Il paraît que nous sommes la terre-mère des Droits de l’homme. Au cas où vous ne le sauriez pas ; sachez-le désormais : la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen, c’est nous !

 

Il paraît que nous sommes le pays premier des libertés. Tous les hommes naissent libres, libres et égaux ; c’est encore nous ! Oui, nous, nous, nous ! Ce qui est beau, c’est la liberté, n’est-ce pas ; ce qui est beau c’est la vie, la vie dans la liberté.

 

La liberté. Il paraît que tout peut se dire ici, chez nous. Tout. Nous, jamais, jamais, peur de la vérité ! Liberté totale de penser ; liberté totale de dire ; liberté totale de dire la vérité ; liberté totale d’écrire la vérité ; la vérité, lumière et raison de notre verticalité, en accès libre ; jamais, jamais chez nous, la peur de la vérité.

 

Vraiment ? Vraiment ? Jamais, jamais le tremblement devant la vérité ? Et le Rwanda ? Mais comment ça, le Rwanda ? Oui, le Rwanda. Ah ! Encore le Rwanda ?

 

Le Rwanda. Que le nom du pays des mille collines soit évoqué, et durcissement, crispation assurée au fond de certains regards bien de chez nous, clos, fermés à double-tour comme des lieux d’oubli ; malaise et grimaces même de haine tenace, de haine allumée, de haine rallumée.

 

Le Rwanda. La haine en mouvement. La haine en mouvement, cette année-là. Et les cris, les cris des enfants, les cris des femmes, les cris des hommes, les cris des vieillards. Les cris… Les cris sans espoir de salut…

 

Le Rwanda et les cris déchirants de cette année-là ; les cris du néant comme une douleur qui refuse d’être étouffée, comme une douleur qui demande d’aller jusqu’au fond des choses, comme une incommensurable douleur, la mémoire traversant le temps et la distance jusqu’ici chez nous, pour dire la vérité, toute la vérité. Les cris. Les cris de ceux qui devaient mourir. Tous mourir. Les cris de ceux qui sont morts. Morts exterminés. Les cris de ceux qu’on voulait effacer une fois pour toutes de la surface de la terre pour crime de naissance.

 

Les cris de Ntarama… Les cris de Bisesero… Les cris de Murambi… Les cris de Nyamata… Les cris de Nyarubuye… Les cris hurlant tout ce que la vie peut hurler de désespérance devant l’effacement dans la solitude… Les cris… L’agonie…. Le temps de l’obscurité.

 

Et les ricanements… Ces ricanements… Les ricanements d’hommes à la machette. Les ricanements d’hommes, la rage démente, la machette à la main, frappant dans les corps comme on frappe dans les bananeraies.

 

Et nous ; nous, là-bas. Mais que faisions-nous donc là-bas, cette année-la ; cette année où cela fut ? Et qui donc d’entre-nous avait décidé, décrété que nous devrions être là-bas ? Et de quel côté étions-nous ? Du côté de ceux qui criaient, criaient le cœur déchiré de détresse ou du coté

de ceux qui donnaient les coups, labourant allègrement les corps et les destins sans pitié, les machettes aiguisées de barbarie, le gosier funèbre de haine sans nom ?
Il paraît que nous sommes le pays premier des libertés ; il paraît que tout peut se dire chez nous ; alors parlons, parlons du Rwanda. Parlons de l’année où tout cela fut ; parlons de l’année où nous étions là-bas. Parlons sans masques ni gants. Parlons sans crainte ni trouille de remuer la mémoire comme on retourne la terre pour semer l’avenir.

2 Commentaires

  1. Question : pourquoi personne – aucun journaliste, aucun intellectuel, aucun politicien – n’interpelle Alain Juppé, qui sera peut-être notre prochain président, sur son rôle en tant que Ministre des Affaires Etrangères au moment du génocide rwandais, la politique de la France pendant cette période soulevant des questions extrêmement graves… Va-t-on encore se taire, de la même façon que nous n’avons jamais réellement affronté la politique conduite par la France pendant la Guerre d’Algérie ?

  2. J’ai été au Ewanda, j’ai vu les Mémorials de Ntarama, de Nyamata, de Murambi et j’ai éprouvé une grande honte d’avoir toujours jugé la France le mère des doits de l’homme. Au Rwanda wllw perdu completement sa crdibilité!
    Mauro Matteucci, frère de Yolande Mukagasana