En novembre 2014, Patrick Pelloux accorde une interview au Quotidien du médecin. On lui demande légèrement : «Alors, quels sont vos vœux pour l’année qui vient ?» L’urgentiste répond : «J’espère qu’on n’aura pas la guerre en France». La journaliste qui lui fait face le prend alors pour un «pessimiste, un cassandre aigri». Elle retranscrit mal ses propos, écrit : «Le vœu de Patrick Pelloux, c’est de ne pas avoir la guerre». Personne ne comprend. «Tout le monde s’est marré», raconte ainsi le médecin. «Puis arrive le 7 janvier 2015». On connaît la suite. L’effroi qui s’abat sur la France. L’attentat qui frappe la rédaction de Charlie Hebdo. Le meurtre de la policière Clarissa Jean-Philippe. La tuerie antisémite de l’HyperCacher de la Porte de Vincennes. Quelques jours plus tard, le 11 janvier 2015, quatre millions de Français envahissent le bitume, noircissent les avenues comme on remplit les pages des journaux. Un sursaut ! Tellement de personnes dehors que les systèmes de comptage classiques ne résistent pas au choc. N’en déplaise à Emmanuel Todd, le pays est Charlie. Il commémore comme un seul homme le souvenir des victimes des attentats. D’Angela Merkel à David Cameron en passant par le duo Nétanyahou-Abbas, soixante chefs d’Etats battent le bitume parisien, bientôt imités par la quasi-totalité de la classe politique française. Tout au long de la journée, les hommages et les slogans réconfortants se succèdent. Les belles images aussi. D’ailleurs, s’il n’y en avait qu’une seule à retenir, une seule pour marquer durablement la rétine, ce serait la sienne… Patrick Pelloux et son accolade émouvante avec François Hollande. Le père de la nation et celui qui la soigne. L’urgentiste et le Président. Deux vieilles connaissances qui se tombent franchement dans les bras, en dépit des caméras.

 

Deux ans ont passé. Lorsqu’on lui demande comment il va – politesse banale mais véritable torture lorsque, justement, «ça ne va pas» – le praticien hospitalier s’en tire avec une formule toute trouvée : «on fait aller». Pour tenter d’aller mieux et surtout d’aider les autres, Patrick Pelloux a publié un livre, L’instinct de vie, aux éditions du Cherche Midi. Plus qu’un témoignage, il s’agit là d’une analyse, la sienne, et d’une méthode, écrite pour refaire surface. Pelloux explique : «Tout s’est passé comme s’il fallait déblayer un obstacle sur la route. Sur ma route. Quelque chose d’infranchissable et de difficile à enlever. L’idée de cette méthode est venue progressivement, comme s’il fallait commencer à réfléchir sur soi, sur le drame, sur ses raisons, sur le besoin de continuer à combattre l’effroyable torpeur cérébrale. Celle qui empêche de vivre et de renaître.» Double force de ce livre. D’abord sa puissance et son accessibilité. On y retrouve l’urgentiste tel qu’on le connaît : avec son allure bonhomme, ses cheveux ébouriffés, ses sourcils broussailleux et son franc-parler. Depuis des années, sur les plateaux télé, Pelloux vient dire à la France ce qu’elle doit entendre. Il avertit le citoyen en tentant de l’élever, tranche avec la langue de bois, abolit les novlangues technocratiques. Il le fait en homme éclairé, empli de bon sens. Rien de tout cela n’a changé malgré le drame. Comme un auteur qui se livre, peut-être pour continuer l’œuvre de ses amis de Charlie, Pelloux nous parle à nouveau à cœur ouvert, sans détour. Que dire sinon qu’en ces temps troublés, angoissants, décevants, les tournures de l’urgentiste apaisent véritablement…

 

Puisqu’il est à la fois victime et soignant, l’analyse de Patrick Pelloux importe. C’est la deuxième force de son document. Un pied dehors, un pied dedans, on suit la résurrection de l’urgentiste qui se questionne en avançant. Que ressent-on face au drame absolu ? Peut-on guérir de l’innommable ? Comment tenter d’aller mieux ? Rien n’est simple, Pelloux l’avoue. Les tourments ne sont jamais loin. On découvre alors combien les médecins peuvent parfois se laisser aller quand l’horreur les submerge. L’instinct de vie n’est pas le livre d’un surhomme, non. Plutôt celui d’un homme «ordinaire» comme le chante Robert Charlebois (cité dans l’avant-propos du livre). Un homme «qui ne peut plus dormir, qui est trop nerveux», qui fait «un métier dangereux car plus il en donne, plus le monde en veut»…

Touchant et précieux.

 

2 Commentaires

  1. Emmanuel Macron, aujourd’hui, ne fait pas qu’entrer à l’Élysée. Il entre aussi en guerre. En devenant le chef des armées face à Daech et à ceux qui lui tirent sur la laisse, le Président de trente-neuf ans ne remporte pas un tour de manège, et devrait se méfier de la comparaison à haut risque qu’on a vite fait d’établir entre lui et l’amant kitschissime de Marilyn Monroe. Si l’époque a incontestablement besoin d’être dynamitée par un changement d’humeur, on aurait tort d’oublier que, souterrainement, elle n’est pas à la gaudriole.

  2. François Hollande aura été là chaque jour durant cinq ans. Les fois où l’on s’en apercevait, celles où il était seul à le savoir. Comme ses prédécesseurs, il sera devenu un intime pour chacun de ses concitoyens. Quelques-uns en ont pleinement conscience. Il aura été victime, non pas de la division des Français, mais de celle de son camp politique. Victime sans doute de son désir de toujours sauver ce qui peut l’être encore. Il faut un homme de la synthèse là où personne ne parvient plus à la faire. Hollande victime, non du clivage droite/gauche, mais de la déchirure de la seule gauche de gouvernement, cette enfant qui a trop vite grandi et qu’il va, au-delà de son mandat, par un premier geste délivré dans le grand vide, continuer de chercher à désespérément recoudre. Je ne pourrai dire ici tout ce qui me revient. D’un autre côté, tant a été dit! Je voudrais cependant extraire un acte historique des plus porteurs qui, plus que tout autre, aura été brouillé par une polémique impossible à contenir, car attisée par une fronde impossible à détourner de sa logique morbide. Cet acte c’est la convocation des représentants du peuple en Congrès à Versailles, trois jours après la Saint-Barthélemy anti-universaliste du 13 novembre 2015. Mon sentiment est que, ce jour-là, les mots du Président ont empêché une guerre civile, pas impossiblement un coup d’État. Je rends grâce au Citoyen Hollande d’avoir mis son destin personnel en danger à seule fin de protéger l’intérêt supérieur d’une nation dont il faut parfois être capable d’en ressentir anormalement le goût et les sens afin d’en ranimer, in extremis, l’énergie spirituelle au bord de l’extinction.