Que voulons-nous ? La victoire ou l’esthétique ?

Les gémissements n’auront servi à rien, les «FHaine» et les «Nous sommes tous des enfants d’immigrés» ont fait leur temps. Il faut agir, et argumenter, c’est en politique la première façon d’agir. Sommes-nous certains que le programme de Marine Le Pen est dangereux pour la France ? Dans ce cas, démontrons-le.

Voici quatre points du programme frontiste qu’il m’a semblé utile, parmi beaucoup d’autres, d’isoler et de dénoncer. Que chacun en fasse autant et prouve ainsi que sa détestation du parti nationaliste est fondée en raison et non seulement en émotion.

Ces quatre points désignent tous, quel que soit leur degré d’importance, l’empreinte de ce redoutable collectivisme métaphysique qui depuis toujours fait du Front National ce qu’il est. Je veux parler de la nationalité unique, du bannissement des signes religieux dans l’espace public, de la suppression des régions et de l’interdiction de l’abattage rituel juif et musulman.

Nationalité unique

Comme Pierre Manent l’a si bien exposé dans Situation de la France, l’époque nous demande de choisir entre autochtonie et déracinement : cette alternative est absurde. La France est grande parce qu’elle est bordée d’un océan et de trois mers, parce que cinq fleuves la traversent, parce qu’à elle aboutissent et les trésors de l’Europe centrale, et ceux du Nord, et ceux de la Méditerranée, mère de la civilisation occidentale. Parce que chacune de ses provinces touche à un pan du continent et même du reste du monde, le résume et au contact de cent autres fait éclater l’énergie qu’il recelait. Sa géographie en fait une géante : il n’y a nullement à choisir entre les racines de ce vieux pays et le cosmopolitisme car par sa chair même, la France côtoie l’univers.

Aussi, rien ne justifie de demander aux Français qui par leur naissance ou par amour, par choix ou par nécessité, se trouvent posséder une autre nationalité, de préférer l’une des deux. D’ailleurs, personne ne l’a jamais fait jusqu’à maintenant. Pourtant, le procédé, monstrueux et si contraire à la chair de notre pays, n’est à la vérité que la suite logique d’autres mesures préconisées par Marine Le Pen, comme la taxation des entreprises employant des étrangers : comme si notre économie pouvait prospérer en autarcie, comme si notre identité pouvait ne renvoyer qu’à elle-même. Inutile d’ajouter qu’on voit mal en quoi interdire la double nationalité nous protègerait du terrorisme. Quand elle se transforme ainsi en un tout devant lequel chaque particularité devrait fléchir le genou, la nation n’est plus qu’une tribu agressive, un clan insulaire et sans destin.

Bannissement des signes religieux

La volonté d’interdire les signes religieux relève d’une dérive autoritaire, mais polpotienne plutôt que fasciste : je connais d’ailleurs nombre de gens «de gauche» qui s’en réjouiraient. Si la nationalité unique, c’est le collectif biologique de la droite totalitaire, ce bannissement relève, lui, du collectivisme jacobin poussé à son comble : on coupe tout ce qui dépasse et par là, le FN «dédiabolisé» l’est en combinant habilement Saint-Just et Joseph de Maistre. A titre personnel, je distingue avec soin l’uniforme à l’école, que Marine Le Pen voudrait réintroduire – mesure que l’on peut désapprouver mais que nul ne peut pour le coup considérer comme tyrannique –, de cette odieuse infantilisation des citoyens.

Tout d’abord, comment définissons-nous un signe religieux ? Rares sont ceux qui le sont de toute éternité et pour ne citer qu’un exemple, la kippa n’est pas pour un Juif un signe religieux, elle est tout au plus un signe de reconnaissance ou plutôt disons qu’elle ne sert un commandement ou une coutume religieuse, celle de se couvrir le chef, que par hasard : le moindre chapeau peut faire l’affaire et les calottes des Juifs orientaux ressemblent plus à des bonnets ou à de petites toques.

Le magen David ne l’est pas davantage, moins encore à la vérité puisqu’il ne correspond à aucune loi ni à aucune tradition symbolique reconnue de tous avant la fin du XIXe siècle. Quant à la main de Fatima, la hamsa des Juifs et des Arabes déjà visée par la loi de 2004 si elle est «ostentatoire», il faut être d’une remarquable ignorance pour l’associer à quelque religion que ce soit de la tradition abrahamique : elle est païenne, comme le gui ou le sapin de Noël, les juifs et les musulmans ayant aussi gardé des traditions antérieures à l’emprise de leurs lois respectives. Un signe «vraiment» religieux comme la soutane peut d’ailleurs fort bien être remplacé par un autre et c’était l’un des éléments les plus effarants de l’affaire du burkini : personne en effet ne semble avoir songé que si, pour le coup, une idéologie délétère pouvait bien être à l’origine de cette nouvelle coutume vestimentaire, l’interdire ne ferait que déplacer le problème puisqu’une femme «pudique» serait toujours libre de se baigner en chemise – ce qui est d’ailleurs en effet son droit – et de persécuter ses filles ou ses sœurs dans le cas où elles ne l’imiteraient pas – ce qui ne l’est plus.

Mais ça n’est pas tout. Nous pourrions trouver des signes religieux et qui ne seraient que cela : outre la soutane déjà mentionnée ou la croix, les tsitsit par exemple, ces franges rituelles des Juifs pieux, sont désignés comme tels dans la loi mosaïque, tout comme… la circoncision : peut-être correspondent-ils davantage à une définition bien pensée de la chose ? Cependant quand bien même nous identifierions ainsi un certain nombre d’entre eux, qu’est-ce qui justifierait que la nation les interdise ? En quoi gênent-ils plus son libre fonctionnement qu’un t-shirt du Che ou du PSG ? Personne n’a jamais su me l’expliquer, pour la bonne raison que sauf à opposer liberté de conscience et liberté religieuse, il n’en est rien. Dès lors que l’on parle de séparation de l’Eglise et de l’Etat et non de contrôles des croyances par la République, une telle mesure, outre qu’elle est tyrannique, est même parfaitement incohérente. A-t-on jamais vu d’ailleurs une quelconque puissance démocratique s’immiscer dans le choix que chacun fait de ses habits ? Si ce n’est bien sûr pour punir l’indécence – qu’elle soit dans la complète nudité, interdite dans l’espace public, ou dans l’odieuse prison de tissu qu’est le niqab, fort heureusement interdit lui aussi, non pas en tant que «signe religieux» mais pour ce qu’il est : un acte de terrorisme vestimentaire, une déclaration de guerre au visage et donc à la civilisation.

Suppression des régions

Le lepénisme est un césarisme, qui ne peut supporter aucune entaille à son pouvoir. Le FN veut supprimer les régions et ne garder que trois strates administratives : la commune, le département et l’Etat. «Fédéralismes» européen et régional sont corrélés à ses yeux, il s’agit de rendre à la nation seule une puissance que l’on craint autrement de voir se disperser. Cette mesure constituerait une formidable régression pour notre pays : la Ve République lui a progressivement fait surmonter une mégalocéphalie héritée de l’absolutisme royal, du jacobinisme et de l’Empire, pour le plus grand bien de citoyens rendus à eux-mêmes, à leur créativité, à leurs talents. Le «désert» français ne s’en accroîtrait que davantage et pour n’être plus soumis à ces «féodaux» qu’abhorre le très bonapartiste Philippot, on n’en serait que plus à la merci des lourdeurs administratives, des égoïsmes collectifs et du pouvoir central.

L’interdiction de l’abattage rituel

Je ne reviendrai pas ici sur les justifications de l’abattage rituel. Elles sont nombreuses et tiennent selon moi à la nature sacrificielle de l’acte, rien moins qu’anodin, de manger de la viande.

On peut en tout cas critiquer, au nom de la relative souffrance ainsi subie, l’abattage sans étourdissement. Mais alors pourquoi le programme du FN ne dit-il rien du gavage des oies, une pratique autrement plus cruelle ? De la chasse à courre ? Ou même de la chasse en général : lorsqu’une bête est abattue d’un coup de fusil, elle n’est pas «étourdie» à ce que je sache, il est rare qu’elle meure tout de suite, et soit elle agonise quelques minutes, soit même on doit l’achever, de sorte que la souffrance qu’elle éprouve me semble autrement plus indiscutable que celle occasionnée par l’égorgement rituel. Qu’en est-il de la corrida ? Qu’en est-il des cochons que l’on saigne, des poulets auxquels on tord le cou ? Pire encore, et dominant notre économie agroalimentaire, qu’en est-il de l’élevage industriel, qui transforme les animaux en matière première et insulte à la vie autant qu’à l’humanité ? Pas un mot dans le programme du FN : faut-il croire que la souffrance animale ne l’intéresserait que si des Juifs ou des Arabes sont réputés la provoquer ?

Quant à ceux qui me parlent de respect des traditions, je rétorquerai que depuis le Haut Moyen Age, voire l’Antiquité, de façon continue, l’on a pratiqué ce mode d’abattage sur le sol de ce qui est aujourd’hui la France. Même si les Juifs furent expulsés sous Philippe le Bel, le Comtat Venaissin et l’Alsace, qui ne devint française que sous Louis XIV, demeurèrent des havres de paix pour le peuple persécuté. Si même l’on ne remontait qu’à la Révolution et donc à l’émancipation des Juifs, alors on devrait admettre que la shehita, l’abattage rituel rabbinique, se pratique depuis plus longtemps en France que la corrida, introduite sous Eugénie de Montijo, l’épouse de Napoléon III. Cet argument ne tiendrait donc pas. En revanche, il apparaît comme évident que l’assimilation des Juifs à des éléments exogènes, en dépit des siècles d’histoire commune, relève de l’antisémitisme le plus élémentaire, celui qui au XIXe siècle vit dans cette présence incongrue une menace à l’unité nationale.

Il est à croire que ce qui n’est pas chrétien est forcément barbare pour ces bonnes âmes : au tout de la nation biologique et sociale s’ajoute un autre tout, dont le non-chrétien ne saurait qu’être citoyen de seconde zone. L’interdiction de la shehita équivaudrait d’ailleurs à la fin de toute vie juive en France. En somme, malgré l’affichage de son propre agnosticisme, Marine Le Pen continue donc de diriger un parti alliant à un réductionnisme biologique et social un légitimisme authentiquement réactionnaire.

 

2 Commentaires

  1. Alors, rien sur le racisme, l’Europe, ?
    Démonstration faiblarde, contre-productive même.
    Défendre les religions de cette manière prête le flanc aux accusateurs des communautaristes.
    En tout cas très déçu de cet article, clairement en deçà des précédents articles, justes, convaincants et extrêmement bien argumentés.

  2. Vous êtes complètement déconnecté ! Qu’est ce qu’il en a à faire le peuple de la nationalité unique, de l’abattage rituel, de l’interdiction des signes religieux et de la suppression des régions ? Rien, ce sont des détails (pour lesquels il est favorable de toute façon). On parle de survie face à la mondialisation, là, et vous invoquez votre communautarisme…