait pas l’inconséquence d’« un simple roseau agité par le vent » !

  5. Enfin, pour ceux qui m’accuseraient de m’enfoncer dans les sables isolationnistes du Mont-Saint-Michel Onfray : Quand je soutiens mordicus qu’un conspirationniste, qu’il sorte du trou du cul du globe ou des meilleures écoles du crime de Téhéran ou Rio de Janeiro, mérite qu’on lui donne les moyens d’acquérir une véritable indépendance intellectuelle, la liberté de croire ou de penser étant un objet de conquête qui, au cœur d’un système économique mondial, revêt fatalement une dimension financière, son exigence appelle aujourd’hui à une grande réforme libérale très éloignée de la chasse aux sorcières mondialistes. Le fils naturel d’Emmanuel Levinas et de Raymond Aron qu’est Bernard-Henri Lévy a toujours mis sa bonne fortune au service du droit des peuples à se libérer du joug des dernières ou prochaines dictatures de ce monde pour partie libéré. Rassemblons nos forces ; la route est encore longue.

  6. À mon admirateur fantôme qui, profitant de la curée, clame qu’il m’a détrôné : « Qu’attendez-vous, Monsieur, pour aller remettre en main propre vos lettres de démission ? » Et puis, Gidon Kremer au titulaire d’un prix international qui avait débarqué à l’une de ses master classes comme sur la scène de la grande salle de concert du Conservatoire Tchaïkovski : « Je vous conseille de travailler les gammes pendant trois ans. Après seulement, vous pourrez peut-être commencer les études. »

  7. 2019 : 2019ème annėe de l’ère chrėtienne et 19ème année du XXIe siècle ! Un dėtail certes , mais n’oubliez pas que 2000 ėtait la dernière année du XXe . Soyons prėcis !

  8. tout simplement non aux prêcheurs de haine qui brandissent tels des matadors face au taureau le linceul du chaos rougi et un peu de rêve serait merveilleux

  9. « sur les «ronds-points», les concerts furieux du ressentiment, de la haine contre «les élites» et du mensonge conspirationniste. »
    NON ! il s’agit là plutôt d’un marqueur du capitalisme barbare.