En 1979, Elton John inaugure sa tournée «To Rush Away Elton» en brisant le rideau de fer ! La perestroïka n’est encore qu’un concept à l’étude, en attente et stocké au rayon surgelé Sibérie & Goulag.
Elton s’en fout. Il sera la première rock star à se produire en URSS à Moscou, puis à Saint-Petersbourg. La virée musicale d’Elton chez les Popov’ est filmée et le court documentaire est diffusé sur Antenne 2. Très tard. Un homme est devant son poste de télé. C’est Michel Berger. Comme Elton, il est pianiste, compositeur et chanteur.
Soudain, la rock star british se lève et, debout, presque rageur, continue de marteler son clavier en vocalisant dans son micro. Ce soir là, il y a de l’orage dans l’ère soviétique et la machine à tuer les fascistes se nomme Steinway & Sons. – « Sons of a bitch ! » n’est pas dans le texte original de Back In Ussr, le titre Beatles inscrit au répertoire d’Elton… Mais…
La caméra quitte le pianiste anglais pour se focaliser sur un rang privilégié où une équipée d’officiels en grands uniformes bardés de décorations vient de prendre place. Les moujiks pouilleux ont été chassés par la sécurité. Elton a-t-il perçu cette injustice ? Sa version, plus agressive et rageuse, invective ces généraux d’un autre temps. Elton est le soldat du monde libre.
Pour Michel Berger, c’est le point de départ d’un de ses plus grand succès : Il jouait du piano debout. Voilà un titre qu’il va offrir à sa France. La Lollipop des années 60, alias Annie, qui courait au drugstore s’acheter des sucettes à l’anis. Et il se pourrait bien qu’après tant d’années et tant de malheurs, cette chère France Gall revienne enfin, vitale et vivante, conquérir la plus haute place d’un hit parade dont elle fût la reine majestueuse et la muse inspiratrice.
Dès fin octobre, la nouvelle génération autant que les fans, redécouvriront au Palais des Sports, la magie du tandem France Gall & Michel Berger lors de la comédie musicale « Résiste », alignant l’impressionnante collection des tubes créés par Berger.
Voilà donc, en repérage affectueux, notre histoire de France revisitée par votre serviteur.
Aux USA, il y a eût la famille Jackson (Michaël, Germaine, Brando, Jérémie, Tito, Janet). Carrière téléguidée par Joe, le papa. Chez les Gall, le show business est aussi une affaire de famille. Le grand-père de France Gall créa les Petits Chanteurs à La Croix de Bois et Robert Gall, le père, écrivit les paroles de La Mamma, pour Aznavour et celles du Galérien, pour les Compagnons de la Chanson.
Cécile, la maman d’Isabelle (le vrai prénom de France) est une bonne chanteuse qui inculque à ses trois enfants, une formation musicale.
Avec ses deux frères, France (Née un 9 octobre 1946) apprend, guitare, piano, solfège et, en novembre 1963, coaché par son daddy, elle sort à 17 ans, son premier 45 tours « Ne sois pas si bête ».
Productions, éditions, séances d’enregistrement, tournées, promotions… Les Gall vont propulser France en haut du podium grâce à un travail d’équipe. En 1964, elle devient la rivale de Sheila et de Sylvie Vartan, grâce à son père qui lui compose un tube sur-mesure, Sacré Charlemagne !
Denis Bourgeois l’éditeur de Serge Gainsbourg organise une rencontre avec Robert et France Gall. Serge a 36 ans, il végète dans un répertoire consacré à des artistes Rive Gauche (Gréco, Isabelle Aubret, Michèle Arnaud) et saisit l’opportunité de sauter dans la Loco-motion des Yéyés.
Après des demi-succès, c’est le jackpot ! Serge compose Poupée de cire Poupée de son (hommage ironique aux disques en vinyle) et France passe à l’ennemi : boudée par le comité de sélection français, elle défend la chanson à Naples, sous les couleurs du Luxembourg. France remporte le premier prix de l’Eurovision devant 150 millions de téléspectateurs, le 20 mars 1965.
A Paris, son petit ami, Claude François a suivi le show en direct. Ne parvenant à la joindre que très tard à son hôtel, il explose de colère :
« Tu n’as pas chanté juste… Tu n’étais pas dans le bon tempo… »
France laisse passer l’orage : Clo Clo ne supporte pas sa réussite.
Lorsqu’elle quittera Claude, il s’écrira le plus grand chagrin d’amour devenu le plus gros tube de l’univers My Way.
A cet automne 1966, la chanson Poupée de cire est exportée, traduite en six langues. France est adulée par les japonais, les allemands, les portugais, et à 19 ans, France Gall est élue la meilleure chanteuse pop de l’hexagone.
Sur la photo historique de Jean-Marie Périer, shootée le 12 avril 1966 à 16h 09, qui rassemble les 47 vedettes préférées du magazine Salut Les Copains, France est assise non loin d’un petit frisé discret : Michel Berger, l’un des benjamins de la bande.
En haut de la tribune des idoles, Gainsbourg, presque quadragénaire prouve deux choses : « Il est le seul parmi les vieux tels que « Aznavour, Brel, Nougaro, Distel » à vampiriser la nouvelle génération ! »
« Grace au succès et aux dollars, il est devenu beau, sexy, génial … Merci France ! »
En revanche, pour la Poupée Gall, la photo de classe marque la fin d’une époque. Et une longue traversée du désert qui va durer sept ans.
Juin 1966 : Gainsbarre l’espiègle, au nez et à la barbe de tous, lui glisse un nouveau titre dans la bouche, Les Sucettes : « Et quand le sucre d’orge, coule dans la gorge d’Annie, elle est au paradis. »
Les médias ne vont pas être tendres avec France : elle se rend compte que Serge a joué de sa candeur et en sera mortifiée. Pour se faire pardonner, Gainsbourg lui offrira un bracelet Hermès. Pourtant, la censure officielle ne relève pas le second degré fellatoire des sucettes et concentre son anathème sur L’Amour avec toi de Michel Polnareff aux paroles plus directes.
Artiste précoce, France souffre de cette manipulation et de cette docilité qui l’asservit depuis l’adolescence. Rien de son art (à part sa voix) ne lui appartient vraiment.
La cage dorée familiale lui pèse : Il est temps de grandir…
Amoureuse de Julien Clerc, elle va jouer une dernière fois le rôle discret de la fiancée secrète pendant quatre ans. Comme lors de sa liaison avec Cloclo, elle sait qu’il faut laisser croire aux fans que leur chanteur préféré est cé-li-ba-tai-re !
Jusqu’en 1974, France continue son métier en espion confidentiel : elle observe, absorbe, dissèque, travaille avec ses frères… Toujours affutée sur les sorties musicales, les hit-parades, les nouveaux talents. Elle quitte Julien qui lui dédiera (encore un !) sous la plume de Roda Gil, un hymne à l’amour blessé mais reconnaissant : Souffrir par toi, n’est pas souffrir.
Le temps de Michel est arrivé.
Michel Hamburger dit Berger, est un compositeur, arrangeur, producteur très courtisé. En 1973, sur la demande de Françoise Hardy, il lui compose Message personnel qui devient un gros succès discographique. Michel émerge d’un immense chagrin d’amour. Son amante, amie, partenaire, Véronique Sanson l’a quitté pour Stephen Stills, le folk rockeur du quatuor Crosby, Stills, Nash & Young.
France est libre, Michel aussi… Et alors ? Le futur couple esquisse les manœuvres d’approches à la vitesse d’un TGV paralysé qui ferait marche arrière sur des œufs géants. Ce n’est pas de la timidité… C’est de la délicatesse…
Ils se croisent depuis longtemps, fréquentent les mêmes concerts, les mêmes copains musiciens… Elle a 27 ans, lui idem… Il est directeur artistique chez WEA Fillipacchi. France a quitté Philips pour signer dans le même label. Vite, elle lui demande d’écrire des titres : si Michel ne refuse pas, il joue les prolongations, argumentant sa propre carrière de chanteur qui stagne (Il n’a jamais fait de tubes !), son rôle de directeur artistique et surtout le grand projet de sa première comédie musicale Angélina Dumas (qui deviendra Starmania).
Michel propose à France de chanter sur l’un de ses titres : Mon fils rira du Rock’n’roll, figurant sur son deuxième album. Le duo continue de se voir et au cours des séances de travail, Michel est conquis par la ténacité charmante de France. Et son talent aussi. Quand elle se donne à fond dans une chanson, quelque chose d’électrique, groovy et de pétillant, irradie de sa physionomie ; Berger constate :
L’instinct de la chanteuse pop … J’ai compris qu’elle avait grandit !
Au fil des semaines, des mois, ils se guérissent tous les deux : Michel peut orienter toute sa création « féminine » sur sa nouvelle partenaire qui renvoie très bien la balle et habille son répertoire avec swing et tempo. France, après toutes ces années de doutes et de ruminances, a enfin trouvé son jumeau artistique, mental, le metteur en scène et en fête, de sa renaissance et de son apaisement.
Le pygmalion amoureux lui offre La déclaration, qui sort en août 1974. Deux ans plus tard, c’est en duo qu’ils font un hit : Ca balance pas mal à Paris et le duo se marie le 22 juin.
Grace à son Berger, France se réconcilie avec la musique qui devient SA musique.
Les thèmes des chansons sont souvent un hommage aux mélodies populaires, à ceux qui les créent : Tout pour la Musique, Débranche, La groupie du pianiste, Calypso, Il jouait du piano debout, Ella, Celui qui chante, Le chanteur abandonné, Chanter pour ceux qui sont loin de chez eux …
Berger a l’esprit de famille et du clan musical. Il organise autour de France, au studio d’enregistrement Gang et en scène, une brochette fidèle des meilleurs instrumentistes Français : Jannick Top à la basse, André Sitbon ou Pierre Alain Dahan à la Batterie, Gérard Kawcsynki, Denis Lable ou Claude Engel aux guitares, Marc Chantereau aux percussions, Michel et Georges Costa aux chœurs, Michel Bernholc, Serge Perathoner aux claviers, Michel Gaucher au saxo… Ils seront tous là, à jouer en live, sur la scène du Palais des congrès pour la première de Starmania en avril 1979.
Et arrive cette nuit blanche où Michel voit rouge devant son poste Sony : Elton au pays des soviets.
Ray Cooper, le percussionniste de Phil Collins, de Sting, de David Bowie, l’accompagne sur scène. Le documentaire filme Elton à la rencontre de la Nomenklatura, mais aussi du peuple russe, privé pendant tant d’années de pop music. Beaucoup pleurent ces siècles de censure, soudain volatilisés par la magie d’un homme seul au piano.
Pour Michel, l’image est un message urgent et le refrain s’impose :
– Il jouait du piano debout, quand les trouillards sont à genoux et les soldats au garde à vous… Simplement, sur ses deux pieds, il voulait être lui …
La phrase est anthologique : Pour les profanes, elle est teinté de démagogie, à peine un protest song, mais pour les aficionados des pianistes rockeurs, il y a en mémoire, les précurseurs, Fats Domino, Little Richard, Jerry Lee Lewis, Ray Charles, qui se sont levés de leur tabouret dès 1956 ; la manière à eux d’esquisser un bras d’honneur au W.A.S.P (white ango-saxon protestant) qui les méprisaient. Nous, outre-Manche, nous avions un type virevoltant sur son clavier qui semblait avoir le posté-rieur branché sur 110 volts, Gilbert Bécaud.
Avant sa disparition en août 1992, Michel avait enregistré avec France un album duo Double Je. Ils désiraient se produire en scène ensemble, entourés de leurs amis musiciens. Le cœur de Michel a lâché. Trop tôt. Trop jeune. Trop fort. Sans oublier, Pauline, leur fille, atteinte d’un mal incurable qui s’enfuit à son tour, vers les paradis blancs. Il n’y avait plus rien à ajouter.
Quand la peine est trop lourde, trop injuste, celle qui reste ne désire que le silence, l’exil et le retour sur soi.
On sera tous là, octobre 2015, pour le retour de France Gall au Palais des sports. Même si, elle restera en coulisse, pour encourager sa troupe. Je lui souhaite le même succès que la comédie musicale, Mama Mia du groupe Abba ou, mieux encore, celle de Berger & Plamondon, Starmania. Des titres sensationnels. Bravo.
Résiste, La groupie du pianiste, Si maman si, Débranche, Musique, Il jouait du piano debout, Viens je t’emmène…
Retrouvez pour la première fois dans une comédie musicale les plus grands succès de Michel Berger et France Gall.
Un show unique qui mêle humour, émotion et danse sur une histoire originale créée par France Gall et Bruck Dawit. Avec… Léa Deleau, Victor Le Douarec, Gwendal Marimoutou (The Voice), Élodie Martelet (The Voice) et Corentine Blanckeart …
Bonsoir;bel article,par contre la tournée d’Elton s’intitule To Russia With Elton