La scène se déroule dans le confort d’une suite de l’hôtel Bristol. Asia Argento nous attend là, les pieds sur le canapé, l’œil rieur, la bouille d’une petite enfant qui vient de faire des bêtises. Nous sommes en Juin 2013.
L’interview commence. Nous nous rencontrons à l’occasion d’un portrait pour les Inrockuptibles. J’avais demandé à Pierre Siankowski, mon rédacteur en chef de l’époque, ce qu’il voulait que je ramène. Il avait ri, m’avait dit « laisse un peu faire le destin ! ». Je comprendrai plus tard qu’il était inutile de préparer mes petites questions sur mon carnet Moleskine. Il fallait y aller autrement avec ce genre de « clientes »…
De sa voix rauque, Asia Argento parlait beaucoup. Un peu en italien et un peu en anglais, beaucoup en français. Elle se levait pour prendre des fraises et du champagne, changeait la musique. La muse alternait entre l’âpreté du rock garage et de longs vrombissements électro indéfinis. Il faisait chaud. Je me disais « Il aurait fallu apporter une caméra pour filmer ça ! ». Asia ne semblait pas se forcer. Elle était dans son élément. Il y avait certes le glam obligatoire pour séduire la presse, le jeu avec sa facette furieusement rock and roll (jamais usurpée) mais surtout beaucoup de réflexions inattendues. Je crois qu’Asia en avait simplement marre des interviews calibrées où l’on doit donner à manger au journaliste : un bon titre, des déclarations fracassantes. Du coup nous avons discuté. De tout. De ses parents, Dario et Daria, de leur histoire et de son enfance, de spiritualité, de musique (Brian Molko), de filles superbes (Charlotte Gainsbourg) et de leurs maris (Yvan Attal), d’Italie et de sa fille Anna Lou.
Dans l’ordre ou dans le désordre, on retrouve toutes les obsessions de l’italienne fantasque dans son dernier film en date, actuellement à l’affiche,l’Incomprise. L’incomprise où l’histoire d’Aria, petite fille d’un acteur à succès chéri par les minettes, et d’une pianiste mangeuse d’hommes, accro aux drogues, plus préoccupée par sa toilette du soir que par le sort de sa petite dernière. L’action se déroule en Italie, au tout début dans les années 1980. La petite Aria est pré-adolescente, vive d’esprit, espiègle, grave et légère à la fois. Une enfant… Une enfant qui voit clair dans le jeu des adultes, leurs jeux sexuels, leurs envies de gloire, leurs addictions, leurs faiblesses. Aria, double imaginaire de la réalisatrice dont elle ne change qu’une lettre au prénom (Asia) et qui plus est son deuxième prénom[ref]Le nom complet d’Asia Argento est Asia Aria Anna Maria Vittoria Rossa Argento.[/ref], s’éprend d’un chat noir qui devient le centre de son attention. Elle l’appelle Dac, le trimballe partout, du domicile angoissant de son père à celui décadent de sa mère. L’enfant fait ses expériences. Elle vide les coupes de champagne les soirs de fêtes, fréquente les squat et les freaks (un transformiste, un sosie de Michael Jackson, des bimbos refaites) auxquels elle lance cette phrase magnifique : « Quoi, vous n’avez jamais eu une enfant ? ». Tout l’humour d’Asia Argento résumé en une phrase. De la chronique sociale, un certain penchant pour la beauté puis, lui succédant immédiatement : l’envie de tout saloper. Mais surtout : l’humour qui désamorce tout.
On ne va pas tourner autour du pot : Aria est Asia ! Bernardotte et son regard inquiétant, c’est bien Dario Argento. Et cette pianiste, grande tige décadente subtilement incarnée par Charlotte Gainsbourg, une réincarnation de sa mère. Et pourtant la réalisatrice brouille les pistes, s’amuse, change les lieux, fait de l’enfance de sa petite héroïne un lieu commun à tous les spectateurs. Jolie performance, servie par une bande-son très travaillée. Du cinéma italien loin des clichés !