Paris, Janvier 2010. Le débat sur l’identité nationale fait rage. Plusieurs faux-pas de ministres de la République sont venus ternir un débat qui aurait pu permettre de remettre la France dans le sens du vivre-ensemble. Bien loin du consensus autour de l’idée de Nation à la Renan, on mélange la réalité d’existences difficiles avec les fantasmes islamophobes les plus absurdes. Si il y a bien un point qui cristallise les passions, c’est certainement celui de la langue française, de son apprentissage et de sa bonne maitrise. Et sur ce point, on semble pris en otage par deux courants de pensée tyranniques en ce qu’ils n’acceptent aucune concession. D’un côté Renan le théorique nous dit: “L’homme n’est esclave ni de sa race, ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagnes”, de l’autre côté Elisabeth Lévy nous replonge violemment dans le réel; parlant d’Emmanuel Todd, elle écrit: Croit-il vraiment que des gamins et moins gamins qui ne peuvent prononcer une phrase entière sans dire « nique », « ta race », « chien » et bien d’autres gracieusetés encore et qui annoncent tous les deux paragraphes qu’ils vont « tuer un bâtard » sont si sensibles au beau langage qu’ils n’ont pas supporté la « racaille » et le « kärcher » et qu’animés par une légitime révolte devant de tels écarts, ils ont brûlé les voitures de leurs parents et l’école maternelle de leurs petits frères ?”. Le camp du réel contre le camp du théorique, et dans cet affrontement d’idées, aucune véritable issue? Regardons-y de plus près en étudiant le destin évocateur de l’expression “Nique ta race”.

“ Nique ta race ”devient une rengaine des plus familières dans le parler de la rue. A cela rien d’étonnant. Communautarisme et individualisme faisant, l’emploi de l’expression paraît avoir ses logiques. Et ce n’est pas la présence de la liste antisioniste de Dieudonné aux dernières Européennes – dont l’unique objectif paraissait être l’importation du conflit israélo-palestinien sur notre sol – qui corrigea le tir ! Pour mémoire, l’objectif de la liste antisioniste était simple : prouver que derrière « chaque chose qui divise une nature humaine, il y a derrière un sionisme ». Pour le reste, pas de proposition superflue, le trio infernal Dieudonné-Gouasmi-Soral jugeant inutile de proposer un quelconque programme à l’occasion d’une élection qui n’avait, selon lui, aucun intérêt…

À plus d’un titre, la présence de Dieudonné à un scrutin constitue une régression. D’abord moralement, en raison du caractère incontestablement antisémite de la liste, un antisémitisme péniblement caché par un antisionisme délirant. Ensuite culturellement car de telles personnes nient l’essor d’un mouvement intellectuel partant de la négritude pour aboutir à la culture urbaine.  Les pensées de Césaire, Senghor et Glissant contredisent Dieudonné en tout point. Prenons Edouard Glissant, écrivain, professeur de littérature et disciple de Frantz Fanon qui a toute sa vie poursuivi le questionnement sur ces problématiques. Dans un monde qui se mondialise, il va creuser le concept de créolisation défini comme « le mouvement perpétuel d’inter-pénétrabilité culturelle et linguistique. » Un véritable appel à l’universel et au métissage en pleine contradiction avec les thèmes dieudonniens.

Les candidatures de méfiance, celle de Dieudonné, mais aussi celles de P. De Villiers ou de Jean-Marie Le Pen font le pari de l’imprégnation des préjugés racistes dans les esprits français. Un sondage commandé par l’UEJF et SOS Racisme confirme une tendance depuis longtemps observée sur le terrain : la résurgence des cliches racistes. Plus d’un français sur trois (38 %) partagent cet énoncé antisémite : « Les juifs ont plus d’influence que les autres dans la finance et les médias » et 57 % des nos compatriotes estiment qu’il n’est « pas grave » de dire que « les Noirs sont plus forts physiquement que les autres ». Ce n’est donc pas tout a fait un hasard si dans la France de ce début de XXIème siècle, « nique ta race » est devenue l’insulte à la mode.

Que c’est affligeant de dire « nique ta race » mais surtout, quel retour en arrière ! Dans les années 1980, l’antiracisme érigé en nouvelle pensée dominante avait définitivement ancré dans les esprits français l’idée selon laquelle les races n’existaient pas. On se mit à parler de la Shoah et de l’esclavage. L’opinion publique sentait que la France changeait : être français ce n’était plus forcement être blanc. Petit à petit, on se mit virtuellement à considérer tous les Autres comme des amis potentiels. Les potes défilaient joyeusement et l’on jugeait inexorable la chute du Front National. L’heure était à l’espérance, on ne doutait plus de la possibilité de vivre ensemble. Bien rapidement pourtant, la réalité succéda à l’idéal et le retour au réel fut douloureux. Malgré toutes les bonnes volontés, sur le terrain, peu de choses avaient véritablement changé : c’était toujours la même galère pour que les potes entrent en boite, obtiennent des prêts immobiliers, fassent des études…

Un Arabe balancé à la Seine, des cimetières juifs profanés, des noirs couramment discriminés ; On apprit que faire changer les mentalités était un travail de longue haleine. Face à cette déception née de l’échec relatif de l’antiracisme, Alain Finkielkraut parlera d’un « communisme du XXIème siècle » : des idées initialement louables perverties par une réalité bien éloignée de l’idéal…

Un double flot négatif est également venu saper le travail antiraciste. Dans les cités, tout un pan de la jeunesse ne voyait plus ce que la République avait a lui offrir ; alors même que les parents de ces jeunes avaient fait le choix d’être français, leurs enfants englués dans un déterminisme social terrible détournèrent rapidement les yeux du triptyque républicain. Découragés, lucides sur les fausses espérances communistes qui animaient leurs aînés, ils suivirent cette société des années 1980 qui unanime rejetait l’universel pour glorifier l’individu. Ainsi naissait ce ressentiment envers la France, cette France qui avait pourtant su intégrer tellement de vagues d’immigration par le passé.

Un autre phénomène à ne pas sous-estimer se traduit dans ce racisme entre minorités que l’on a souvent ignoré. Dans les cités, noirs et arabes se côtoient évidemment mais entretiennent toujours des clichés tenaces les uns avec les autres, les uns envers les autres. À cela, on peut identifier au moins deux causes. La première est historique, elle remonte notamment à cet esclavage millénaire des noirs par les arabes qui constitue une plaie encore douloureuse car trop peu connue[1]. Elle est également sociale, bassement matérielle lorsqu’il s’agit de la lutte entre deux groupes plus ou moins exclus du jeu national pensant rivaliser socialement pour mieux « s’en sortir ». Du ressentiment, il y en a aussi envers les autres groupes ethniques présents sur le territoire national : asiatiques, juifs et français de souche, les fameux « souchiens » (lire sous-chiens) selon l’expression toute nazifiante créée par les Indigènes de la République. Oubliée Colette Guillaumin, sociologue chercheuse au CNRS, une des premières à expliquer que la notion de race n’avait aucune valeur scientifique. Fini le contrat social français, peu à peu, l’Autre n’est plus perçu qu’avec suspicion et l’on se dirige vers la guerre de tous contre tous. « Nique ta race » serait devenu la règle.

D’un côté donc, ceux qui disent consciemment Nique ta Race, de l’autre ceux qui s’engagent dans une voie constructive.

En 1995 sort sur les écrans noirs « La Haine », second film de Mathieu Kassovitz. Le film, élevé au rang de mythe par toute une génération, rend visible la France des cités, cette jeunesse peu médiatisée, stigmatisée par des mimiques et un parlé réducteur. La Haine transcrit une journée dans la vie de trois potes de banlieue, Vinz’, Said et Hubert, un juif, un noir, un arabe, une bande que l’on aurait aujourd’hui plus de mal à imaginer du fait de la résurgence des clichés racistes. Porté aux nues ou descendu en flèche, le film a surtout permis à la jeunesse des quartiers d’affirmer une identité positivée. Beaucoup suivront par la suite le chemin initié par Kassovitz et donneront à voir et à lire leurs chroniques de l’urbanité. C’est le cas de Respect Mag, initiative plus que louable montée par Marc Cheb-Sun, désormais soutenue par l’O.N.U. Mais le travail positif de reconquête des esprits par la République reste énorme.

Dans le cas de la liste antisioniste, on peut s’acharner à chercher les racines littéraires de l’antisémitisme de Dieudonné et de ses comparses. Mais il ne faut pas les chercher trop loin. Il s’agit d’un antisémitisme primaire, caché tant bien que mal par le masque de l’antisionisme. Cet antisémitisme-là se nourrit de poncifs moyenâgeux et de l’acharnement sur un bouc-émissaire ancestral. Ses bases sont l’Essai sur l’inégalité des races humaines de Gobineau, Les Protocoles des Sages de Sion. Lorsqu’il s’exprime sur les sites internet proches de la mouvance Dieudonné-Soral-Gouasmi, cet antisémitisme le fait dans un français approximatif, loin d’une intellectualisation quelconque du sentiment raciste. Aussi basique qu’il soit, le mouvement réussît pourtant à attirer des « penseurs ». D’abord, Alain Soral, ancien de l’Extrême Gauche ensuite passé par la case F.N. Il est a lui seul la vérification de la théorie selon laquelle les extrêmes politiques se rejoignent pour ne plus former que la fin du nœud des idées politiques ; la synthèse de toute l’infâme diarrhée de la pensée regroupée en un seul homme : intolérant, antisémite, misogyne et homophobe. Il y a également Marc-Edouard Nabe, sous-Céline, encensant Dieudonné dans son dernier pamphlet en date, « Enfin Nègre ». Il présente la figure d’un Obama les chaines au cou et écrit : « [Dieudonné] est le seul Noir digne de ce pays qui ne le mérite pas et à qui on veut fermer sa grande gueule ». S’agit-il d’une alliance de circonstance? Sûrement. Nabe, peu en vue sur la scène littéraire a besoin d’exister. De plus, si l’on accueille Faurisson avec tous les honneurs à la Main d’Or, on peut préjuger de la réception de M.E.N parmi cette fine équipe. Ce serait alors le lourd héritage célinien, celui de Rebatet et Brasillach, toute la littérature “anti-youpine” des années 30 qui intègrerait l’amalgame de la liste antisioniste. Laissons l’infâme de côté !

« Nique ta race » est donc le raccourci pour exprimer un malaise latent. Et manipulant les causes historiques et sociales qui pourrissent la France de ce début de siècle, il y a tous ceux qui érigent à dessein les communautés les unes contre les autres : Alain Soral, Dieudonné et Yahia Gouasmi qui en opposant Mémoire du Génocide juif et souvenir de l’Esclavage utilisent la Mémoire de l’Humanité pour orienter les consciences et créer du ressentiment. La liste antisioniste aux Européennes, trop impatiente de mettre de l’huile sur le feu, pariait sur l’importation du conflit israélo-palestinien sur le sol français.

Cette liste infâme comme tous les racismes est à combattre par la plume et dans le débat, argument contre argument, si l’on veut obtenir un résultat positif dans les urnes. L’enjeu est immense : il s’agit de faire vivre l’objectif d’une France universaliste nourrie au sein du Siècle des Lumières, de la Révolution et des Droits de l’Homme face à une bête immonde qui ressurgit ponctuellement. De cette façon seulement les clichés reculeront et nique ta race sortira de notre vocabulaire. Ne désespérons pas ! Les résultats de la levée de boucliers contre Dieudo sont là. Relativement confiant, L’ex-humoriste comptait sur le ras-le-bol du peuple face au sionisme qui « gangrène la société française » pour obtenir un bon score en Juin. À en juger par le nombre ridicule de voix recueillies il a dû surestimer l’imprégnation du racisme dans la société française. « Nique ta race » peut donc reculer… si nous le voulons tous !


[1] http://www.marianne2.fr/Durban2-denonce-les-esclavagistes-s-ils-sont-blancs_a178113.html

dieudonné

7 Commentaires

  1. Votre article, très intéressant, m’a surpris par le fait que vous n’évoquiez pas l’origine du mot « RACE » dans l’expression: « Nique ta race ». Il semblerait que vous n’ayez pas eu connaissance de la signification de ce terme, employé principalement par les jeunes arabes, et qui désigne dans cette langue la « tête ». « RASS » en arabe, se prononce de le même façon que le mot français RACE, d’où la confusion…Cette expression témoignait d’une hostilité injurieuse envers une personne, plutôt qu’une volonté d’exterminer un groupe ethnique…Cependant, il est possible que le sens de ce « N. ta race » ait évolué vu l’ignorance étymologique de la plupart de nos concitoyens.

  2. Il y a du vrai dans cet article mais on tombe vite dans le manichéisme gentils/méchants, ténèbre/lumière ainsi que dans un europécentrisme idéologique. Les belles idées des penseurs noirs, très bien mais comment expliquer que dans la France d’aujourd’hui, Edouard Glissant ne trouve de poste de professeur d’université qu’aux Etats-Unis?
    Non, La France est victime de ses trucages autour de sa grandeur et de ses valeurs. L’information diffusée à la vitesse de la lumière, l’accession aux connaissances montre que l’histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Dieudonné est à l’image de ces contradictions bien françaises. Une idéal de fraternité vite balayé par le ressentiment qui frôle souvent l’antisémitisme déguisé sous forme humoristique, à l’égard d’une communauté qui compte des représentants autoproclamés et influents. Ceux-ci lui en ont fait voir de toutes les couleurs au nom de cette communauté d’ailleurs instrumentalisée par des politiciens qui se réclame de valeurs républicaines anticommunautaristes !! Un sac de noeuds!

  3. Le passage sur la régression que constitue la pensée de Dieudonne par rapports aux écrits de Glissant, Fanon, Senghor ou Cesaire me parait très judicieuse.

    « À plus d’un titre, la présence de Dieudonné à un scrutin constitue une régression. D’abord moralement, en raison du caractère incontestablement antisémite de la liste, un antisémitisme péniblement caché par un antisionisme délirant. Ensuite culturellement car de telles personnes nient l’essor d’un mouvement intellectuel partant de la négritude pour aboutir à la culture urbaine. Les pensées de Césaire, Senghor et Glissant contredisent Dieudonné en tout point. Prenons Edouard Glissant, écrivain, professeur de littérature et disciple de Frantz Fanon qui a toute sa vie poursuivi le questionnement sur ces problématiques. Dans un monde qui se mondialise, il va creuser le concept de créolisation défini comme « le mouvement perpétuel d’inter-pénétrabilité culturelle et linguistique. » Un véritable appel à l’universel et au métissage en pleine contradiction avec les thèmes dieudonniens. »

    Vos lignes sur Soral et Nabe sont dures mais ces pseudo-penseurs l’ont bien mérité!

  4. Sommes-nous à l’abri de résurgences du fascisme en Europe ?
    Le fascisme n’est pas mort en 1945 comme le montrent l’émergence des partis d’extrême droite en Europe. En plus l’Europe d’aujourd’hui connaît des conditions économiques et sociales particulièrement difficiles, avec une immigration ressentie comme une menace de l’identité nationale voir européenne. Ce sont autant de mauvais signes qui reveuillent en nous ces mêmes réflexes (de danger et survie) dont nous parlait autre fois BHL dans son livre.
    C’est un fait aussi que l’économie libérale n’ait malheuresement pas le pouvoir de nous préserver d’une éventuelle dérive fasciste.
    Pour conclure ce petit commentaire je vous laisse en méditation la pensée éclairante de Zeev Sternhell à ce sujet :
    « Je pense que la droite libérale détient la clef du problème. L’expérience nous a appris que la droite libérale a permis à Mussolini d’arriver au pouvoir et qu’elle n’a pas non plus empêché d’y accéder. Si elle ne refuse pas catégoriquement toute forme de collaboration avec les droites extrêmes, nous risquons d’être confrontés à d’énormes difficultés. »

  5. Punaise, M. Samama m’a ouvert les yeux sur Dieudonné.
    J’ai vu tous ses spectacles, j’ai ris comme jamais. J’ai même adoré à ses discours humanistes (en fait, il faut voir ses derniers spectacles pour en être au courant – mais attention, il y a un effet dieudonné très dangereux lors du visionnage, apparemment).

    Merde alors, je dois être antisémite…
    C’est pour ça que j’ai une raideur dans le bras gauche depuis ce matin.

    Vraiment, je tombe des nues.
    Merci, Laurent David Cohen Samama.

  6. J’adore ces types qui ont tellement à coeur de se battre contre la « bien-pensance » qu’ils finissent par ne pas se rendre compte qu’ils se mettent à penser mal. Comme par exemple lorsqu’ils en viennent à rejeter ce qui vient de l’état sous prétexte que ça vient de l’état, ce qui est plus binairement stupide que d’accepter ce qui vient de l’état parce qu’on est d’accord avec ce qui vient de l’état.

  7. Bonjour,
    S.O.S. racisme, le mètre étalon de la lutte contre le racisme ???
    Ah la philosophie étatique , contre-révolutionnaire, bien-pensante, réactionnaire, finkelkrautienne a de belles années devant elle !!!
    David.