Paris Match. D’où vient votre passion pour le peuple kurde ?

Bernard-Henri Lévy. Elle est ancienne. Le peuple kurde incarne ce fameux islam des Lumières que nous sommes quelques-uns à chercher désespérément, et depuis si longtemps. Et puis il y a aussi, sans doute, ma fascination pour la bravoure, la grandeur, l’héroïsme – toutes ces valeurs que les peshmergas portent si haut…

A-t-il été compliqué pour vous d’aller tourner en Irak ?

Oui et non. Avec les Kurdes, j’ai la chance d’avoir une relation de confiance qui fait que nous avons pu être, dès le début des combats, le 17 octobre, en première ligne. Avec les Irakiens de la Division d’or, ça a été un peu plus compliqué ; mais nous avons, à l’arrivée, pu filmer à peu près tout ce que nous voulions filmer.

Vous aimez l’adrénaline que provoque le terrain ?

J’aime l’aventure et j’ai le goût des aventuriers. Les ­personnages qui me faisaient rêver, à l’adolescence, étaient T. E. Lawrence, Malraux, Garibaldi, Edgar Snow ou Xénophon, le soldat-écrivain qui raconte dans l’“Anabase” la retraite de ­soldats grecs fuyant la Perse. C’est une dimension qui a toujours été importante dans ma vie.

Que cherchez-vous à montrer avec ce film ?

La guerre. La vraie guerre. De l’intérieur. Mais l’idée est aussi que, si on veut vraiment se débarrasser de Daech et aller vite, il faudrait compter plus sur les Kurdes. Il y a eu, voulue par la coalition internationale, une sorte de division des tâches entre les Kurdes et les Irakiens qui n’est pas la meilleure configuration pour en finir avec l’Etat islamique.

Pourquoi les Kurdes acceptent-ils d’aller au combat alors qu’ils ont beaucoup à y perdre ? Par sens du sacrifice ?

Ils ont été les premiers, il y a deux ans, à stopper Daech. Aujourd’hui, ils continuent… A part ça, la différence avec les combattants irakiens c’est qu’ils font, eux, la guerre sans l’aimer et avec une grande économie de leurs forces et de leurs vies. Il y a un moment, dans le film, où on voit un homme de la Division d’or irakienne avec une croix gammée sur son blouson. On pourra toujours dire que c’est un vague symbole des anciennes religions perses, etc. La vérité c’est qu’il y a en Irak – comme en Syrie, en Egypte ou en Palestine – un “impensé” qui date de ce mouvement authentiquement nazi que furent, dans les années 1930, les Frères musulmans. Cette histoire a été refoulée après 1945. Une légende s’est répandue, disant que le fascisme fut une affaire européenne, sans vrai écho dans le monde arabe. Seulement voilà : quand vous occultez le réel, quand vous ne faites pas le deuil de votre histoire, elle fait retour…

Le cinéma vous permet-il de dire plus de choses qu’un livre ?

Je dirais plutôt que, pour un écrivain, tout est texte et qu’il écrit en images comme il écrit sur le papier. La vraie différence, bien sûr, c’est qu’il s’agit d’un travail d’équipe. Avec, en la circonstance, les mêmes coéquipiers que pour “Peshmerga” : François Margolin, mon producteur ; Camille Lotteau, Olivier Jacquin et Ala Tayyeb, mes opérateurs ; et puis mon ami Gilles Hertzog. Un film de cette sorte, c’est aussi une histoire de fraternité.

“Peshmerga”, présenté à Cannes, a été critiqué dans “Le Monde” pour sa vision “en noir et blanc” du conflit. Que répondez-vous ?

Je suis d’accord. Je ne fais pas des films pour être neutre. Si j’avais vécu à l’époque où mon père s’engageait dans les Brigades internationales, je n’aurais pas fait cinq minutes pour les ­franquistes et cinq minutes pour les républicains. Ou cinq minutes pour les juifs et cinq minutes pour les nazis. Alors, oui, c’est peut-être démodé d’être partisan, mais je suis partisan.

Les réseaux sociaux se moquent volontiers de vous car vous allez sur les zones de conflit en costume et chemise blanche. Cela vous amuse ou vous agace ?

Ça m’est égal. Je ne comprends même pas où est le problème. Je ne suis pas un combattant, je suis un écrivain qui se rend sur le front et qui tient, non un fusil, mais un stylo. Je n’ai pas à être en treillis.

Arrivera-t-on à éradiquer Daech ?

On l’a déjà fortement affaibli. On lui a brisé les reins en ­s’attaquant à ses camps d’entraînement et à ses centres de ­commandement. On a porté un coup fatal à son aura, à son attractivité auprès des petits cons de banlieue.

Vous dites “petits cons” de banlieue. Ce ne sont pas plutôt des gamins paumés ?

Il faut arrêter avec cette histoire de “paumés” et de “désespérés”. Ceux qui partent rejoindre Daech sont les fascistes de notre temps. Quand un jeune s’engageait dans les SA avant 1933, il n’était pas plus structuré que celui qui part en Syrie.

Ça ne vous désespère pas de savoir que Marine Le Pen sera forcément au second tour de la présidentielle ?

Etes-vous sûr à 100 % qu’elle sera au second tour ? On verra bien… Mais il y a une chose, en tout cas, que je veux dire. On répète partout que, avec le Front national, la stratégie du “cordon sanitaire” n’a pas marché. C’est faux. Quand il y avait, dans l’opinion, cette idée que le Front national n’était pas un parti comme les autres, ça marchait, le FN restait confiné. Maintenant, en revanche, qu’on le traite comme un parti normal, qu’on diffuse ses meetings en direct à la télévision, etc, il monte…

La bataille présidentielle est-elle perdue d’avance ?

Bien sûr que non ! La force du Front national c’est qu’il a des soutiens internationaux puissants : en gros, Trump et Poutine votent Le Pen – et ce n’est pas un mince renfort. Mais, en même temps, c’est un parti rongé par la corruption, médiocre, avec des tribuns de second ordre et des idéologues de cinquième ordre – et ça, en revanche, c’est sa limite. Je dis souvent que la chance des républicains d’aujourd’hui c’est que l’extrême droite n’a plus de grande voix pour la porter et qu’au lieu d’avoir Céline ou Drieu, elle a le pauvre Soral. Eh bien, de même pour le Front national : son vrai plafond de verre, c’est sa médiocrité. J’entends souvent dire qu’on est en train de revivre un remake des années 1930. Bizarrement, je ne crois pas. La vraie comparaison est avec les années 1910 : ce moment, avant la Première Guerre mondiale, où des peuples somnambules allaient doucement vers le néant. C’est peut-être Musil qu’il faut relire pour comprendre ce qui nous arrive. Ou Joseph Roth. Ces écrivains magnifiques qui livrent le récit poignant de la course à l’abîme des démocraties et qui nous donnent, en creux, des indications sur le moyen de conjurer la catastrophe.


« La bataille de Mossoul » de Bernard-Henri Lévy

Le samedi 4 mars à 18 h 35 sur Arte

Puis sur Arte+7

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Un commentaire

  1. Le film est ce témoignage précis, une fois de plus renouvelé, de l’horreur de la guerre, de ses morts et de ses destructions matérielles et morales, de ces populations affamées et rescapées du déchaînement de la barbarie des exécutions en masse, signe marqueur de la haine et du néant de la Ninive de nos jours, et qui une fois libérées du joug et de la pulsion de mort de Daesh retrouvent la parole et le mouvement, la joie du surir d’une petite fille.
    Elles le doivent pour beaucoup au sacrifice suprême des combattants Peshmergas, de ces Kurdes du Kurdistan autonome d’Irak, qui ont courageusement défié le Rien du Califat de Mossoul et l’ont défait à plusieurs reprises dans touts ses retranchements. Ils ont combattu pour les populations massacrées et chassées de cette région, ils l’ont combattu pour nous.
    Au contraire de ce qui a été dit dans une interview plutôt houleuse, le contexte de ce film est clair, parlant, pourvu d’une signification métaphysique, presque prophétique, qui le lie au passée, à la Ninive de Jonas, et qui projette l’avenir d’une ligne de partage qui est tracée à la fin, d’un socle de terre qui unit et fait vivre des populations à la fois proches et différentes.