Ça n’est pas pour l’exercice «disproportionné» de la force face à ses ennemis, fût-ce récemment à Gaza ou contre la jeune terroriste Ahed Tamimi (l’époque a les icônes qu’elle mérite), qu’Israël aujourd’hui m’inquiète. Ceux qui ont grandi dans un quartier difficile vous le diront : la force y est une nécessité. Depuis soixante-dix ans, cet Etat vit entouré d’adversaires qui n’estiment rien d’autre qu’elle – et ne désirent en outre que sa destruction. Je le dis donc aussi nettement que possible : ma critique est dure, mais elle n’est pas destinée à contenter ceux qui ne savent aimer les Juifs que débonnaires ou persécutés. Ceux-là, qu’ils passent leur chemin.
Je ne m’adresse pas non plus à ces mains pures – ces manchots plutôt – qui pensent que, parce que des Palestiniens durent en effet quitter leurs quartiers ou leurs villages en 1948, l’Etat du peuple juif ne serait pas légitime. D’une part ces bonnes âmes ignorent qu’il n’y avait pas, qu’il n’y avait jamais eu d’Etat palestinien, d’autre part elles oublient que la ruine, le sang même, font aussi l’histoire. En d’autres termes, c’est le sens du tragique qui leur manque – et qui, étrangement, manque assez souvent à la gauche contemporaine.
Notons que, d’ordinaire, même aujourd’hui, on est rarement si candide : subitement croyants, les voilà qui voudraient voir l’histoire juive, elle, se soustraire à l’éternel polémos, auquel celle d’aucune nation ni d’aucune classe ne devrait pourtant échapper. Ceux-là qui justifient encore les horreurs commises jadis, au nom de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes, par le FLN ou les Mau-Mau du Kenya, déplorent l’exode palestinien dans les termes les plus dramatiques.
En somme, je ne m’adresse qu’à ceux pour lesquels il n’est pas de doute sur ces deux points : d’abord, le sionisme fut un moment essentiel et nécessaire de l’histoire du peuple juif et du monde ; ensuite, l’Etat d’Israël, comme tout Etat, a le droit, le devoir à la vérité, de se défendre face à la barbarie.
Cela étant dit, Israël va mal.
Par où commencer ? Peut-être par ses dirigeants. Au pouvoir depuis presque dix ans, un personnage sans scrupules a su utiliser les ressources d’un système électoral ultra-démocratique pour le subvertir progressivement.
Trop consciente que les passions du peuple pouvaient le perdre, Athènes, on s’en souvient, ostracisait ceux dont elle craignait les velléités tyranniques, et tempérait la bigarrure des discussions par la stabilité d’institutions vénérables : la démocratie, à tout moment, peut basculer et se changer en son contraire. Et c’est le plus souvent le suffrage universel lui-même – ou l’un de ses équivalents – qui est l’instrument de ce changement. Voilà pourquoi le «pouvoir du peuple» ne suffit pas à la caractériser, voilà pourquoi, aussi, les philosophes antiques se méfiaient de ce régime auxquels ils trouvaient trop d’accointances avec la tyrannie. Voyez la Turquie d’Erdogan, voyez les Etats-Unis de Trump : c’est le peuple lui-même qui veut confier son destin et sa liberté aux instincts d’un homme et de sa clique. Qui est prêt à nuire à son propre intérêt et, pis, à réprimer, en son sein, la voix discordante de la minorité.
Concernant Israël, on pourra d’ailleurs minimiser la gravité de la situation en invoquant tous ces cas de démocraties à deux doigts de basculer dans le populisme, cette caricature de démocratie, ou qui l’ont déjà fait. En effet, il semble qu’on ait affaire à une tendance lourde, tendance qu’illustre à merveille le chef de «la plus grande démocratie du monde». Seulement, cela n’a rien de franchement rassurant, et le fait qu’Israël soit dirigé par un homme préférant serrer la main du populiste antisémite Orban que d’honorer la mémoire de Mandela, ne fait que craindre le pire pour cet Etat : ce faisant, ne s’aligne-t-il pas précisément sur les régimes où la foule a remplacé le peuple, où les pulsions d’un homme peuvent prendre le pas, avec l’accord des masses, sur le respect des institutions ou du savoir-vivre le plus élémentaire ?
Les sophistes, israéliens notamment, disent que c’est là la démocratie même : la loi du nombre, la politique des instincts. C’en est, j’y insiste, l’antithèse, en son sens le plus dialectique : je veux dire que c’est de la démocratie même qu’elle surgit, mais pour l’abolir à terme.
Adoptée le 19 juillet par la Knesset, la loi sur l’Etat-nation du peuple juif reprend en en trahissant le sens, les termes de la Déclaration d’Indépendance. «Israël est l’Etat-nation du peuple juif dans lequel il réalise son droit naturel, culturel, historique et religieux à l’autodétermination.» L’égalité des citoyens, à laquelle appelait le texte de 1948, n’est plus garantie. L’arabe perd son statut de langue officielle, statut qui se justifie pourtant amplement et par l’ancienneté de sa présence sur ce territoire, et par l’importante proportion d’habitants qui le parlent – surtout si l’on inclut les territoires cisjordaniens de Judée et de Samarie. La judaïsation de ces dernières terres est d’ailleurs élevée au rang de «valeur nationale». La pérennité du caractère juif de l’Etat à celui d’unique fin politique. Les Druzes et les Bédouins, fidèles soutiens du projet sioniste, eux-mêmes arabes ou arabophones, sont humiliés : plusieurs officiers druzes en ont pris leur parti, démissionnant de l’armée à laquelle ils avaient tout donné ; l’un des chefs de cette communauté n’a pas hésité à parler d’apartheid. Quant aux citoyens juifs, chose inouïe en démocratie, ils se voient du même coup imposer d’en haut et à tout jamais leur identité. En fait, c’est aussi, plus gravement peut-être, un non-sens identitaire : on n’impose pas artificiellement son être à un peuple.
Le peuple juif – contrairement au peuple français ou américain mais un peu comme le peuple russe ou le peuple japonais –, se définit en termes ethniques et religieux : cela peut sembler étrange ici mais n’a, en soi, rien de choquant. En termes «culturels», dit-on parfois pudiquement, mais creusez un peu, et vous verrez que soit ce mot ne veut rien dire, soit il n’a absolument aucun sens politique. Dans ces conditions, une telle loi, dans un tel Etat – dont près d’un quart de la population n’est précisément pas juif – est tout simplement raciste. Et il est de la responsabilité, non seulement des Israéliens, mais encore, partout dans le monde, des Juifs, et surtout de ceux qui défendent les valeurs de la démocratie libérale et pluraliste, de le dire hautement.
Heureusement, des protestations parfois véhémentes se sont fait entendre, et pas seulement à gauche ou chez les députés arabes. Tsipi Livni par exemple, issue de la droite quoiqu’aujourd’hui centriste. Yaïr Lapid, centriste également, qui n’a pas hésité à citer les propres mots de Jabotinsky, père spirituel de la droite sioniste, pour dénoncer le traitement réservé à la langue arabe.
Le président Rivlin a lui-même signifié son hostilité au texte. Rivlin est un conservateur à l’ancienne. Fils du premier traducteur en hébreu du Coran et des Contes des Mille et Une Nuits, il a grandi dans la Jérusalem multiculturelle de David Shahar et d’Amos Oz (dont la famille, intellectuelle et résolument conservatrice, était justement proche de la sienne). Il est aussi hostile, rappelons-le, à la création d’un Etat palestinien parce qu’il diviserait, juge-t-il, le territoire historique d’Israël, mais il s’est corollairement toujours dit favorable à l’égalité de tous les citoyens de l’Etat aujourd’hui existant – y compris, donc, des habitants arabes de Judée, de Samarie et de Jérusalem. Certains affirment qu’au fond sa vision est celle de l’Etat binational, si chère à l’extrême-gauche post-sioniste. Quoi qu’il en soit, il se murmure qu’il signera la loi comme son statut semble le lui imposer, mais, ultime pied de nez au nationalisme agressif de son Premier Ministre, en caractères arabes.
La prochaine étape, les députés nationalistes n’en font pas mystère, sera la mise au pas d’une Cour Suprême régulièrement accusée de «gauchisme». L’idée, débattue ces derniers mois, est de pouvoir faire passer une loi à la Knesset, eût-elle été préalablement jugée discriminatoire et anticonstitutionnelle par la Cour. Sachant que lors de l’affaire Azaria, Netanyahou proclamait à une foule lyncheuse qu’il partageait ses valeurs contre celles de la plus haute instance légale du pays – et, accessoirement, de l’armée elle-même – cette tentative n’aurait rien de surprenant. Seulement, je le dis au risque de me répéter, il n’est de démocratie qui vaille sans le garde-fou d’institutions dont le pouvoir n’émane pas de l’élection. L’argument sophistique selon lequel le peuple seul doit décider ne peut que préparer le terrain aux pogroms et aux lynchages.
Plus que jamais, il faut lire l’admirable Route d’Ein Harod, d’Amos Kenan : ce roman paru pendant la première guerre du Liban imaginait l’instauration d’une dictature militaire, où, croyant lutter contre les fantômes de l’antisémitisme, un général fou plonge son pays dans le sang et l’aliénation. Comme toute dystopie, La route d’Ein Harod délire. Mais dit en même temps l’une des potentialités du vrai. Plus récemment, la scène littéraire israélienne a vu la parution d’une autre dystopie, religieuse cette fois : Le troisième temple, de Yishaï Sarid. J’ai évoqué ailleurs ce livre prodigieux. Là encore, imaginant une monarchie théocratique substituée au régime actuel, le Temple reconstruit avec son service quotidien de sacrifices sanglants restauré, le génocide de la population «amalécite», la peine de mort biblique rétablie et la persécution des opposants systématisée, Sarid délire. Mais ce délire est sacré. Loin d’ailleurs d’exprimer une vision manichéenne, il nous fait plonger au cœur de l’abîme religieux, dans la conscience même du croyant qui, bien sûr, ne pense pas à mal. Qui persiste à s’interroger, à douter. Et pour une part, ce livre vaut parce qu’il s’emploie à désigner un autre danger, celui de l’hégémonie orthodoxe.
Israël n’est pas une théocratie : le «clergé» juif n’y gouverne pas. Mais le Rabbinat cherche par tous les moyens à y imposer sa loi. De plus en plus de voix s’élèvent contre cette domination, y compris du sein même de la population orthodoxe ou traditionaliste. Des voix protestant contre la suprématie d’une certaine vision de la Halakha, de la loi juive, à laquelle tous, orthodoxes ou non, sont de facto soumis : dans un pays où n’existe pas de mariage civil, c’est bien, en dernier recours, cette vision-là que la plupart des citoyens juifs acceptent au moins pour gérer leur statut matrimonial et celui de leurs enfants. Et, le cas échéant, leurs divorces – ce qui, lorsqu’on sait le peu de réciprocité de cet acte et du mariage même dans le système rabbinique, a de quoi faire frémir.
Pis, ces gens réclament un pouvoir de plus en plus grand, usant eux aussi, quand cela leur est possible, du sophisme du nombre et des possibilités laissées par le système électoral. A terme, la démographie aidant, le risque que le pluralisme aujourd’hui en vigueur laisse place à un régime «halakhique» existe. Et dès à présent, on s’emploie à faire taire les trublions : il y a quelques jours, un rabbin massorti – appartenant à un courant plus libéral du judaïsme et, soit dit par parenthèse, au courant aujourd’hui majoritaire aux Etats-Unis – a été tout simplement arrêté à la demande du Rabbinat officiel pour avoir prétendu célébrer des mariages sans son assentiment. On peut bien sûr comprendre que de tels mariages soient problématiques, mais, dans la mesure où il n’existe pas de mariage civil – ce qui arrange évidemment l’orthodoxie –, ne doit-on pas en même temps approuver ceux qui décident d’échapper ainsi à son contrôle ?
Kenan et Sarid semblent avoir rêvé deux cauchemars irréconciliables. En vérité, pas nécessairement. Netanyahou n’a pas hésité à nommer Ministre de la Santé Yaakov Litsman : cet homme, membre de la secte hassidique de Gur qui, entre autres choses, interdit à ses adeptes d’embrasser leur femme et de l’appeler par son prénom par peur de la «promiscuité», prohibe explicitement les préliminaires sexuels et plus de deux rapports par mois, est l’un des visages du pouvoir grandissant que l’ultra-orthodoxie, naguère antisioniste, parvient à acquérir grâce à la lâcheté de certains laïcs. Il n’est pas mauvais de rappeler le suicide, il y a quelques années, d’une femme issue de sa secte (qui compterait près de treize mille familles en Israël), et qui avait difficilement tenté de s’en extraire. D’autre part, qu’un ministère régalien soit confié à un homme tel qu’Aryé Deri, issu, lui, de l’ultra-orthodoxie sépharade et connu notamment pour ses déclarations homophobes et son respect tout relatif du pluralisme, serait tout simplement inimaginable partout ailleurs.
Tout cela se dessine du reste sur le fond d’une emprise croissante des obscurantistes sur la société même, sur la ville, sur les corps, sur cette voix des femmes que, pour plaire à leur dégoûtant puritanisme, on fait parfois taire désormais lors des cérémonies ou dans les vidéos officielles.
Certains de mes amis israéliens témoignent d’un optimisme inébranlable. La situation atroce de la région et la montée du populisme en Occident les aident sans doute à «relativiser». D’autres, plus nombreux, me parlent depuis plusieurs mois de l’atmosphère irrespirable de ce pays qu’ils ont pourtant tellement aimé, de la difficulté qu’ils y ont à exprimer des opinions divergentes ou critiques.
Je ne sais pour ma part ce qu’il en est. L’élite israélienne est forte. Ses savants, ses artistes, ses écrivains veillent, à leur manière. Son âme juive respire encore, en dépit aussi bien des idoles matérialistes et nationalistes que des idoles religieuses : quand on sait l’histoire de ce peuple et la haute valeur que son éthique ancestrale voue à la dignité humaine, c’est beaucoup.
Mais les forces de l’abîme se sont réveillées, et de les ignorer ne pourrait que précipiter la ruine morale d’un pays au destin duquel nous, Juifs de la Diaspora, sommes irrémédiablement attachés.
Les Juifs ne permettront pas que le drapeau du panarabisme soit hissé dans les jardins du Beit HaNassi. L’État des Juifs sera juif de son état. Il ne succombera pas à la tentation de laisser les mains libres aux précipitateurs du chaos pan-nationaliste propre aux empires théocratiques, de peur qu’on ne le tienne responsable de l’ire fatalitaire. Les fossoyeurs de la responsabilité individuelle vont se lover dans le giron des idéologies fatalistes, accroissant de facto le risque d’un naufrage collectif. Retirons-leur la soupe de terreur légitime qu’on leur a stupidement servie. Désespérons-les tant qu’il en est encore temps.
La binationalité présuppose deux nations souveraines et, par voie de conséquence, deux États pour deux peuples fusionnables sous le prisme d’un double ressortissant ayant décidé de vivre sa vie à cheval entre les deux. Ce que les Kurdes, par exemple, mériteraient d’obtenir des nations si notre parodique Union ne les trahissait pas en vue de préserver un status quo n’ayant jamais rimé avec l’état de paix universelle, que seul garantira le raffinage des énergies inépuisables que nous irons puiser dans un internationalisme un peu moins fainéant, autrement dit, ne feignant pas d’être antitotalitaire. Suis-je rassuré à l’idée que l’ère Trump ne détienne ni le temps ni l’autorité ni l’intelligence de laisser les fondements géopolitiques du système yaltaïste se vermouler sous nos yeux, sachant qu’il n’est jamais possible d’inverser un rapport de force sur la base d’une politique de la gonflette? Pour tout vous dire, l’Amérique d’aujourd’hui me laisse aussi perplexe que celle d’hier en matière, sinon d’avancées, du moins de maintien des fondamentaux du droit des hommes à repousser la barbarie hors des champs de civilisation. Aussi, je ne miserais pas mes poches crevées sur la mort annoncée d’un drôle d’épouvantail, mais bien dans une refondation tangible de la diplomatie mondiale.
Lorsqu’il y a deux nationalités et qu’une seule profite de l’État, ce n’est pas injuste, c’est juste qu’il n’y a pas d’État.
Crève-abcès : Quand les récepteurs de la Tora relatent les événements concernant les fils d’Agar et de Sarah, les Arabes n’ont pas encore eu vent de l’hérésie monothéiste. Le bannissement d’Ishma’él ne saurait en aucun cas être taxé d’islamophobie, ni davantage d’ailleurs d’arabophobie, d’autant que l’aîné du premier patriarche dont il est dit qu’au soir de sa vie, il se réconcilia avec sa tribu natale, n’aura pas fait subir à ses propres enfants ce qu’on lui avait fait endurer dès lors que les épreuves qu’il avait surmontées allaient lui permettre d’acquérir une infinie sagesse, ne pouvant se mesurer qu’à sa puissance de transmission. Il est incohérent de chercher l’ADN d’Ishma’él à des années-lumière du Klal Israël. Que les musulmans soient donc, une fois pour toutes, rassurés sur l’honneur des ancêtres du prophète Muhammad! Pas d’humiliation en vue de la part d’Israël.
Perle de condensation : Le père de Ia‘acob est, bien évidemment, le fils cadet d’Abrahâm, progéniture ô combien unique de la dénégatrice au rire ravalé.
Le plus drôle dans cette affaire, c’est que je passe pour un fieffé nationaliste, moi qui ai l’outrecuidance de traiter la question juive en iconoclaste. Car enfin, que suis-je en train d’envisager sinon la possibilité de désigner comme juif un chrétien ou un musulman, voire un Étrusque ou un Madianite. Je nous demande, histoire d’achever le concept amoureusement s’entend, ce que Marx ou Badiou n’auraient jamais osé nous suggérer : concevoir que lorsqu’un Israélien se définit comme juif, je dis bien lorsqu’il nous dit qu’il est un Juif, l’individu puisse être non seulement l’adepte d’une religion non juive, mais en outre provenir de n’importe quel ethnos noachide. Quoi donc? On feindrait d’en être alors qu’on n’en serait pas? Jusqu’à présent, les malotrus qui agissaient de la sorte le faisaient en vue d’infiltrer un groupe homogène avec un plan peu amical en poche… le type d’usurpation grâce auquel les agents du Mossad ont pénétré les plus hautes sphères des régimes ayant planifié l’anéantissement du rêve de Theodor! D’accord, mais pour être honnêtes, le fait que nous tiquions à l’idée qu’un Israélien d’origine basque ou darfouri se définisse comme un citoyen juif, dénote une conception de la judéité qui, pour le coup, est nettement essentialiste. Comment justifier une telle différence d’appréhension vis-à-vis des parcours similaires d’un Français d’origine ibérique et d’un Israélien d’origine anatolienne, dès lors que l’un broute l’herbe d’une république prolongeant l’histoire renouvelable et néanmoins indélébile du royaume des Francs, tandis que l’autre épluche l’orange d’une démocratie ayant surgi des ruines du royaume saupoudré de cendres de Iehouda? À moins que ce qui nous chiffonne, ce ne soit l’idée qu’un Israélien arabo-musulman soit amené à représenter le peuple juif après qu’il se fut illustré par des actions foncièrement antijuives et sournoisement sionistes… Un Juif de cette nature agirait, en effet, tel un virus mortel, tant sur l’étant que sur l’existant juif. Israël est censé assurer la transmission d’un esprit plus que celle d’un corps; charriant des monuments de pensée inviolables; déliant les langues-projecteurs qui en labourent le roulis de Tora; son histoire fleuve demeure le déversoir universel par excellence quand même son patrimoine remonterait jalousement à la conquête de Kena’an par les trois ordres et douze tribus issues du troisième patriarche. Je m’étonne à ce titre que l’ancêtre adoptif des musulmans accepte si facilement que les centaines de millions d’hommes nés de sa greffe génésiaque préfèrent être rangés sous la bannière de Ia‘acob plutôt que celle de Iehouda, sauf à ce que le vieux fils de la servante de Sarah fût atteint d’un éclair de modestie profitant au puîné de l’épouse légitime de son père. Si vous voulez savoir, je me moque bien que l’État des Juifs soit proclamé État juif ou simplement État israélien. Ce qui m’importe au fond, c’est que nous cessions d’être si inconséquents dans notre acception d’un État hébreu qui, s’il n’a rien d’impropre, n’en est pas moins imprécis et par là même incomplet, se prêtant, de surcroît, à une variété de modes de spoliation confinant au nihilisme.
Moi j’ai l’impression qu’Israël – en collaboration avec les Etats Unis – se positionne en ce moment par cette loi nationaliste comme par l’ambassade américaine à Jérusalem avant le dévoilement du plan de Trump pour la paix avec les palestiniens. Pour une fois, on montre de la détermination sans trop se soucier des protestes arabes quand même automatiques. Moi je trouve que Netanyahou est un navigateur plutôt habile dans des conditions à peu près impossibles, comme votre article les décrit. Ce que Bibi et Trump ont obtenu jusqu’ici avec leur politique, c’est que les pays arabes les plus influents ont commencé à collaborer avec Israël et ont forcé le Quatar d’arrêter le financement du terrorisme. En vue de ces développements incroyablement positives pour les négociations et une paix futures, on doit vraiment être restrictive avec la critique de manoeuvres israëliennes individuelles… Et à propos de la démocratie, je me dis toujours que tant qu’Israël tolère la publication de Ha’aretz qui est lu par toutes les rédactions de l’Europe de l’Ouest et en particulier la Suède (où j’habite) pour pouvoir accuser Israël de tous les maux du Moyen Orient, la démocratie d’Israël « is alive and kicking »! – Shalom
Non, David Isaac. La nature de l’identité juive n’est pas ethnique et religieuse contrairement à d’autres identités nationales comme celle de la France qui, gallicanisme mis à part, garantirait à tous ses citoyens une neutralité de mise en territoire localisable de la République. Bien sûr, les Judéens, autrement dit, les Benéi Israël, continuent de représenter dans l’imaginaire collectif ce peuple élu distancié des nations de par le rôle qui lui fut dévolu en vue du salut universel. Mais de l’eau a coulé sous les ponts depuis la destruction du Second Temple. Et si les bouddhistes Allen Ginsberg et Leonard Cohen ou les chrétiens Max Jacob et Bob Dylan n’ont jamais empêché les coreligionnaires de leurs ancêtres de les déposséder de leur judéité, c’est pour la seule raison qu’on ne prend la peine d’interdire que ce qu’il est possible de réaliser. Il se peut que dans l’esprit d’un bon nombre de partisans de la loi sur l’État- nation votée par la Knesset, l’enfreinte des mitsvot toraniques mérite une peine de bannissement, ce qui, improprement, paraîtrait bien barbare à des amoureux des droits de l’homme tels que nous. Faut-il pour autant nous priver d’une loi qui donne aux Juifs du XXIe siècle l’occasion de rejoindre le concert des nations quand on sait à quel point ces dernières continuent de leur tenir grief de s’être attribués un statut d’exception? La vérité nous étrangle, mais ce qui est aujourd’hui reproché à Israël concerne ceux-là mêmes qui se disent visés par des lois raciales dignes des pires dictatures passées et présentes. C’est l’État juif, je dis bien l’État juif, dont les citoyens israéliens qui ne pratiquent pas le culte de IHVH cherchent à empêcher l’avènement par tous les moyens possibles et imaginables, la victimisation en fer de lance. Israël ne menace pas ses citoyens chrétiens ou musulmans d’un statut de dhimmî, pas davantage qu’il n’impose à ses citoyens athées de retrouver le droit chemin sous peine de déchéance de nationalité. À l’inverse, les victimes de cette loi qui, somme toute, clame le droit à l’indifférence d’Israël au sein de la communauté internationale, sont majoritairement sous l’emprise d’une idéologie ayant pour fondement un projet d’islamisation, au bas mot régionale. L’État-nation d’un peuple juif souverain préserverait non seulement la nation de Ia‘acob, mais encore assurerait de sa protection les Arabo-Juifs qui accepteraient de se placer sous son aile. Ce que certains qualifieront de danger imminent.
Je suis globalement d’accord avec vous sur votre analyse de cette loi votée par la knesset cependant je trouve honteux et tres choquant de traiter cette jeune adolescente palestinienne de terroriste parce qu’elle a giflé et insulté un soldat colonisateur alors le vrai terrorisme tue et TERRORISE des milliers de pauvres et pacifistes gens par tout dans le monde en les touchant dans leurs propres chairs.
Ahrame
Qualifier Ahed Tamim de « terroriste » est totalement abject
J’en conviens doctement, ma conception de la charité n’est pas très catholique. Et je vous surprendrai peut-être en vous avouant qu’il m’arrive de penser aux profanations d’Omri avec une infinie tendresse. Qu’entre une solution onusienne qui permettrait aux Gardiens de la révolution de déployer leurs batteries de missiles au sud de la Palestine et un État binational dont le procès démocratique substituerait au seul État juif de la planète un État hébreu d’Ishma‘él rétrogradable en terre d’islam, il vaudrait sans doute mieux opter, toute honte bue, pour une paix déshonorante. Mais au bout d’un moment, quelque bruit de bottes m’arrache à mon sommeil paradoxal. On m’interroge sur les raisons qui poussent les partisans les plus acharnés d’un État palestinien à défiler dans le bureau de Reuven pour bien marquer la différence entre le boycott de Benyamin et une posture antisioniste de moins en moins soutenable. À cela, je réponds que je ne mettrais pas la bague au doigt à un allié qui recourrait contre moi aux méthodes invasives du FSB. Saoud est un roi d’Espagne. Dès que ses amis juifs l’auront aidé à bouter les chî’ites hors d’une Oumma fondamentaliste prise au piège du berceau, il traitera Jérusalem-Ouest en Torquemada stalinien, oubliant que la Mecque du Grand Israël est aujourd’hui une capitale à part entière, et qu’en ce genre de Lieu, on est porté à questionner ses propres actes, à savoir qu’entre deux alternances et une consécution, on s’abonne vite aux levers de rideau.