«Cette année» a déclaré le dimanche 4 mars Jimmy Kimmel qui, pour la seconde fois présentait la cérémonie des Oscars, «nous nous en souviendrons à jamais comme de celle où les hommes ont tellement merdé que les femmes se sont mises à sortir avec des poissons.» A son corps défendant, la grande famille du self-righteous Hollywood a bien dû comprendre que quelque chose clochait, et que l’injuste célébration du film plutôt prévisible qu’étrange de Guillermo del Toro – et surtout si lourdement allégorique – n’arrangerait pas la situation. Men screwed up so badly : que ce soit conscient ou non, Kimmel a d’ailleurs choisi un verbe sexuellement connoté, tout se passant comme si l’acte même de «baiser» (c’est, sans la postposition, le sens de to screw) était ce qu’on reprochait à ces abominables mâles blancs.

La forme de l’eau a remporté l’Oscar du Meilleur Film, ainsi que trois autres récompenses – quatre prix en tout, sur treize nominations – dont celle attribuée au «meilleur réalisateur». Get out a finalement été plutôt boudé qu’autre chose, n’obtenant que l’Oscar du Meilleur Scénario Original, tandis que d’autres œuvres, je songe à Phantom Thread, le dernier film de Paul Thomas Anderson, étaient inexplicablement ignorées – comme l’avait été Silence l’an passé, la fresque sublime de Martin Scorsese. On a donc en somme préféré, metoo oblige, au racisme antiraciste de Jordan Peele, l’ode à l’asexualité de Del Toro.

Inspiré à la fois de La Belle et la Bête et de La Petite Sirène (mais on cite également, source directe des effets visuels, L’Etrange créature du lac noir, de la série des Universal Monsters, voire La Tempête de Shakespeare, avec le personnage de Caliban), La forme de l’eau raconte, dans l’Amérique de Kennedy, l’amour d’une femme handicapée pour un timide homme-poisson ; il est certainement voulu qu’autour de ce couple fantastique, les seuls Blancs qui ne soient pas «méchants», soient ou homosexuels, ou apparemment dépourvus de tout désir. Nous sommes hélas déjà habitués au renversement sans nuance de principes «moraux» surannés ou franchement ignobles, comme ceux qui fondèrent la ségrégation raciale, ou la classique haine homophobe : plus surprenant est le retour, au nom de la subversion, à la pure et simple condamnation du sexe, à une espèce de pruderie augustinienne assaisonnée de libéralisme.

Il y a d’évidentes beautés à ce film, ses décors par exemple, récompensés à juste titre, sa photographie, son univers visuel qui mêle les influences de Tim Burton, de Jean-Pierre Jeunet, de Woody Allen (La Rose pourpre du Caire), ou encore de la série Mad Men et de l’antique Twilight Zone. Et puis tout de même certains aspects de son scénario, faible dans ses articulations, psychologiquement pauvre, mais construit sur une idée si riche de promesses.

Le problème est que je ne parviens pas à aimer une histoire où les méchants le sont à ce point, où les gentils ont des écailles et des branchies, ou bien, s’ils sont humains, doivent cocher toutes les cases de la nouvelle acceptabilité libérale. Où la violence est systématiquement désignée comme mauvaise, contraire à l’amour mais aussi à l’art, où elle est le propre des «privilégiés», ce qui est à l’évidence ne rien comprendre à l’horreur du handicap ou de la misère : l’héroïne, muette, est frappée d’infirmité, le héros l’est aussi à sa manière puisque c’est un monstre et qu’il ne peut s’exprimer dans notre langage – fort bien mais voyez-vous, j’aurais aimé qu’un peu de chair, un peu de sang me les rendent pleinement humains, qu’un peu de cette violence coextensive à l’état de souffrance comme à la force créatrice, j’y reviendrai, me soit visible.

Tod Browning est aujourd’hui décrié pour avoir montré dans Freaks, sans scrupule ni fausse pudeur, des «bêtes de foire», des monstres humains. C’était en 1932 et si les êtres qu’il a filmés hantent la mémoire de tous ceux qui ont vu son affreux chef-d’œuvre, ça n’est pas pour leur laideur, mais bien pour leur puissante humanité, pour leur amour, pour leur haine aussi, l’un n’allant pas sans l’autre : Del Toro ignore apparemment cela, voilà un homme, croyez-moi, dont vous n’aurez pas la haine. Au moment où il entre en scène, son poisson humain est bien un peu agressif mais on comprend vite qu’il ne faisait que réagir à l’oppression dont il était victime et, une fois humanisé, il sera bon de bout en bout, bon et pacifique, débonnaire même. Après tout, c’est vrai, les poissons sont généralement gentils.

Scène du film «La belle et la bête» de Jean Cocteau.
Scène du film «La belle et la bête» de Jean Cocteau.

La Belle et la Bête, ai-je dit, et je songe à la fois au monument de Jean Cocteau et au dessin animé des studios Disney – celui-ci étant d’ailleurs plus proche de l’univers de Cocteau et Alekan que de la sobriété du conte de Madame Leprince de Beaumont. La Belle et la Bête, oui, mais avec une bête au sang froid de carpe et qui ne saurait donc dire comme Jean Marais : «Belle, fermez votre porte ! Votre regard me brûle. » Le conte originel connaît un nombre immense de versions : c’est le cycle du fiancé-animal, où une jeune femme apprend à surmonter le dégoût que lui inspire la sexualité. Bruno Bettelheim a montré dans Psychanalyse des contes de fées que la Belle transfère en fait progressivement son attachement œdipien, de son père au prince qui finit par s’adoucir et se dépasser pour devenir un vrai «prince charmant». Quand, revenue auprès du premier, l’héroïne comprend combien elle aime le second, c’est que ses liens filiaux se sont relâchés : la fille est devenue femme. Détachée de sa matrice incestueuse, libérée des forces régressives qui l’assujettissaient, la vie sexuelle n’a plus de quoi susciter effroi ou répulsion.

Il quittera son père et sa mère, s’unira à sa femme et ils ne seront plus qu’une seule chair, dit la Bible : le conte serait là pour nous apprendre à réussir cette tâche si peu simple. De son côté, le prince ensorcelé (à cause de la faute de ses propres parents) apprend à contrôler ses pulsions et, dans la version de Cocteau à tout le moins, la peur qu’en retour le sexe féminin immaculé ou supposé tel lui inspire. C’est donc l’histoire d’un apprentissage à deux, d’une initiation à l’amour. «Cela ne vous répugne pas de me donner à boire ?» demande la pauvre bête après que Belle lui a offert de l’eau dans le creux de sa main. «Non, cela me plaît», lui répond, triomphante, la fille du marchand.

Les traces laissées dans l’imaginaire cinématographique par les images de Cocteau sont innombrables. Disney, bien sûr, avec cette bête léonine (rien ne dit dans le conte qu’elle doive ainsi ressembler à un félin plutôt qu’à un loup, un ours, un singe ou un sanglier, et l’idée d’un prince-lion plutôt qu’un prince-porc est surtout due à Cocteau), et ces objets animés mis au service de la Belle – et aussi ce prétendant arrogant, dont le film de 1946 faisait néanmoins le double du prince. On pourrait citer un autre beau film d’amour, d’à peu près la même époque que ce dessin animé : c’est le Dracula de Coppola, où la monstruosité de l’amant est finalement vaincue par celle qui l’aime, corps et âme, depuis quatre cents ans. Seulement, si ces œuvres dépeignent une sexualité humanisée, débarrassée de sa violence animale, une masculinité primaire changée en virilité sophistiquée ou une passion dévoratrice et mortifère rédimée dans l’acceptation de l’autre et du passage du temps, Del Toro, jusque dans sa discrète évocation de l’acte sexuel ou de la masturbation féminine, déclare en fait la guerre à l’hétérosexualité. Sa bête poissonnesque est bonne et n’a pas à être vaincue ou défiée, c’est d’ailleurs Elisa, l’héroïne, qui va le rejoindre dans son monde.

On connaissait la haine de soi occidentale, française, américaine, germanique, juive (la plus ancienne de toutes ou la mieux référencée), humaine (substrat de celles qui précèdent), et l’on en connaissait et le caractère quasi-nécessaire et les dangers. Pour la première fois, je crois, dans la manière dont il travaille et trahit ses sources, Del Toro exprime donc la haine de soi des bêtes à poil(s) : le réalisateur mexicain, en choisissant le monde des poissons, est peut-être bien le premier self-hating mammal.

Le rêve de la femme du pêcheur.
«Le rêve de la femme du pêcheur», estampe érotique de Hokusai, qui ouvrait le recueil «Kinoe no Komatsu» publié en 1814.

Vous m’opposerez le célèbre Rêve de la femme du pêcheur qu’Hokusai, peut-être à cause de la résurgence que connaissait alors l’animisme shintoïste, fit publier en 1814 : dans cette estampe, une gigantesque pieuvre enserre de ses tentacules une femme en extase, le sexe nu et ouvert à son monstrueux baiser. Les bêtes aquatiques, pensez-vous peut-être, savent aussi y faire ! Certes mais justement, c’est l’immonde primitivité de la pieuvre qui la rend, si j’ose dire, attirante : le poisson est dans un entre-deux, ni mollusque ni mammifère, ni même reptile. Rappelons que, de même, le serpent de la Genèse – «le plus nu de toutes les bêtes de la nature qu’avait créées YHVH Elohim» – a beau avoir le sang froid, les ondulations obsédantes de son corps écailleux, sa nocivité bien connue et sa vie menée au ras du sol l’ont associé dans toutes les mythologies aux forces chtoniennes de la sexualité, de la sagesse, de l’enthousiasme créateur et de la mort. On trouve une version africaine du conte où la Bête est un crocodile : modèles du Léviathan cananéen et biblique, les sauriens expriment encore quelque chose d’à la fois majestueux, redoutable et fortement sexué, ils dévorent les humains tout en vivant aux endroits stratégiques, fleuves, lacs ou rivières, dont leurs victimes potentielles doivent tirer leur subsistance. Un homme-serpent, un homme-reptile voudrait encore dire quelque chose ; un homme-poisson ne signifie rien d’autre ici que le refus nihiliste de la sexualité, du moins dans sa dimension agressive et chtonienne. En d’autres termes dans sa dimension désagréablement, irrémédiablement humaine.

Observons d’ailleurs les propositions du film en matière de vie sexuelle. On constatera le choix systématique – et à vrai dire condescendant au dernier degré pour les catégories ainsi mises en valeur – de séparer les formes acceptables des formes méprisables de sexualité, et que les premières correspondent à chaque fois à ce que l’Amérique nomme «minorités». Comme si seule la souffrance rédimait une activité jugée par trop liée au jeu du pouvoir et de la domination. C’est du reste vrai en un sens : le pouvoir, dans sa belle et irrévocable naturalité, n’est peut-être pas autre chose que le sexe, mais il y a ceux qui en prennent leur parti et ceux qui rejettent cette association, qui rejettent en dernier recours et l’un et l’autre.

Zelda, l’amie et collègue noire de l’héroïne, est privée de toute passion mauvaise : on s’étonne pour le coup de n’entendre personne protester contre ce cantonnement de la figure noire au rôle d’adjuvant des contes de fées, au Magical Negro à la Autant en emporte le vent. Reste que Zelda est hétérosexuelle et mariée : noire (et plutôt grosse : gare au fat shaming !), elle en a le droit.

Elisa est muette, handicapée donc, hispanique, orpheline, elle aussi aurait le droit, mais elle préfère de toutes les manières la compagnie des poissons ou de ses propres doigts.

Giles, l’ami et voisin d’Elisa, est homosexuel : à ce titre, Del Toro va jusqu’à généreusement lui accorder le droit d’étreindre la main d’un serveur dans un diner, ce qui serait déjà une agression ou une forme de harcèlement si le serveur en question était une serveuse. Des comportements parallèles exercés dans le cadre de relations entre les deux sexes sont explicitement dénoncés par le film, alors qu’on ne peut qu’aimer le malheureux Giles. Qu’on m’entende bien : je jugerais pour ma part, dans la vie réelle, que le geste de ce dernier n’a rien de répréhensible, mais j’estime aussi, car il faut rester cohérent, qu’attraper la main d’une femme ne requiert pas davantage de «demander la permission» ; on sent que telle n’est pas la pensée de Del Toro.

Hoffstetler alias Mosenkov, l’espion russe qui en vient à aider l’héroïne et son amant à branchies est quant à lui célibataire et à l’évidence asexué – ce qui ne peut que le classer également parmi les bons, ou sert à confirmer qu’il appartient déjà à leur groupe. L’asexualité est signe d’élection, comme l’homosexualité ou le taux de mélanine.

L’homme-poisson, enfin, est un poisson.

Les méchants du film sont en revanche évidemment blancs et agressivement hétérosexuels, à commencer par l’atroce Strickland, petit-fils à la fois de Harvey Weinstein et de Donald Trump, du sadique Hartman (Full Metal Jacket) et du paranoïaque Jack D. Ripper (Docteur Folamour). Avec toutefois un soupçon de Don Draper dans l’ADN : logement banlieusard, femme au foyer soumise et dévouée à son sceptre viril, qu’au reste il trompe ou rêve de tromper, avec la subalterne Elisa notamment – ou dont il se mime le viol. Bref, vous l’aurez compris ou déjà noté, un méchant très méchant, d’ailleurs non seulement misogyne et machiste mais encore raciste ; un méchant, surtout, dont la méchanceté est corrélée à une hétérosexualité caricaturale.

Je ne dirais pas que de telles personnes n’existent pas : je n’en ai jamais rencontré mais après tout, je suis sûr que certains humains cumulent réellement beaucoup de tares. Ne se dit-il pas qu’Hitler était un pervers sexuel ou que Staline, tyran domestique, tua sa femme de ses mains et envoya au goulag l’amant juif de sa fille ? Les douze Césars de Suétone pourraient encore illustrer l’existence de semblables correspondances entre cruautés publiques et privées. Il se trouve en revanche qu’à mon avis, les arts narratifs doivent faire parler la complexité là où on l’entend le moins – là où on l’attend le moins, dans l’excès même et jusque dans la description du mal absolu. Or Strickland n’a rien qui le rachète et sa folie meurtrière reste mille fois moins étonnante que celle d’un Néron ou d’un Caligula (fussent-ils décrits par la plume peu nuancée de Suétone), du Ramsay Bolton de Games of Thrones, de Javert ou de Frollo : cochant toutes les cases du mal tel que défini par la bien-pensance d’aujourd’hui comme Elisa coche toutes celles du bien, il ne surprend à aucun moment, rien ne le rachète ni ne le distingue d’une figurine de cour de récréation.

Et tout cela pour nous faire finir dans les abysses, où la jeune muette rejoint celui que les Indiens d’Amazonie vénéraient comme un dieu – et qui en est peut-être bien un ! Del Toro nous propose du coup une version remaniée, non seulement de La Belle et la Bête, mais encore, j’y ai fait allusion, de La Petite Sirène, à ceci près que c’est l’humaine qu’il choisit de faire mourir symboliquement. Dans le conte d’Andersen, inspiré de thèmes préchrétiens bien connus (la Rusalka étant un autre célèbre avatar de l’amoureuse naïade), l’existence humaine triomphe et la divinité accepte de mourir. La froideur aquatique de l’ondine à corps de poisson s’incline devant la chaleur humaine qu’elle désirait tant. La tentation régressive est vaincue et la douce héroïne survit dans le cœur des hommes : c’est la nature, la mer – périlleuse ou matricielle – qui doivent se rendre, l’éternité devient temps, les splendeurs du tréfond marin écume des vagues. Del Toro, illustrant à merveille le caractère profondément réactionnaire et nihiliste de la gauche victimologue, identitaire et relativiste à laquelle il appartient au moins par son usage des mythes, choisit de s’abîmer dans le divin, un divin ramené à la nature enveloppante : l’espèce d’unio mystica que défend son film est celle d’une femme vaincue et d’un dieu incapable de mourir.

Notons que, complètement opposé à la bête qu’il persécute, Strickland l’est aussi à son autre ancêtre, l’Avenant du film de Cocteau, qui était le double de son ennemi, la Bête, également incarné par Jean Marais. Avenant était au demeurant authentiquement courageux, et sincèrement amoureux de Belle – qu’il protégeait par exemple contre la tyrannie de ses horribles sœurs. Il est à croire qu’Hollywood a décidé de piétiner cette complexité-là. Sa morale est désormais celle du «gentil garçon» à la Sainte-Beuve : ne décrire que des bons parfaitement bons, des méchants intégraux, et être soi-même, non un mauvais mais un bon. Anthony Oliver Scott, le critique cinématographique du New York Times, n’a-t-il pas récemment défendu l’idée qu’étant donné ses mauvaises mœurs, on ne pouvait plus regarder les films de Woody Allen, en tout cas pas comme on le faisait avant ? Il y a un an à peine, tout le monde eût trouvé ridicule un pareil argument : nombreux, en tout cas dans les rangs de cette gauche qui a troqué l’esprit de subversion contre une morale victorienne plus ou moins féminisée, lui donnent aujourd’hui raison.

Camille Paglia, philosophe féministe – quoique opposée à celles qui, telle Gloria Steinem, se croient détenir le monopole de la défense des femmes –, auteur de Sexual Personae, l’un des ouvrages de théorie et d’histoire littéraires les plus géniaux du demi-siècle écoulé, dénonçait dans une récente tribune le tropisme antisexuel du Hollywood contemporain. Paglia défend depuis toujours l’idée d’un lien entre sexualité et agressivité et, fille de Freud et de Nietzsche, loin de s’en offusquer, elle voit dans ce lien la source de la création, littéraire notamment. «Great art has often been made by bad people», non par hasard, mais parce que le mal et l’art ont partie liée. Que l’on songe à la splendide fable gnostique de Jim Jarmusch, Only lovers left alive, où les grands artistes du passé («cameo» de Christopher Marlowe) sont décrits comme des vampires assoiffés du sang et de l’amour de victimes qu’ils chérissent. Voilà un bien plus sérieux hommage à l’art et au cinéma que les fades mises en abîme de Del Toro !

Vouloir que Woody Allen et Roman Polanski soient bons relève pour Paglia, dès lors qu’on vit après Baudelaire, Wilde et Proust, d’un anachronisme fleurant justement bon la morale étriquée du XIXe siècle, l’époque de la censure exercée au nom des bonnes mœurs. Pis que cela : c’est une absurdité, un outrage à l’art. L’artiste doit batailler contre le mal qu’il a en lui mais comme dirait le Zarathoustra de Nietzsche, «l’homme a besoin de ce qu’il a de pire en lui s’il veut parvenir à ce qu’il a de meilleur».

La forme de l’eau, consacré «meilleur film» par un Hollywood aux abois, serait le manifeste de cette nouvelle moraline que Paglia dénonce si justement, le manifeste d’une éthique néo-puritaine où les bons le seraient de toute éternité, élus et couronnés – et où c’est leur situation de «minoritaires» ou de «subalternes», de stigmatisés, qui désignerait leur élection aux yeux de tous – tandis que les mauvais le seraient sans espoir de rédemption. C’est par le péché même, et non seulement contre lui, qu’opère en effet la rédemption bien comprise : le propre du puritanisme étant le choix d’une économie linéaire du salut, cette notion lui reste forcément inaudible.

En un mot et pour conclure, La forme de l’eau signe sans le dire, ou voudrait du moins signer la fin du romantisme en art, et le triomphe esthétique de la bourgeoisie, à peine grimée pour l’occasion : c’est qu’il ne suffit pas de railler la vie pavillonnaire ou de valoriser l’homosexualité au lieu de la vitupérer pour n’être pas, dans le sens le plus abject de ce terme (buñuelien ou chabrolien), un bourgeois.

 

Un commentaire

  1. Ce film est une daube puritano sentimentale parfaitement calibrée pour le monde post weinstein.