New York. Jeudi 26 octobre 2017. Assemblée générale des Nations Unies. Ici résonne parfois le verbe mémorable, distingué, vénérable ou alors, le misérable goût des mots minables. Ici ont défilé sous la lumière des projecteurs curieux du monde, plusieurs figures repères de l’histoire contemporaine de l’Afrique. Kwame Nkrumah en kenté royal a pris la parole dans cette enceinte. La voix, noble pensée, de Jomo Kenyatta a retenti dans ce lieu. Nyerere, l’élévation, rationalité implacable, a laissé son empreinte swahili, haut-degré d’humanisme, sur les murs de cette tribune. La venue d’Hailé Sélassié, le lion conquérant de la Tribu de Juda, fut majestueuse.
Tous étaient venus, le verbe dans le mouvement de l’histoire, réclamer l’égale liberté pour tous, la liberté politique, la liberté démocratique, le droit de se réinventer. Le gramophone aérien, le vent du changement soufflait et, Kalé tcha-tcha-tcha, l’astre solaire des indépendances promettait au bout des gestes noués en volonté agissante, le ravissement d’une autre existence. On espérait la saveur du miel : chacun s’appartiendrait, chacun s’éprouverait librement dans son corps, chacun vivrait selon sa propre valeur, la vie ne serait plus diminuée, rabougrie, sous emprise, la vie augmenterait.
Mais dans le miroir du lendemain, le temps de la respiration du drapeau national déployé, la destination du départ, bonheur d’un soir dissipé, la démence de l’arbitraire était déjà de retour ici et là, et le ciel sans devenir : Empereur Jean-Bedel Bokassa Ier, la démesure loufoque, au pouvoir en Centrafrique ; Maréchal Idi Amin Dada, de sang et de folie, au trône en Ouganda ; Mobutu Sese Seko Kuku Ngwendo Wa Zabanga, Maréchal Léopard, roi du Zaïre, et la suite aujourd’hui, Nkurunziza le Président-Pasteur, dépeceur par volupté, futur Ier, au Burundi.
New York. Jeudi 26 octobre 2017. Assemblée générale des Nations-Unies. Procédure spéciale sur le Burundi. Présentation du rapport d’enquête sur les violations massives des droits de l’homme. Conclusions accablantes : meurtres, massacres, tortures, viols, disparitions forcées ; les corps brutalisés, martyrisés ; la vie et la mort profanées.
On espérait l’émancipation et en cinquante-cinq tours douze mois, voilà l’horreur comme fanfare, la terreur, la main long coutelas, déchirant l’existence avec des éclats grésillant la haine comme plaisir. L’immense espérance et au décompte de la valse des saisons, un destin occupé de monstres du dedans, le pouvoir sauvage, outrageant l’humanité, le torse bombé.
New York. Jeudi 26 octobre 2017.Le délégué du Burundi, appelé à répondre devant l’assemblée des nations de l’accusation de crimes contre l’Humanité. Peut-être qu’à cet instant précis… puisque les preuves et les témoignages accusant les services de l’Etat burundais pour chacun des crimes documentés sont accablants, puisque… peut-être que l’envoyé de Bujumbura, gagné, ô miracle, par la conscience de l’insondable faute du sang versé, la fissure ouverte à l’empathie, aura l’intégrité d’avouer et de demander solennellement clémence aux victimes.
Mouvement de l’âme ? Il est des univers dépeuplés de toute présomption de compassion de l’homme pour l’homme. La parole perverse, la raideur irrémédiablement terrée de haine et de bobards, l’emphase discourtoise, le délégué burundais nie tout en bloc, mesure et piétine le malheur particulier des victimes dans l’ordre des quantités et des majorités de force et, aux frontières du délire, crie au complot international, accuse les enquêteurs des Nations Unies de partialité, menace les auteurs du rapport de poursuites judiciaires pour diffamation et tentative de déstabilisation.
La langue tordue, la légitimation mortifère renversant le sens des mots et des choses, le sieur représentant de Bujumbura, affirme que les écorcheurs, les dépeceurs, les bourreaux ne seraient, en vérité, en vérité, que les victimes de leurs victimes, avant de revendiquer la sauvagerie comme geste souverain : chacun aurait le droit, à l’intérieur de son enclos national, de pratiquer toutes les barbaries possibles en toute indépendance. Le crime contre l’Humanité relèverait du domaine privé, de la morale privée, de la vie privée des nations !
New York. Assemblée générale des Nations-Unies. Ici ont défilé plusieurs figures majeures de l’histoire contemporaine africaine. Dans leur chant du matin, l’indépendance, mille rayons clairs, portait la promesse de la récolte d’un double bonheur dans le doux verger du lendemain. Promesse en lambeaux à Bujumbura : le dos tourné au soleil, nous avançons à reculons la faim en miséricorde quotidienne et la parole trempée de peur. Aujourd’hui plus qu’hier, nos jours coulent de sang en ravins, la liberté fracassée, humiliée, jetée dans les fosses communes.
New York. Jeudi 26 octobre 2017. Du haut de la tribune des Nations-Unies, le délégué du Burundi, la parole débridée, décousue, désaccordée, la chute verticale irrévocable, glisse, descend bas, encore plus bas dans la fange, les mâchoires remuant : la bouffée bravache, l’œil fiévreux, la violence rigide, la haine de passion, il pérore comme un génocide qui s’exerce à la résurrection, et mille ombres dans le gosier, réfute la réalité du génocide des Tutsis du Rwanda voisin, qualifié de «génocide présumé».
Sans latitudes ni méridiens, il étale sur la place mondiale les phrases et les mots que débitent en pagaille, qu’éructent en boucle, que crachent en bandes, depuis des mois et des mois, les tueurs de Bujumbura, le discours exalté, la chasse ouverte, l’appétit de sang, la convulsion jubilatoire. Une fois de plus, l’effroyable volonté recommencée d’effacer d’un coup de gomme tranchant le crime des crimes ; une fois encore, la nuit dans la gorge, la même fixation, la même détermination de transformer les génocidaires en tueurs légitimes ; une nouvelle fois, des profondeurs du temps, l’abominable appel public au passage de nouveau à l’acte, la monstrueuse invitation à la récidive : le négationnisme.
New York. Jeudi 26 octobre 2017. Assemblée générale des Nations-Unies. La gueule glaciale, l’humanité désertée, les bouchers vivent dans un monde parallèle, sans portes ni fenêtres. Ils tuent et ricanent, tuent et manient à loisir avec frivolité la dérision ou le mépris, tuent et, loufoques, jouent les bons sauvages gentils, naïfs, serviables, avenants, tuent et menacent de tuer en plus gros tas si contrariés, usent de ruse et se présentent, la posture misérable, en pauvres victimes, évoquant le Tout-puissant, citant la Bible, mais, bon Dieu Seigneur, qu’ils se retrouvent acculés par l’entêtement du réel, sommés de répondre aux accusations de meurtres et autres crimes innommables, alors là, finies les civilités : ils s’énervent, s’agitent, gesticulent, insultent, menacent, la fureur vandale, la démence furieuse. Et qu’importe qu’aux yeux du reste du monde, leur baratin soit effroyable, indécent, obscène. Qu’importe ! Puisqu’ils ne s’estiment ni liés par la réalité des faits, ni en contrat avec l’impératif universellement proclamé de respect intangible de la dignité humaine.
New York. Jeudi 26 octobre 2017. Etrange époque. Spectateurs du pourquoi et du comment de la barbarie qui remue et se gonfle de nouveau sans ménagement, nous regardons et observons le Burundi comme on observe un monde en instance de destruction. Les fossoyeurs de la vie, la violence calculée, les gestes répétés, continuent de pourchasser, d’arrêter, de torturer, de tuer, d’agresser les femmes, de piétiner les victimes et, du haut de nos perchoirs, la parole diplomatique creuse, mystico-anthropologique, «anti-manichéiste», les yeux de notre conscience bandés, nous relativisons le crime, nous banalisons la barbarie, certains réinventant même les mobiles des tueurs pour les rendre recevables, passer l’éponge, s’en accommoder, nous en accommoder, en attendant l’achèvement de l’œuvre de la haine semée.
Le crime commis là-bas, serait-il donc devenu, au fil des saisons un jeu si banal, une insouciance conventionnelle, une routine comme le soleil et la nuit à guise, au point de ne plus soulever notre humanité de révolte et d’émotion? Au tribunal de notre conscience commune, la dignité humaine, valeur universellement absolue, serait-elle devenue un enthousiasme passé de mode, obsolète ? Bouchers, tortionnaires, victimes et spectateurs ? Ainsi donc, tourne et valse notre planète ?
New York. Jeudi 26 octobre 2017. Nations-Unies. Sur les vestiges du souvenir, il me revient qu’outre-horizon, aux temps de l’espérance, Nkrumah, Nyerere, Kenyatta, Hailé Sélassié étaient venus ici, la tenue du verbe verticale, le pouvoir des mots flamboyant d’humanité, guérissant blessures et douleurs. Le vent du changement soufflait et l’Afrique espérait.
Les machinots de l’Organisation attendent que les martyrs viennent leur fournir la preuve que leur martyre à bien eu lieu pour lancer l’ordre de sauvetage en terre. La règle veut pourtant que les charniers soient mis à la disposition d’un tyran bienfaiteur et puissent ainsi être foulés et refoulés par ses têtes de bétail. Ils seront maintenus cachés aux cartographes topographes que n’aura pas effleurés un instant la topologie du remords. Afin de déterrer l’objet d’un crime de masse, il faut non seulement libérer les populations survivantes réduites en sous-humanité par un vaurien ayant pris soin de confisquer leur image narcissique, mais aussi occuper leur pays pendant une période suffisamment longue pour que soit mise en œuvre la fouille systématique des sites que les auteurs et complices de ces crimes chercheront spontanément à dissimuler. En attendant la chute du cauchemar burundais, il faut envisager la possibilité que le chaos requière son lot de chasseurs de primes. Là ou le mal s’installe, le sens moral chancelle jusque dans les chancelleries. Et si les images des massacres ont été ensevelies avec les massacrés, on a peine à imaginer qu’elles n’aient pas subsisté dans le smartphone d’un réalisateur de snuff movie en herbe qui serait prêt à tuer pères et mères pour décrocher l’Oscar du retournement, sur tapis rouge ennemi. // En ces heures borgnes où Bachar le Chimique se voit déjà ratifier un accord de Paris sur le climat, lequel accord, avec le concours du liquidateur du fossoyeur de l’UpM, ce jeune Œdipe dans lequel il n’est pas impossible que le plus carnassier des deux Assad aperçoive son propre reflet, chez qui, dans tous les cas, il ne peut pas ne pas sentir gronder la réincarnation de Nicolas Sarkozy, — «Il fut un temps où, invité d’honneur au pays des Lumières, l’on déclamait la Déclaration universelle des droits de l’homme à mes pieds», — pourrait lui donner l’occasion de faire la leçon au seul chef d’État occidental qui, animé d’un éclair de conscience se résorbant à une vitesse induite par sa propre nature, ait eu, tout de même, le cran de bombarder son arsenal de chiottes, en ces heures hypocrites, dis-je, cessons de nous imaginer qu’en agitant la muleta étoilée d’Israël, nous parviendrons à endormir le Taureau acéphale des Nations à la faveur des Kurdes. Employons-nous plutôt à recourir aux seules méthodes en vogue; rassemblons nos Forces Franches Libres contre le nouvel ordre mondial alterné; faisons peser sur l’Irak et sur le Levant le spectre d’une seconde guerre de Cent ans; et mettons tout en œuvre pour octroyer au Kurdistan, dans les plus brefs délais, un statut d’État observateur à l’ONU.