A l’issue d’une journée à rebondissements, le Conseil d’Etat a finalement décidé qu’il était légitime d’interdire le spectacle de Dieudonné qui devait se tenir à Nantes.
Aussitôt, et comme il fallait s’y attendre, les supporters de Dieudonné ont crié au fascisme, au scandale, à l’Etat liberticide. L’explication du monde qui découle dans la dieudosphère est d’ailleurs limpide et donnée immédiatement par Dieudonné lui-même : le conseiller d’Etat qui a préparé la décision est juif et descendant du capitaine Dreyfus. Toujours la même obsession, ressassée à chaque occasion comme élément unique d’explication du monde.
Mais il nous faut dépasser la simple question des spectacles de Dieudonné. Car, sur les mois qui viennent de s’écouler – avec un travail de sape qui s’est étalé sur plusieurs années –, ce sont les conditions du vivre ensemble qui se sont trouvées affaiblies, contestées au nom d’une prétendue « lutte contre les tabous » et autre « lutte contre le politiquement correct ».
Agressions verbales et physiques envers quelques milliers de Roms présentés comme une déferlante illégitime et immonde, insultes contre Christiane Taubira dignes des expressions coloniales les plus crasses, antisémitisme débridé d’un Dieudonné prenant de moins en moins le soin de cacher cette haine derrière des artifices…
A chacun de ces épisodes, une brève flambée médiatique, puis la même ritournelle (« n’en faisons pas tout un fromage ») et enfin la même issue : des phénomènes qui disparaissent des écrans radars sans avoir à peu près rien impulsé dans la société.
Pourtant, ce à quoi nous assistons, c’est à un long et quasi-silencieux effondrement d’une fraternité dont chaque citoyen est le gardien.
La période que nous vivons me fait penser à cette phrase de Martin Luther King : « Nous devons vivre ensemble comme des frères sinon nous mourrons ensemble comme des idiots. »
Dans les jours qui viennent, serons-nous frères ou idiots ?
par Dominique SOPO, ancien président de SOS Racisme
Des quenelles à Auschwitz… Des quenelles à Berlin… Des quenelles à Jérusalem… Des quenelles à ne plus savoir qu’en faire… Que nous faut-il enfin pour sentir de tel bois nous rechauffe le Chevalier du Temple duodécimain en survêt à capuche? Dieudonné M’bal M’bala doit être puni pour ce qu’il a fait, qu’il le refasse ou qu’il s’en abstienne. Je les vois déjà, les avocats du Conseil d’État, forcés de rassurer les fans du comique non-universaliste en promettant à ces derniers qu’il suffirait à leur Dieudonné qu’il cesse de proférer sur scène des propos «dits» antisémites ou «dits» négationnistes pour que nous nous rouvrions immédiatement à lui, âme et corps. Étonnons-nous après qu’un Bachar el-Assad ait réclamé une place autour de la table des négociations sur l’avenir des rescapés d’une destruction massive dont la démonstration du mal qu’il était en mesure de leur faire n’était plus à faire dès l’instant qu’elle s’était durablement gravée dans les mémoires. Ce n’est pas un spectacle que l’on condamne, mais son auteur, a fortiori s’il se trouve être son propre interprète. On ne met pas un spectacle en prison. Aussi, un autre spectacle qui ne tomberait pas sous le coup de la loi, du fait qu’il aurait pour auteur et interprète un antisémite patenté, puerait l’antisémitisme à plein nez quand même son déchargeur prendrait soin de n’y jamais lâcher le mot «juif» sinon en langage crypté, quenellisme oblige… Laisser l’auteur du Mur incarner son message idéologique sous le masque de l’autocensure, c’est aujourd’hui que sa doctrine est enfin révélée, lui donner l’autorisation de nous retourner le cerveau, façon agent double.
Au nom de quoi, au moment même où les vrais démocrates syriens ont trouvé le courage, la force et le discernement de mener une seule et même guerre contre le panarabislamisme des Sardanapale auxquels je conseille de ne plus quitter des yeux le compte-à-rebours delacrucien, devrions-nous, éternels débiteurs que nous sommes des rebelles à l’Ancien Régime, brûler les portes de l’espace public à un suppôt des assassins d’Alep?
Au nom de quoi, sous la menace retentissante du Tyran à tête interchangeable de Téhéran et de tous ceux qui s’apprêteraient à signer avec lui un pacte de non-agression, irions-nous convier à la conférence de paix sur cette nouvelle Bosnie qui lentement, mais sûrement se consume aux frontières turco-libano-israélo-jordano-irakiennes, les recruteurs d’un antijuif décomplexé?
Par son double salut nazi alterné avec la frappe avec le plat de la main sur le cœur, M’bala M’bala enfile, à la sortie du Zénith de Nantes, les habits du bouffon officiel de Rohani en même temps qu’il identifie la République islamique de son employeur comme le Quatrième Reich. Son art de l’attentat comique permanent rappelle la vague de crimes contre l’humanité par laquelle s’était illustré Rouhollah Khomeini sous la première cohabitation, en représailles aux représailles d’une France qui n’avait pas souhaité honorer son contrat avec un Iran qui se déshonorait. Déjà à l’époque, tous les ingrédients du blockbuster multimédiatique étaient là. L’obsession des pays émergents se calait sur la queue de la civilisation plutôt que sur sa tête. La ruée vers l’uranium avalait ses clous de pompes. En cela, il faut voir dans l’affaire Dieudonné une mutation de l’affaire Gordji. J’ai vu, j’ai entendu, je n’ai pas rêvé lorsque le guru en personne, taclant «Manu» en direct live, joua l’inquiétude compassionnelle pour le menu ministre qui déclenchait, de crainte qu’une bombe n’explose à la Main d’or, des dizaines, voire des centaines de «bombes, dans les cinémas…» où le pauvre a — je ne doute pas que cela puisse lui causer un pincement au cœur — disparu des écrans.
Je me souviens d’une copine du siècle dernier, elle misait tout son tapis sur celui qu’elle désignait alors comme le nouveau Coluche dans l’expectative d’un acquiescement de ma part, — il faut savoir que pour les gens de ma génération, la comparaison valait son pesant d’ire tant les ambitions présidentielles du pitre magnifique avaient rempli le vide laissé par cette révolution de fin d’année scolaire, avortée avec leur naissance. L’échec de Coluche ne faisait que renforcer l’idée d’un Establishment verrouillé au point de rivaliser avec les pires systèmes totalitaires. La mort de Coluche, l’année même de sa première vraie victoire politique, celle qui laissait présager une nouvelle tentative, et pourquoi pas, cette fois, une victoire en 1988 portée par ce restaurateur de nos cœurs, avait laissé un peuple orphelin, un néopéplum déprimiste que l’ancien duettiste se lançant dans le solo, se purifiant ainsi de son passé corrompu au contact d’un coupable né, allait pouvoir sortir de son capharnaüm.
M’bala M’bala veut aller en prison. Il se projette déjà en 2041, quand son électorat payant devenu majoritaire aura fait de lui le Mandela d’opérette de notre Europe honteuse de s’être avérée impuissante à générer de l’unification autour d’un projet qui ne fût régressiste. Le tour de force, dorénavant que l’ère Hollande a su se démarquer d’un complexe gauchiste responsable de la dérive infantilisante des continents éthiques, sera d’extirper du crâne dissout des instituts Civitas de tout poil, déficients orgueilleux dont la déMarche se résume à appeler, entre autres délits datés au carbone 14, à l’autodafé des baromètres de la liberté d’expression que représentent les rejetons du Hara-Kiri de notre enfance ou du mouvement Panique, l’idée qu’un apartheid visant à protéger la République des fascistes brun rouge vert est une notion diamétralement opposée aux théories racialistes sur lesquelles gangréna le régime des Afrikaners. Que nazisme et justice sont deux états inconciliables. Que l’un chasse l’autre et réciproquement. Et que pour l’instant, je dis bien, pour l’instant, ce sont, en la matière, les justes de France qui nous donnent le la.