L’écrivain Emilie Frèche était vendredi sur France 2 l’une des invités de l’émission Ce soir ou jamais pour répondre à cette question : « Faut-il interdire Dieudonné ? ».  Son passage a déclenché un flot de tweets injurieux. Auteur de plusieurs romans dont Deux étrangers (Acte Sud, prix Orange 2013), et 24 jours, la vérité sur la mort d’Ilan Halimi (Le Seuil), Emilie Frèche a publié ces jours-ci deux tribunes dans Le Point et Le Monde qui lui ont valu menaces et insultes.

Entretien

Depuis quand êtes-vous victime d’une campagne d’insultes et de menaces sur les réseaux sociaux ?

Emilie Frèche : Je ne suis pas victime. Je suis la cible de ceux qui, au nom de la liberté d’expression, voudraient que les antisémites aient une tribune dans notre pays. Nous devons leur rappeler que l’antisémitisme, comme l’islamophobie et toute autre forme de racisme, n’est pas une opinion mais un délit puni par la loi.

C’est ce que j’ai dit à l’écrivain Benoït Dutreutre dans un article publié par Le Point. Il ironisait sur la montée du péril fasciste et minimisait les insultes racistes proférées à l’encontre de Christiane Taubira. Je lui ai répondu que les mots ont toujours un sens, qu’en l’espèce ils creusent le sillon de la haine et qu’ils peuvent aussi tuer.

La tribune que j’ai écrite le 7 janvier au lendemain de la quenelle d’Anelka déplorait la solidarité du footballeur avec un homme qui, depuis dix ans, a fait de la haine des juifs son fonds de commerce. Ces deux prises de position qui me semblent relever du bon sens, ont déclenché un torrent de haine.

Vendredi dernier, vous étiez invitée à vous exprimer dans « Ce Soir ou Jamais », l’émission présentée par Frédéric  Taddeï sur France 2. Concrètement, qu’a engendré votre passage dans l’émission ?

J’ai reçu des messages d’une violence rare : « Emilie Freche qui ressemble à une actrice de porno raté [sic] a comme Haziza besoin de sa cure de Zyclon B », « Emilie Freche est coupable de la Shoah, ça se voit sur son visage », « T’es une grosse salope sioniste pour faire carrière » etc. Je vous épargne les centaines d’autres messages du même ordre.

Mais, dans le même temps, et c’est ce qui me rassure, ce flot de haine a déclenché une rafale de soutiens amicaux venant de tous bords.

Vous avez fait le choix de participer à cette émission pour faire entendre une position forte autour de l’affaire Dieudonné. Pourriez-vous la résumer ?

J’ai dit trois choses. Premièrement, l’antisémitisme comme toute autre forme de racisme n’est pas une opinion. J’en ai marre de vivre dans un pays où on peut entendre dans un théâtre que les juifs sont des porcs, à l’occasion du déplacement d’un ministre, que les noirs sont des guenons ou dans la bouche d’un responsable politique, que les musulmans sont des voleurs de pains au chocolat. La parole raciste n’a jamais été aussi libérée qu’aujourd’hui et dès qu’on la dénonce, on est accusé d’être des censeurs.

Deuxièmement, j’ai dit que l’antisémitisme ne se traduisait pas seulement par des mots mais par des actes dont les Juifs de France étaient victimes au quotidien. La Commission nationale consultative des droits de l’homme a enregistré une augmentation de 58% d’actes antisémites sur l’année 2012.

Enfin, j’ai dit que cette polémique sur l’interdiction des spectacles de Dieudonné ne devait pas se tenir sur le seul terrain juridique mais nous posait aussi une question d’éthique. Le combat contre le racisme ne se fait pas uniquement dans les tribunaux, il est quotidien et appartient à tous les citoyens.

Interrompant le débat en cours d’émission, F. Taddeï a accordé ce qui ressemble à un traitement de faveur à Marc-Edouard Nabe : un entretien en tête-à-tête. Face caméra, vous avez dénoncé ce traitement de faveur…

J’ai regretté que Frédéric Taddeï invite Marc-Edouard Nabe qui, s’il n’a pas débordé sur le plateau, a écrit dans son livre Au régal des Vermines, des choses aussi horribles que : « Les pédés, je les hais », « les attentats antisémites ne sont que des rots bruyants », ou encore « L’Afrique est pleine de ces nègres, ces sales Noirs mal blanchis ». Aucun des invités n’avait été prévenu de sa présence. Dans le contexte délétère actuel, faire venir un écrivain aussi xénophobe m’est apparu comme une provocation irresponsable. J’ai eu le sentiment que Frédéric Taddeï disait aux racistes qu’ils auraient toujours droit de cité dans cette émission.

C’est aussi parce que vous approuvez la décision du Conseil d’Etat d’interdire les spectacles de Dieudonné que nombre d’internautes vous attaquent. En tant que créateur, l’écrivain ne devrait-il pas plutôt défendre la liberté d’expression ?

La liberté d’expression est évidemment fondamentale. C’est l’essence même de mon métier. Et ce qui la garantit, ce n’est pas qu’elle soit totale, à mon avis, ce qui d’ailleurs n’existe dans aucune démocratie, mais que les restrictions qu’on lui porte soient exceptionnelles et encadrées par le droit. En l’espèce, il me semble que ces deux conditions étaient réunies. Je suis pour la liberté d’exprimer, pas pour la liberté d’inciter à la haine raciale.

8 Commentaires

  1. Elle a raison cette dame, pourquoi un traitement de faveur pour certains invités?
    Honte à ceux qui ne communiquent qu’avec l’insulte et la violence, comme tous les soutiens de Dieudonné sur le net, avec eux impossible d’avoir un dialogue.

  2. On peut parler de débat lorsque toutes les parties sont représentées sinon il s’agit d’une réunion entre copain.

  3. J’ ai rarement lu des questions aussi orientées, je ne vous félicite pas Mr Laurent David Samama.
    C’ est bien vous Mr qui avez écrit il y a peu sur un site dont j’ ai oublié le nom que F. Taddeï pour avoir invité Soral ou Dieudonné devrait être pour partie, jugé responsable du succés des 2 « affreux » ?

    J’ ai vu le Ce Soir ou Jamais dont vous parlez, Mme Emilie Frèche ne s’y est pas montrée sous son meilleur jour, refusant la plupart du temps de débattre ou même d’ écouter les autres intervenants, même dans une émission pliée d’ avance vu le peu de défenseurs de Dieudonné présents sur le plateau de CSOJ.
    F. Taddeï s’est expliqué quant à son interview de M. E Nabe seul, vous faîtes donc semblant de ne pas savoir que FT ne voulait pas mettre ce « cerveau malade » avec les autres invités ?

    F Taddeï invite aussi Eric Zemmour à CSOJ, pourtant lui aussi a été condamné par la justice pour incitation à la haine raciale. Mais pour le cas Zemmour personne n’ y trouve rien à redire, parce qu’il est aussi journaliste au Figaro ?
    Pour moi Ce Soir ou Jamais est la meilleure émission du PAF, c’est même la seule pour laquelle de nombreux fans dont je suis disent être fiers de payer leur redevance, l’ émission dans laquelle sont invitées des personnes comme BHL, Marc Edouard Nabe ou beaucoup d’ autres !

    Hier soir j’ ai lu sur internet que CSOJ allait être remplacé par un talk-show animé par Alexandra Sublet ..
    Les bras m’ en tombent, nous ne sommes pourtant pas le premier Avril.
    Si l’ info se confirme, sûr que de nombreux français verront dans cette mise au placard de F.T une réponse à son invitation de M E Nabe à l’ émission de la semaine dernière.
    J’ espère de tout cœur que cette info n’ en est pas une .

  4. Bonjour,
    J’ai trouvé le débat du dernier “ce soir ou jamais” de Frédéric Taddei très intéressant… Un dés seul qui soit contradictoire depuis le début de cette “affaire” Dieudonné!

    Je trouve sincèrement scandaleux les propos insultants et haineux dont Mme Frèche fait l’objet…
    Toutefois, je suis en total désaccord avec sa position et avec la méthode qui consiste a utiliser la censure ou l’interdiction, même si je considère Mr Dieudonné comme quelqu’un de résolument antisémite !

    Parmi les 6000 personnes du Zenith de Nantes, combien de “curieux”, combien de personnes ont achetés leur place pour se forger leur propre avis, suite a l’emballement médiatique qui date de la mi-décembre ?
    Est-ce la bonne méthode, que d’empêcher ces gens d’exercer leur capacité de jugement, leur sagacité vis à vis de “Dieudonné” et de ses représentations (ou meeting au choix)?

    Est-ce la bonne méthode, si l’on considère que parmi ces “curieux”, certains auraient sans doute conclus que Dieudonné est antisémite et que son spectacle est médiocre répétitif et sans intérêt… ?

    Car finalement, là ou ces personnes auraient du repartir avec une conviction en se faisant leur propre opinion, l’interdiction les a laissés repartir avec une illusion:
    “Dieudonné n’est pas antisémite, il est anti-système”

    Et bien je vous pose la question Mme Fréche: N’est-ce pas là un jeu dangereux ???

    Que devons nous penser d’un gouvernement (et de ses soutiens), qui par son intervention/interdiction change de dangereux antisémites en victime (héros ?) anti-système…

    L’hystérie médiatique et la censure ont eues pour effet de populariser Mr Dieudonné, puisque celui ci gagne environ 10000 fans par jour sur Facebook (depuis le 25 décembre)
    Vous voyez bien que votre méthode est catastrophique et qu’elle produit l’effet inverse de celui escompté…

    Si j’assiste a un feu de poubelle maîtrisable avec un sceau d’eau et un peu de “sang froid” et que vois une personne hystérique se précipiter avec un bidon d’essence en hurlant qu’elle va me sauver… Dois je la croire ???

    Cordialement

  5. La liberté d’expression d’expression s’arrête en France aux articles 19 et 21 de la Charte de Londres du Tribunal militaire international. Quiconque s’interroge sur les conclusions issues de ce tribunal tombe sous le coup de la loi Gayssot-Fabius. Voilà où s’arrête la liberté d’expression pour madame frèche, et voilà où commence l’antisémitisme pour le camp de la liberté.

  6. Chère Emilie, j’ai bien peur que vous n’usiez du même procédé que Gerard Miller face à Nabe en 2006 : citer des morceaux de phrases hors-contexte, sans avoir lu les œuvres… Car les morceaux tronqués en question sont exactement les mêmes.

    • Bravo à Emilie Frèche … Soutien inconditionnel à ses propos clairs et nets : pourquoi devrait-on accorder une tribune libre aux haineux et aux fâcheux fachos ?