Quel étrange débat.

Et, à la fin, quel tintamarre.

Il y a les bons docteurs, Brauman et autres, qui ont vu dans la kippa un signe d’«allégeance» à la politique d’un Israël satanisé.

Il y a les sournois qui, comme à l’époque, en 2012, où Marine Le Pen voulait rafler dans les filets d’une même loi les fanatiques du voile et les partisans de la kippa, en ont profité pour insinuer que cette kippa était, non moins qu’un tchador ou un niqab, un signe «ostentatoire».

Il y a eu ce moment de grande indiscrétion où la société tout entière s’est vue prise à témoin d’une querelle vieille comme le vivre-juif et comme ces rabbins qui, en Lituanie, en Galicie, ailleurs, ont toujours eu à arbitrer entre le commandement (récent) de se couvrir le chef et celui (bien plus ancien car il a l’âge de Noé) de penser à sauver sa tête quand les pogromistes sortent les couteaux.

Il y a eu cette agitation, le plus souvent bien intentionnée, et semée de quelques beaux gestes (un président de la République jugeant «insupportable» que des Français aient à «se cacher»… un Premier ministre s’engageant à protéger, sur tout le territoire, ses concitoyens ciblés par le fascislamisme… un club de supporters répondant à l’appel d’un grand rabbin de France… un écrivain qui, lorsqu’il entend l’inculture des nervis de cette nouvelle barbarie, sort, d’un même élan, sur un plateau de télévision, son Levinas et sa kippa…), il y a eu tout ce psychodrame, donc, autour de ce morceau d’étoffe promu au rang d’objet transitionnel ou de totem d’une République lassée de soi (la kippa c’est la France… nous sommes tous des juifs à kippa… cette pluie de hashtags vertueux qui ont disparu de la Toile aussi vite qu’ils y avaient fleuri… sans parler de ces calottes floquées aux couleurs de l’Olympique de Marseille, ou customisées à l’effigie de Batman, auxquelles nous n’aurons pas non plus échappé…).

Et puis il y a eu (il ne faudrait évidemment pas l’oublier, car c’est par là que tout a commencé!) ces émules du gang des barbares, ces suiveurs de Mohamed Merah ou des tueurs de l’Hyper Cacher, pour qui le port de la kippa, la vraie, vaut désormais permis de tuer.

Eh bien, face à ce vacarme dont je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’auraient dit, s’ils vivaient, quelques uns des grands porteurs de kippa – Benny Lévy, André Neher, Léon Ashkenazi… – qu’il m’a été donné de rencontrer, j’aimerais rappeler quelques vérités d’histoire et de pensée.

Que la kippa, par exemple, est, pour ceux qui la mettent et dont je ne suis pas, un signe, non de soumission, mais de séparation.

Que ce que la kippa sépare c’est, d’un côté, le corps du Sujet et, de l’autre, le ciel qu’il n’atteint pas et la terre qu’il n’habite qu’en vertu d’infinies précautions.

Que le port de la kippa, parce qu’il est l’épreuve de cette séparation et de cette frontière, parce qu’il est une des modalités de cette coupure sans rupture, de cette délimitation de soi, qui sont au cœur de l’esprit du judaïsme, parce qu’il dit, en somme, que le monde n’est pas une grosse substance où se mêleraient en une paresseuse unité les choses d’ici-bas, les noms du Très-Haut et le soi qui les envisage, n’est pas un geste sacré mais, au sens propre, un geste saint.

Que sainte est, en particulier, l’inscription de ceux qui attachent du prix à cette affaire de kippa, non dans les lieux de la terre, mais dans la longue, très longue durée des siècles où ils puisent inspiration et force ; non dans l’espace qu’explorent, jusqu’à la nausée, nos infatigables webcams et dont il y a, au fond, de moins en moins à dire, mais dans ce temps, cet autre temps, où vivent celles et ceux qui sont encore capables de rêver sur la théorie pascalienne des deux infinis, sur la vertigineuse découverte proustienne d’une durée qui est la vraie maison des hommes ou encore (et cela revient rigoureusement au même…) sur une page du Talmud où on se demande, comme dans les temps immémoriaux, pourquoi Rabbi Akiba voulait que deux gouttes de lait tombent sur un morceau de viande, tandis que Rabbi Eliezer disait trois.

Et puis je veux rappeler enfin qu’il y a là une aventure singulière, propre à chacun, qui est une odyssée de l’esprit autant que de la chair et du corps et dont les agents de cette mise à mort moderne du temps n’ont plus la moindre idée. Fichons la paix aux Français porteurs de kippa.

Que la République les protège, que leurs amis les défendent mais qu’on les laisse vivre, comme ils ont appris à le faire dans la lenteur des siècles, leur face-à-face avec les mondes.

Il y a là un bout de tissu, une particule de matière que j’ai envie d’entendre aux deux sens de la particule: celui qui dit la petite partie, le symbole minuscule, à peine visible – et celui qui, dans le même mot, exprime la distinction et la noblesse.

Eh bien le secret de cette particule, sa contribution discrète à l’embellissement d’un monde dont Baudelaire croyait déjà qu’il était en train de finir dans l’indifférenciation splénétique d’une humanité sans Autre, l’intensité de ce qu’elle ajoute à l’économie de l’être et des nations, sont choses bien trop précieuses pour être jetées en pâture à une Opinion qui mélange tout.

Ceux qui en sont porteurs, ceux qui ont choisi de vivre leur libre pérégrination d’humains dans l’ombre claire de la kippa, laissons-les bâtir sereinement, patiemment, dans le temps, leur part du monde qui vient.

13 Commentaires

  1. Mr Bauman la Kippa serait elle 1 allégeance à Israël ce ne serait q’1 allégeance à l’exemple de démocratie que représente ce pays encore que moi qui en porte 1 mon allégeance va surtout vers le raffinement culturel de la civilisation occidentale et surtout française ex:d’ormesson,Baudelaire ,proust Sartre Montant greco vous. Pvez aller en Israël et débiter vos contres vérités vous ne serez pas pour autant étêté car alors comment ferions nous pour que s’éveille notre judéo-consience

  2. Je suis sioniste comme la France pouvait l’être en 1948, sans en éprouver de la honte.
    Je suis sioniste et, comme la France, je préférerai toujours avoir tort avec Ben Gourion plutôt qu’avoir raison avec Jabotinsky.
    Je suis sioniste, et donc, je ne prône pas une relation équidistante avec les deux entités que sont le gouvernement de la démocratie israélienne et le groupe terroriste Fatah.
    Je suis sioniste, et que cela ne m’empêche pas d’être mille autres choses en même temps!
    Je suis sioniste et, entre mille néoblasphèmes, je réclame pour ces Judéens croyants et mécréants qui firent l’objet d’une extraction de l’Histoire bimillénaire frôlant le négationnisme, une bonne moitié du royaume de David, prénom porté, entre mille autres agents messianiques, par l’un de nos derniers héros, dur à porter pour qui n’aurait pas conscience : 1) de sa simple mortalité; 2) que l’état de monarchie, loin de transmettre au monarque les attributs de Dieu, lui lie les mains avec les rênes de ce monde afin de rabaisser chez lui toute prétention à tirer sur la corde du monde à venir.
    Je suis sioniste et néanmoins citoyen d’une France laïque dont je souhaite que l’État juif puisse un jour s’inspirer du modèle, en d’autres termes, qu’il ait absorbé les Lumières en assez grande quantité pour que l’égalité des droits dévolue à ses minorités CULTUrELLES ne représente plus pour sa population un principe létal; pour ma gouverne, je me rappelle qu’Israël est le genre d’État dont un citoyen peut appeler à la destruction et, dans le même temps, siéger au parlement, or je ne suis pas certain que le mien, d’État, tolérerait qu’un Fabien Clain se déclare candidat en vue de ses prochaines législatives.
    Je suis sioniste, et je connais la fragilité des métaboles qui furent à l’origine du symbole de Nicée dès l’instant qu’on les remet à leur place, une place à l’évidence trop haute pour qu’un simple mortel aille poser ses dessous dessus, une place irremplaçable donc, une place dont ceux qui se sont sentis capables d’irrésider, s’ils n’ont pas démérité, devraient bénéficier d’autant plus de respect de la part des sujets d’un premier moteur sur la tête de qui Rabbi Iéshoua‘ versa une tegou de sa lehui d’angevide.
    Je suis comme je suis, je suis fait comme le ça, quand j’ai envie de rire de moi, oui je ris aux éclats de voix, intérieurement s’entend, c’est ça, vous avez bien entendu, j’entends des voix, des qui voient, d’autres qui dévoient, la République est fragile de sa force, elle ne place plus à sa tête un Oint qui vous soumet à Son infinité excluante, elle ne demande pas à celui ou celle qui la préside de prêter serment sur le mont Sinaï mais — retour de bâton prophétique — en cas de transgression au principe de tolérance des diverses versions du Seul Dieu, son leader ne fait pas le poids face à la toute-puissance qui le conteste, aussi juste qu’il soit, sa geste ne pèse pas lourd dans la balance des gesticulations procédordurières, à moins qu’il ne foute un coup de pied au cul de tout entriste antirépublicain qui chercherait à remettre en cause le principe de séparation des Églises et de l’État découlant du principe de séparation des pouvoirs car, citoyennes, citoyens, l’État c’est vous, l’État c’est moi, l’État, en République authentique ne fait ressentir à aucun être humain qu’il y aurait une version de Dieu qui en forcerait d’autres à se prosterner devant elle, ce qui soulage les minorités d’humiliations indignes, ce qui épargne à la majorité l’indignité dont la frapperait sa méconnaissance du statut des humbles.

  3. La République ne considère-t-elle pas que la religion est une affaire privée ?
    Kippa et voile islamique (et autres) devraient rester chez soi. Seuls les guides en religion (prêtres, imams, rabbins, etc) devraient être autorisés à porter en public des vêtements ou des signes distinctifs de leur appartenance. Nous aurions moins besoin de mobiliser tous les acteurs de sécurité, et nous aurions tout à y gagner y compris en termes financiers. L’argent (que l’Etat n’a pas !) pourrait servir à autre chose de bien plus utile.

  4. Monsieur BRAUMAN, vous êtes, vous, israélien de naissance, à côté de la plaque, lorsque vous prétendez que le port de la kippa est une forme d’allégeance à ISRAEL.
    Le mal -être que vous portez depuis des décennies ne vous donne aucune autorité morale ou intellectuelle.
    « Le silence est d’or et la parole d’argent. » Méditez cette parole sage. Tout ce que vous dites n’engage que vous et le drame c’est que vous le savez bien.
    De grâce, Redevenez sage : vous avez tant à vous faire pardonner

  5. Monsieur BAUMAN,je me vous suis pas;comment in intellectuel que vous SEMBLAIT être peut il avancer de telle ineptie si ce n’est pour nuire à un peuple qui place son SHALOM à toute occasion.Je vous en conjure venez apprendre à le connaitre.
    Shalom

  6. Je suis en train de lire votre « La Guerre sans l’aimer ».
    C’est remarquable.
    Je tiens à vous le dire.
    Voilà. Ce sera tout.

  7. On nous pousse à l’uniformisation sous prétexte de laïcité. Ce n’est pas là le signe d’une démocratie en bonne santé…

  8. La kippa n’a rien à voir avec une allégeance à Israël, comme l’a déclaré M. Brauman ! Luttons contre la politisation des religions. Luttons pour la laïcité, pour le respect des religions.

  9. En effet, quel tintamarre inutile ! Pourquoi, alors qu’un enseignant s’est fait attaquer à la machette, le débat qui suit est si les juifs doivent continuer de porter la kippa ?? Pourrait-on parler du véritable problème, à savoir la montée des extrémistes et du radicalisme, le repli communautaire ?

  10. La kippa n’est pas une provocation, même si c’est un signe ostentatoire puisque visible.

  11. Bravo et merci ! Ce n’est pas à nous de changer, c’est à la République de nous protéger.